Spectacle en espagnol surtitré en français.
Entre 1880 et 1910, l’Argentine glisse dans une situation d’appauvrissement qui n’est pas sans rappeler une période plus contemporaine de son histoire. Ricardo Bartís, auteur et metteur en scène, raconte cette période de l’histoire à travers la vie quotidienne de deux familles bourgeoises soumises à la déchéance et à l’éclatement. Famille, mariage, travail, argent, ces valeurs sûres de l’ordre social éclatent dans l’atmosphère confinée d’un salon où se retrouvent les membres de ces familles de la bourgeoisie déchue.
Dernière-née de ses « tragédies argentines » De Mal en Peor s’est créée à partir des improvisations de la troupe Sportivo Téatral qui jouait dans le studio-théâtre de Ricardo Bartís. Cette configuration lui a donné d’emblée les allures d’un vaudeville mécaniquement rythmé et très parodique.
Le jeu se déroule sous les yeux des spectateurs installés eux aussi dans le salon bourgeois, au plus près des personnages dont ils vont partager le désarroi et l’impuissance mais aussi la drôlerie, les mensonges et les cabrioles. Au milieu de la répression policière, des accidents politiques et des multiples galères, ces bourgeois vont tout essayer pour ne pas chuter dans le gouffre qui s’ouvre à leurs pieds.
Comique du désespoir dans ce chaos, orchestré avec rigueur, où la folie des stratégies les plus élaborées par les membres de la famille entraînent les protagonistes dans une course désespérée qui balaye générosité et sentiments, à la recherche d’un magot constitué de bons du Trésor... En s’emparant de la tragédie d’une nation en crise, Ricardo Bartís porte très haut le désir d’un théâtre d’art engagé qui affronte son époque et fait tomber les masques, un théâtre dans lequel « jouer est une expérience hérétique, une activité révolutionnaire à l’encontre d’une société déshumanisée ».
Comment avez-vous écrit le texte De
mal en peor ? Mis à part son contexte
historique, cette pièce se fonde-t-elle
sur des faits réels ? Quelles ont été vos
sources d’inspiration ?
Ricardo Bartís : Mon travail d’écriture
n’apparaît qu’à la fin d’un long processus
d’essai. Cette fois-ci, nous nous sommes
exercés sur une partie de notre lieu qui
nous plaisait parce qu’elle comportait
beaucoup de portes : cela nous permettait
de travailler un peu certains rythmes
de vaudeville. Onze comédiens jouent
dans la pièce, et la présence des portes
permettait de travailler les entrées et
sorties de onze corps sur un espace très
réduit. La petitesse de l’espace nous
obligeait également à être tous collés
au mur, construisant ainsi des sortes de
frontispices, de tableaux, de peintures.
Nous devions donc être très attentifs à
la manière de se placer, afin que tous les
corps puissent tenir ensemble sur scène. Cette étape de réflexion a été extrêmement
intéressante.
La période historique, les thématiques
ainsi que les idées, même si elles ont,
bien entendu, leurs poids et leurs
valeurs, nous servent toujours de
prétextes pour les processus autonomes
que nous engageons. En Argentine,
nous sommes encore très influencés
par la crise de 2001. Notre travail
se réfère à une classe sociale et à une problématique qui est la dette,
pas seulement dans son contexte économique, mais envisagée comme
un élément existentiel ; nous travaillons
autour du sentiment de toujours devoir
quelque chose à quelqu’un.
De mal en peor abonde en éléments narratifs et en péripéties…
R. B. : On construit rythmiquement un récit dans l’espace à partir des portes, des entrées et sorties des corps. Le public observe ce que seraient les limites de la maison familiale et aperçoit à travers les portes les espaces où se trouvent les membres de la famille. Il peut espionner la famille. Avant de rentrer dans la pièce, il traverse une salle où la famille, pour pallier les difficultés économiques et comme pourprendre part à sa propre décadence, a organisé un musée. Le spectateur effectue donc une sorte de parcours de l’histoire familiale.
L’action se déroule en 1910 – une date emblématique, puisqu’il s’agit de la nuit qui précède le centenaire de la fondation de l’Etat d’Argentine, le 25 mai 1810. Le contexte social ressemble à ce que l’on a pu voir récemment à Buenos Aires, avec des manifestations ouvrières, des slogans anarchistes dans les rues, remettant sans cesse en question le pouvoir des classes
dominantes. La famille semble enfermée dans la maison.
L’espace restreint contribue-t-il à un effet d’immersion totale du spectateur ?
