Fait divers à Lyon
Orientations scéniques
Note de plongée
Extraits
« La femme avait tué la mère à coup de barbe à papa » Il y a bien longtemps, une trentaine d’années, peut-être un peu plus, une locataire d’un immeuble vétuste de la Croix Rousse à Lyon se rendit au commissariat le plus proche ; elle n’avait pas vu sa voisine du dessous depuis quelques jours et une drôle d’odeur filtrait sous sa porte. Quand un serrurier ouvrit cette porte, ils découvrirent un homme allongé sur un cadavre. Cet homme s’appelait Christian C. Il avait tué sa mère et se laissait mourir sur sa dépouille.
Pendant mes années lycéennes, Christian C. était mon ami. Nous nous sommes perdus de vue en quittant tous les deux le lycée la même année. Sa chambre n’avait pas de fenêtre. Sa mère était une femme ordinaire comme la mienne. Il était intellectuellement très brillant. C’était un rebelle. Nous avons passé ensemble les années post-soixante huitardes et sa haine des institutions, sa haine des bourgeois, sa haine de l’ordre établi l’ont poussé à commettre des actes violents. Il fut interné en HP.
Je n’ai plus aucune nouvelle de lui.
Ce texte, que je lui dédie, n’est pas sa véritable histoire,
c’est une fiction écrite à partir
des différents éléments que j’ai gardés en mémoire, ce qui
n’offre aucune garantie sur la
véracité des faits, encore moins sur leur chronologie.
Je dédie aussi ce texte aux enfants qui grandissent dans des
chambres sans fenêtre !
Chassamor
Par les Arts et Mouvants Compagnie.
Cette oeuvre inédite est une ode cruelle et fulgurante lancée comme un jet d’encre à la face de notre conditionnement social. C’est dans la surface de réparation d’un théâtre d’amour et de mort que nous voulons faire entendre une écriture contemporaine violente et féconde issue d’un souffle authentique. Quand le fait divers rencontre le mythe, il devient un fait d’humanité où les gens ordinaires deviennent des héros tragiques aux prises avec l’amour, le manque d’amour qui tenaillent l’humain, chacun.
Un homme et une femme se retournent et nous racontent. Un fils et une mère se racontent et nous retournent lors d’un ultime rendez-vous à la brasserie de la gare.
Ceci nous amène à penser l’espace comme le personnage central articulant les frontières ténues entre réel et irréel, raison et folie, où scénographie et images sculptent la mémoire des corps. Dans cette mémoire apparaît bien présent le troisième partenaire à la double identité de serveur et saxophoniste qui délie ou fusionne ce duo fils-mère, homme-femme.
Dans cette dualité haine-amour qui hurle à nos oreilles, on ne peut pourtant s’abstenir de rire (jaune citron ou marron foncé) piégé par le pouvoir de l’absurde.
Les Arts et Mouvants
J'ai rencontré Chassamor pour la première fois il y a deux ans à Belle île en mer, lui en tant que réalisateur, moi en tant qu'acteur, sur le tournage de son film Fata Morgana. Le plan final accompli, il me confia qu'il avait écrit en six jours, d'un seul jet et sans correction, un texte fort douloureux. Il me parla aussi de cette histoire et de la catharsis qu'avait permise cette écriture. Je l'ai lu et bu d'un seul trait, quasiment en apnée tant elle nous plonge dans les eaux profondes de la tragédie humaine.
Ivre de ce hurlement, un long silence intérieur s'en suivit. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un auteur (du) vivant. Certes, Chassamor n'est pas un "spécialiste" du théâtre ; certes, il n'apparaît pas dans les colonnes littéraires des auteurs à la mode. Dans la vallée fertile est une oeuvre qui outrepasse tout les manques formels qu'on peut lui trouver, tant son coeur est plein. Plein de cette nécessité vitale et crue d'un sang d'encre qui coule dans les veines d’un corps de vérité. Tout simplement plein de ce qu'on oublie d'appeler : la force poétique.
