En guise d’avant propos
Notes de mise en scène
Molières 2002 - Meilleur comédien dans un second rôle : Maurice Chevit
Conversation avec mon père débute en guise d’ouverture musicale par Rumania , chanté en yiddish aux USA dans les années 30 par Aron Lebedeff. Mon père – avec qui je n’ai jamais eu de conversation – était originaire de Galatz en Roumanie, pays du miel, du vin et des filles, comme le chante Lebedeff, pays aussi des pogroms, de l’injustice et de la misère, comme le précise Herb Gardner. C’est donc tout naturellement que je me suis trouvé « comme à la maison » dans ce café new-yorkais attablé avec la famille d’Iszhak Eddie Goldberg et sa clientèle triée sur le volet.
Depuis Des clowns par milliers, Gardner nous enchante avec ses pièces simples et chaleureuses qui nous disent la difficulté d’être juif aux USA comme ailleurs, la difficulté d’être tout simplement, partout, toujours et pour tous. Je me suis modestement attaché à restituer son humour et sa lucidité, à transcrire sa musique légère et grave, et surtout sa grande bonté, bonté sans illusion soit, mais bonté quand même. N’est-ce pas ce qui nous manque le plus aujourd’hui et surtout au théâtre ?
La spécificité juive new-yorkaise de ces Conversations confère à l’œuvre de Gardner une portée universelle. C’est le chant de l’exil, de l’intégration tentée et loupée, de la fidélité, de la rupture, c’est Chaplin et Fellag, Woody Allen et Kazan, Arthur Miller et William Saroyan.
Dans ces Conversations ont se dispute tout le temps aussi bien en yiddish qu’en américain new-yorkais, mais toujours avec un accent, une musique particulière venue d’ailleurs, d’Irlande, d’Italie, d’Odessa ou de Galatz. On y chante, on y danse. L’adaptation en français sans accent s’avéra donc extrêmement difficile. Marcel Bluwal, qui a vécu en yiddish et en français toute une vie de fils d’exilés tour à tour intégrés et désintégrés, y compris à New-York , m’a épaulé dans cette rude tâche.
Près de quinze ans après le chef d’œuvre d’Arthur Miller Mort d'un commis voyageur nous revoilà Bluwal et moi à pied d’œuvre. Arthur Miller et Herb Gardner sont voisins et amis m’a appris Bluwal. Cette Conversation qui a triomphé sur toutes les scènes du monde est un autre des grands chefs d’œuvres américains du XXe siècle. J’espère que nous saurons lui rendre justice.
Jean-Claude Grumberg
Herb Gardner. Un nom qui appartient à la mythologie du théâtre américain et risquons le mot, mondial. Un grand. Les plus anciens se souvenant du triomphe de sa première pièce, écrite à 25 ans, Des Clowns par milliers ; les plus jeunes de Je ne suis pas rappaport. Et voilà que Jean-Claude Grumberg me donne à lire Conversations avec mon père dans sa version à lui.
Et je découvre, derrière l’humour et le réalisme consubstantiels au théâtre new-yorkais – new-yorkais et juif – une très grande pièce. Autobiographique bien sûr, mais disant très fort et de façon nouvelle des vérités bonnes à cacher. L’impossibilité d’être juif, surtout l’impossibilité d’être juif et américain ensemble, traditionaliste comme assimilé. Le tout dans un grand rire souvent jaune, bien sûr.
Et ça se passe dans le cadre d’un bistro du bas de New-York, entre 1936 et 1976, entre le patron, sa femme et ses deux fils, entourés d’un vieil acteur et de clients hauts en couleur. Le patron, personnage extraordinaire – « un allumé » totalement pétri de contradiction – ne pouvait être que Claude Brasseur, ce qui nous permettra de fêter le 37ème anniversaire de notre collaboration.
Trouver les autres – Serge Hazanavicius, Denise Chalem, Maurice Chevit, comportait plusieurs exigences, un talent hors du commun bien sûr – mais surtout un style : pouvoir jouer réel - mais symbolique, être le personnage mais être aussi porteur lyrique du rêve de Gardner et de sa version du monde.Voilà le pari que nous nous sommes fait. Cela valait vraiment la peine de le tenter.
Marcel Bluwal
18, boulevard Saint-Martin 75010 Paris