R. B. : Nous avons la chance de travailler dans un espace énorme, qui nous permet de choisir des endroits insolites pour travailler. Nous avons choisi un espace où le public serait limité, ce qui nous pose à l’heure actuelle un véritable problème parce que la demande est bien supérieure à la quantité de places que nous pouvons vendre. À Buenos Aires, seules 35 personnes peuvent assister à une représentation. Le spectateur est donc collé aux comédiens, il peut voir chaque détail, il est complètement immergé dans la scène et se sent interpellé. Entre nous, nous ne parlons que de ceux qui sont dans la pièce, jamais de ceux qui sont en dehors. Nous parlons de notre classe sociale, de manière parodique et ironique.
La proximité est un élément essentiel pour percevoir le jeu d’un comédien.
Je ne comprends pas le théâtre à distance, celui où, lorsqu’on est au vingtième rang, on ne perçoit plus que de petites figurines qui parcourent des espaces. Nous nous sommes toujours intéressés aux comédiens, au langage, notre théâtre est entièrement basé sur le jeu et il ne peut être qu’une expérience minoritaire. On ne peut voir une pièce à plus de quatre-vingts, quatre-vingt dix personnes. C’est un monde clos, un rituel mineur et réduit, une autre forme de spectacle.
Dans toutes les pièces auxquelles j’ai participé, j’ai voulu faire l’expérience d’un théâtre de chambre. Actuellement, nous travaillons de la même manière à
une adaptation d’Hedda Gabler.
Dans un entretien avec Pierre Notte,
vous déclariez : « Seule la mort peut
faire la différence entre la fiction et la
réalité »…
R. B. : Oui, je me réfère sûrement au fait
que nous sommes en train de vivre une
période très fictionnelle. Nous vivons
dans un monde où le niveau de fiction
emprunté à l’art théâtral et au jeu à des
fins politiques est en train d’atteindre
des proportions insupportables. Nous
en sommes rendus au point de penser
que le théâtre et le jeu n’ont plus aucun
recours car tout devient jeu, ou tout
devient théâtre. Le seul élément non
fictionnel, qui place une limite claire
entre la fiction et la réalité, reste la mort.
Tout a quelque chose de virtuel et
d’artificiel, et la réalité essaie toujours,
pour nous ôter de la vue tout ce qu’elle
produit d’insupportable, de créer une
sorte de camp artificiel.
Comment votre travail avec Sportivo
Teatral est-il reçu en Argentine, et
comment les choses ont-elle évolué ?
Comment Sportivo a-t-il modifié votre
manière de faire du théâtre ?
R. B. : Comme l’indique son nom,
Sportivo est une plaisanterie. Nous
aurions pu nous appeler “centre des
nouvelles tendances”, ou encore choisir
l’un de ces noms modernes et avantgardistes,
mais nous avons décidé de nous jouer de cette préoccupation qui
existe à Buenos Aires, ville influencée
par les modes, surtout celles qui nous
viennent d’Europe. Nous courions
le danger, avec le théâtre, de nous
prendre un peu trop au sérieux. Nous
avons préféré prendre les choses à la plaisanterie.
Tout le monde se fiche du théâtre.
Seuls ceux qui le font s’en préoccupent,
et nous tentons de fuir les canons du
théâtre conventionnel, ou les prestiges
du théâtre institutionnel. Sportivo est un
espace de formation, on y donne des
cours et on s’entraîne, entre metteurs
en scène et comédiens ; cela fait déjà
plusieurs années que nous produisons
des spectacles de théâtre indépendant,
et nous sommes considérés comme une
scène importante dans le développement
d’un théâtre alternatif.
Je n’ai quasiment pas d’expérience
théâtrale antérieure, Sportivo s’est
monté à la fin des années 1970, on y a
appris à produire des spectacles d’une
autre manière, en sortant du marché,
sans aucun espoir de succès, en partant
du principe que l’on peut faire du théâtre
autrement. Nos conditions économiques
sont toujours un peu les mêmes, sans
pour autant être stables car nous ne
répétons jamais les mêmes expériences.
Nous sommes un groupe ouvert. De
temps à autre, nous nous retrouvons
pour créer un projet avant de nous
séparer de nouveau. Certains comédiens
travaillent à la télévision, d’autres
sont amateurs. Cela nous permet de
confronter des réalités différentes.
Sportivo est situé dans un très beau
quartier appelé Palermo, dans une
ancienne fabrique d’ambulances,
un cadre auquel nous sommes très
attachés. Nous sommes maintenant très
suivis, mais nous aimerions parfois être
confronté à un public plus mixte, plus
militant, plus alerte à notre langage, qui
est un langage critique et poétique.
Propos recueillis par Carmela Chergui et David Sanson.
9, bd Lénine 93000 Bobigny
Voiture : A3 (Porte de Bagnolet) ou A1 (Roissy) ou RN3 (Porte de Pantin) sortie Bobigny / centre-ville ou A86 sorties N° 14 Bobigny /Drancy.
Parking à proximité (un parking gratuit dans le centre commercial Bobigny 2 est accessible les soirs de représentation)