Il fallait donc une équipe de plongeurs sacrément expérimentés et suffisamment chavirés pour oser (nous) traverser Dans la vallée fertile : Philippe Lanton sera du voyage. Une expérience autour de Faust scella notre rencontre. Explorateur en chef de la compagnie Le Cartel et fin directeur d'acteurs de pointe tels que François Marthouret, Aurélien Recoing ou Philippe Dormoy, il sera accompagné de son créateur d'espace et de lumière, Yves Collet ainsi que de Dominique Aru, cinéaste du réel, réalisatrice de fictions et co-fondatrice, avec lui, de la Coopérative Artistique de Productions située à Montreuil-sous-bois. L’oeil mis à nu, le regard extérieur de Sylvia Bagli fera écho au souffle intime et phonique de Christian Archambeau.
Pour faire re-vivre la mère morte, il fallait une actrice capable de prendre des trains sans horaire : Marie Mézière sera à l'heure. Enfin, pour ma part, je tenterai d'être à la hauteur. A la hauteur de ce fils en croix. A la hauteur de cet abîme sans croix. A la croisée des passages à niveau. Au niveau de la mer. Là où le ciel et la terre se rejoignent.
Laurent Schuh, acteur et porteur du projet
Séquence 3
Christian C. :
J’étais un arpent de terre laissé en friche.
Un père aurait fait le ménage dans ma tête.
Oui… Les graines
Un père ensemence.
Un père irrigue.
Un père régule le flot impétueux des sentiments les plus troublants. C’est une
digue et un pont.
Parle-moi du mien…
Séquence 7
Marie :
J’ai toujours répondu présent.
La haine que tu me portes est si puissante qu’elle me force à m’exprimer et
me donne les moyens de le faire. Je ne suis pas dupe de ma franchise. Je suis
une femme simple. Tu me permets d’explorer mon âme pour en tirer profit.
Pour justifier ce que tu vas commettre et que j’attends sans impatience.
Oui, j’ai été une éponge qui sature, imbibée de foutre impur.
Oui, je n’ai plus le droit d’aller d’un point à un autre sans me heurter aux
fantômes des hommes qui m’ont aimé.
Oui, j’aurais pu être mère si j’avais cessé d’être putain.
(…)
Séquence 9
Christian C. : En grattant la haine on finit toujours par trouver un peu d’amour.
Ca fait du bien de se regarder les yeux au fond des yeux ; dans les tiens je
vois crépiter des petites étincelles, je vois un minuscule enfer où des lutins énergiques attisent les braises de tes remords, je vois le cadavre de ton
existence se consumer, une maigre fumée rose s’en échappe, je vois des
mains tendues vers des projets d’oubli et ton sourire fleurir dans l’alcôve du
néant, un bien joli sourire d’une douceur silencieuse, d’une compassion
limpide, cristalline, pure.
Je vois enfin cette grande vallée où nous aurions pu vivre, où nous aurions pu construire, et une rivière unique ruisseler d’aisance dans le doux crépuscule d’une journée inoubliable et pourtant si ordinaire, j’entends l’eau claire s'écouler dans un murmure si tendre que les herbes sur les rives se plient pour l’entendre, je vois des chevaux d’indiens montés à cru et fendre la bise, au loin les collines rougeoient, c’est le moment où tu sors pour contempler le ciel, pour contempler ton domaine, pour laisser grandir en toi un sentiment de paix et d’accomplissement, c’est l’heure où tout s’éclaircit, c’est l’instant où on voit plus loin, où la terre exhale de subtils parfums qui t’enivrent langoureusement, voluptueusement, c’est l’heure où tout ce qui vit possède une âme, nous sommes ardemment complices, nous sommes délicieusement habités, nous sommes vivants. N’est-ce pas délicieux de se sentir vivants ?
59, avenue du Général de Gaulle 93170 Bagnolet
Voiture : Porte de Bagnolet, à 300 m direction Bagnolet/Montreuil