Débats 1974-1981 : Valéry Giscard d’Estaing - François Mitterrand

Colombes (92)
le 20 mars 2008
2h15 avec entracte

Débats 1974-1981 : Valéry Giscard d’Estaing - François Mitterrand

Jacques Weber et Jean-François Balmer revisitent les débats opposant Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand pendant les campagnes pour les élections présidentielles. Retour troublant et passionnant sur les enjeux de l’époque, à la lumière de l’histoire et de la réalité d’aujourd’hui. 

Les dimanches 22 avril et 6 mai, la représentation sera à 17h30, et sera suivie de l'annonce des résultats du scrutin 2007 en présence des acteurs.

Débats télévisés revisités au théâtre
Extraits

Du théâtre en direct
Débats mythiques
Dimension épique

  • Débats télévisés revisités au théâtre

Le texte des débats télévisés au cours desquels Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand ont été confrontés en 1974 d’abord, en 1981 ensuite, au cours des campagnes électorales pour l’élection présidentielle, revisité par le jeu des deux acteurs Jean-François Balmer et Jacques Weber.

Retour sur les enjeux de l’époque à la lumière de l’histoire et de la réalité d’aujourd’hui.

  • Extraits

Valéry Giscard d'Estaing, 1974
Vous êtes un homme lié au passé par toutes vos fibres, et lorsqu’on parle de l’avenir, on ne peut pas vous intéresser.

François Mitterrand, 1981
Vous avez tendance un peu à reprendre le refrain d’il y a sept ans : L’homme du passé…
C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu, vous, l’homme du passif…

Valéry Giscard d'Estaing, 1974
Vous n’avez pas, monsieur Mit­terrand, le monopole du cœur, vous ne l’avez pas.

  • Du théâtre en direct

Mohamed Ali V/s John Foreman, et François Mitterrand V/s Valéry Giscard d’Estaing, le choc de deux techniques, de deux styles, de deux écoles. Et le splendide « vous n’avez pas le monopole du coeur » du futur président, n’a rien à envier au génial « Ali Boumayé » inventé par le futur champion du monde pour exhorter les foules africaines à le soutenir.

Ici, comme aux échecs, la menace est plus forte que l’exécution. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’influencer. Il faut, d’emblée, se rendre maître du jeu, écrire, la partition, prendre la main…

Là s’arrête la comparaison, car François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, qui demeurent à coup sûr les deux plus grands rhétoriqueurs du XXème siècle, ont décidé de nous offrir ce que seule la fiction ose, le rêve de tout scénariste, de tout producteur, de tout spectateur : 1981, sept ans plus tard, la Revanche.

« Vous avez tendance un peu à reprendre le refrain d’il y a sept ans : L’homme du passé… C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu, vous, l’homme du passif… »

C’est du Prévert, du Audiard, du Aurenche. Quel acteur ne se damnerait-il pas pour une telle réplique ? Imaginez Le Kid de Cincinatti attendant sept ans pour redistribuer les cartes ! C’est Rocky II en vrai, revisité par Ionesco.

C’est du Théâtre en direct, de celui qui construit notre Histoire. Jacques Weber et Jean-François Balmer jouent un peu de notre histoire et c’est un peu d’histoire du théâtre qui s’écrit.

Jean Marie Duprez

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  • Débats mythiques

Les deux débats qui opposèrent, à sept ans d’intervalle, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, sont devenus mythiques et certaines de leurs répliques sont entrées dans l’imaginaire collectif et devenues fameuses.

D’abord parce qu’il s’agissait, en 1974, du premier vrai « Grand Débat » présidentiel. En 1965, le Général de Gaulle n’aurait même pas songé à débattre avec son principal adversaire, dans le cadre d’une télévision dont personne n’imaginait à l’époque la place qu’elle prendrait dans le débat public. L’affront du ballottage se suffisait à lui-même pour faire événement, comme l’accès à l’espace public d’inconnus tirés de l’anonymat, le temps d’une campagne, comme l’inoubliable Marcel Barbu interpellant le Général, face caméra, les larmes aux yeux, dans une anticipation stupéfiante des codes de la télé-réalité !

La confusion qui entoura le scrutin de 1969 ne se prêtait pas au rituel du tournoi entre deux champions. C’était déjà le résultat d’un référendum qui avait brouillé les cartes et précipité le départ du Général de Gaulle puisqu’en ce temps-là, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, l’honneur des politiques était de démissionner quand ils perdaient un scrutin ! L’effondrement de la gauche socialiste au premier tour ; le face à face de Georges Pompidou et d’Alain Poher ne se prêtait franchement pas à l’affrontement spectaculaire.

