Note de l'auteur
Vers le futur
Une thématique nébuleuse
À l’aube du XXIe siècle commençant, un groupe d’individus s’inquiète des incertitudes liées aux menaces environnementales et sociales…
Après avoir exploré le rêve d’envol chez l’humain, avec La démangeaison des ailes et testé avec Des expériences la validité de la réaction artistique face aux risques et fléaux du monde contemporain, ce spectacle du groupe Vivarium Studio, s’interroge avec ironie sur “le futur”.
L’homme se découvre avec désarroi ou insouciance, confronté à des doutes sur les effets de son action (pesticides, effet de serre, clonage, nucléaire, réduction de la biodiversité, etc.) et conscient ou pas, d’être responsable de cet état de fait. D’après nature est construit à partir de matériaux hétéroclites, puisant des références et des sources d’inspiration, dans la littérature, les sciences, les arts plastiques, la musique, etc.
Philippe Quesne
« La fin du monde n'est plus l'invasion des Martiens, la rencontre de notre planète avec un astéroïde fou ou le déferlement des insectes gigantisés. Elle est en filigrane dans l'univers où nous vivons, dans l'air que nous respirons, dans les aliments que nous absorbons. La fin du monde, si elle devait se produire, pourrait se passer sans fracas, en douceur. Et quoi de plus terrifiant que la douceur ? » préface de Futur année zéro par Alain Dorémieux
« Le futur qui nous attend est celui que nous créons. Vous feriez mieux d'y croire. » Norman Spinrad
« Par définition, le chercheur court après quelque chose qu'il n'a pas sous la main, qui échappe, qu'il désire. Cette chose que le chercheur ne capturera, ne maîtrisera bien sûr jamais. Autrement cesserait l'essentiel, la recherche même en tant que mouvement. Donc le chercheur continue de suivre son idée fixe - fût-elle informulée - s'abandonnant à sa passion prédominante dans une course sans fin qu'il aura peut-être raison de nommer une méthode. » Georges Didi-Huberman, Phasmes, Les Éditions de Minuit
« Les réévaluations actuelles des notions de ville, métropole, méga-pole, des
territoires hybrides urbains et paysages, comme le fléau de la pollution amènent à s'interroger sur la mutation de notre relation à la nature. Une aspiration à celle-ci se développe en même temps qu'un environnement urbain comme si les forces de la culture ne pouvaient qu'être associées à celles de la nature pour que le monde soit habitable. Peut-être est-ce le sens de la nature pour nous, qui fait subitement question (…). » Chris Younès, Ville contre-nature, extrait de l'avant-propos
Des insectes géants qui dévorent tout sur leur passage. Des martiens qui envahissent la terre... Voilà des peurs bien dérisoires comparées à notre réalité. Aujourd'hui, on n'a plus trop de mal à envisager les catastrophes du futur. Les dérèglements climatiques, la guerre bactériologique, les catastrophes nucléaires, on n'a que l'embarras du choix. Car, pour une bonne part, les peurs de l'avenir sont déjà là. Philippe Quesne en a listé un nombre conséquent.
« Les menaces du futur se confondent avec nos peurs du présent, remarque-t-il. Parmi celles-ci, les menaces environnementales occupent une place importante. Impossible de ne pas les mettre en relation avec tout ce que la politique n'arrive pas à résoudre. Il y a un sentiment d'impuissance, l'impression pour le citoyen que le problème serait d'abord de ne pas arriver à s'emparer du problème. Aussi, dès que l'on commence à lister les risques et les catastrophes possibles, cela devient assez angoissant. Car on en fait quoi de ces listes ? Il y a une inconscience ahurissante dans cet acte de lister sans pouvoir agir. »
Que faire alors ? Attendre en se rongeant les ongles que le ciel vous tombe sur la tête ? Déjouer sa peur en inventant quelque divertissement selon le modèle ? Vivre dans l'angoisse ne sert à rien. Penser le pire n'est pas un remède. Et le principe de précaution est de toute façon insuffisant. Drôle de tableau. C'est de cette réflexion qu'est parti Philippe Quesne pour son nouveau spectacle. Il s'est proposé une série de protocoles de travail. Fort de l'expérience acquise avec La démangeaison des ailes, sa première mise en scène présentée la saison passée au Théâtre de la Bastille, il s'est livré à la façon d'un scientifique à une série de recherches.
D'emblée, il s'appuie sur le principe que son objet lui échappe. Il parle à ce propos de « thématique nébuleuse ». Et précise : « L'objet du spectacle, c'est, à la limite, d'interroger son point de départ ». Il s'agit de créer les conditions d'une expérience. C'est, depuis 2004, l'objet, d'une série de spectacles plus ou moins impromptus, intitulés Des expériences, qui se sont déroulés dans des lieux aussi divers que forêts, parcs, sous-bois, jardins, étangs, édifices désaffectés… Etant donnés six comédiens et un espace. Des mots sont projetés quelque part sur des murs. Comment un ou des comédiens lâchés dans l'espace en question vont-ils se comporter en découvrant ces mots ? « On a plein de combinaisons possibles. À chaque fois, il peut se passer quelque chose de différent. Ensuite, je fais des listes avec toutes ces possibilités », dit Philippe Quesne. C'est un travail sur le temps et l'espace, comme une série d'esquisses.
Philippe Quesne, qui a été scénographe, construit ses dramaturgies à partir de l'espace. Il part toujours d'une idée simple qui, peu à peu, se complique à travers la prise en compte des différents éléments nécessaires à la réalisation de cette idée. « Pour La démangeaison des ailes, nous avions peu de moyens. Alors, nous avons répété dans un appartement. Très vite, l'appartement est devenu un thème du spectacle à travers la notion de home studio. Le côté fait à la maison, avec cet aspect faux bordel d'un appartement, jouait un rôle très important. » Avec ce spectacle s'est constituée une équipe artistique mêlant comédiens, danseurs, plasticiens ou animal…
Aujourd'hui, Philippe Quesne pense beaucoup au paysage. Pas le paysage de la catastrophe. Plutôt le contraire, même. C'est du côté de la biosphère qu'il regarde. De ces expériences américaines sur la biodiversité où l'on reproduit de façon artificielle de nombreuses plantes plus ou moins en voie de disparition. « Comme une sorte d'arche de Noé. Cette idée de biosphère me plaît aussi beaucoup dans sa transposition sur un plateau de théâtre où l'on assiste à la vie d'une micro-communauté. Comme si l'espace scénique reproduisait un prélèvement un peu artificiel de paysage. » En référence, bien sûr, au titre du spectacle D'après nature.
Dans la nature, la stabilité n'est qu'apparence, tout est vie, tout se transforme. « Comme dans l'élaboration d'une matière théâtrale », observe Philippe Quesne, qui s'est souvenu, en travaillant sur ce spectacle, du film de Joris Ivens, Une histoire de vent : « Il est parti avec une équipe de tournage pour filmer le vent. Mais il ne trouvait jamais des conditions qui lui conviennent. Alors le film devient en même temps l'histoire de quelqu'un qui cherche à filmer le vent. C'est une idée qui me plaît beaucoup. Il y a un peu de ça dans ce que j'essaie de faire ».
Antoine Dubreuil
76, rue de la Roquette 75011 Paris