En 1974, au contraire, tout le dispositif actuel de ce qui est devenu un rituel républicain est en place. Un jeune et brillant politique, qui a su piquer son propre camp des cactus de son indépendance, incarnant une forme de modernité et d’audace, tant dans ses propositions que dans son comportement et donnera un coup de poignard fatal à la tradition gaulliste incarnée par Jacques Chaban-Delmas (et, aujourd’hui, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que c’est un certain Jacques Chirac qui en tenait le manche !). Face à lui, une gauche rassemblée dans le lyrisme d’un nouveau front populaire, qu’anime une personnalité autrefois si controversée, et encore si détestée.

Mais l’extraordinaire intérêt de cette confrontation, c’est qu’elle se fit en deux temps et nous offrit ce que les passionnés de foot connaissent bien : le goût particulier du « match retour » ! Sept ans après, mêmes protagonistes, même rituel.

Quelle aubaine pour un homme de théâtre ! La jubilation ne vient pas seulement du talent des acteurs, de leur langage ciselé et du sens de la formule, de leur maîtrise rhétorique, de leur appétit de bretteurs. Il vient de ce singulier palimpseste où le débat de 1974 n’en finit pas de travailler, subreptice, dans les interstices du débat de 1981. On devine que François Mitterrand et son entourage ont disséqué le débat de 74, analysé les erreurs, assimilé les pièges. Et, face à un Giscard peut-être trop assuré de retrouver ses marques, Mitterrand a modifié son jeu. Là où son adversaire l’attendait encore en fond de court, il monte au filet. Là où il comptait sur sa faiblesse au service, il découvre un redoutable revers.

Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, la deuxième manche est tout simplement passionnante, en ce qu’elle dit la vérité de la première, et l’éclaire de manière singulière.

Autre aspect que ce rapprochement de ces deux « moments » révèle : l’incroyable insolence du pouvoir médiatique qui connaît en ces années-là un envol dont on ne soupçonne pas encore les conséquences sur le débat démocratique. Quelle différence entre le rôle de gardiens du sablier presque silencieux des journalistes chargés d’animer le premier débat, et leurs interventions incessantes sept ans plus tard. La force de la télévision devient un enjeu qu’il faut maîtriser.

Sait-on que c’est en analysant le débat de 1974 que François Mitterrand comprit que certains plans d’écoute lui avaient été défavorables : alors qu’il avançait des chiffres sur le chômage, on avait vu Valéry Giscard D’Estaing secouer la tête négativement en se penchant sur ses notes.

Jouant sur l’image de compétence économique, la mimique silencieuse était comme une réplique cinglante. A la fin du débat, un membre de l’entourage de Mitterrand, passant devant la place qu’occupait Giscard, jeta un oeil sur ces fameuses notes : il ne vit qu’une feuille blanche que l’acteur d’excellence avait fait mine de consulter ! Théâtre, ou politique ? Toujours est-il qu’instruit par cette anecdote, François Mitterrand exigea la suppression de tout plan de coupe dans le débat de 81 : la caméra ne devait cadrer que celui qui parlait, et non les réactions de son adversaire. Règle reconduite dans les débats de 1988 entre Jacques Chirac et François Mitterrand, et en 1995 entre Jacques Chirac et Lionel Jospin.

Un dernier mot, enfin. En décidant, dans le contexte électoral qu’on connaît, de redonner à voir et à entendre ce double débat qu’on pourrait croire historiquement daté, Jacques Weber et Jean-François Balmer font un geste essentiellement théâtral. Donc politique. De Jean-Pierre Vernant, le grand helléniste qui vient de disparaître, nous avons appris la raison qui présidait à la naissance conjointe, dans la cité athénienne, de la politique et du théâtre. Et cette raison, c’est la raison elle-même, ce logos qui tentait d’ordonner la vie de la cité en une démocratie cherchant à s’appliquer les règles de la géométrie naissance, et qui laissait au théâtre le soin de mettre cette rationalité à l’épreuve de tous les excès, de toutes les démesures, de l’hubris du pouvoir.

Dès l’origine, ces deux-là ont partie liée, et ce n’est pas fini.. La politique, en théâtralisant toujours davantage son expression et ses rituels. Le théâtre, de Sophocle à Brecht en passant par Shakespeare, en ne cessant d’interroger et de mettre en scène l’essence du politique.

Et la réflexion reste encore à mener sur les liens souterrains qui tissent, dans notre modernité, sous l’emprise toujours croissante de la télévision et des nouveaux media, la crise conjointe d’un certain théâtre et d’une certaine politique ou, si l’on préfère, d’une certaine politique théâtrale et d’un certain théâtre politique…

Michel Field, Philosophe, journaliste, écrivain, auteur de « Le Grand Débat » (Robert Laffont)

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  • Dimension épique

Ils s’appelaient Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Tous deux avaient un Labrador et une certaine idée de la France. Avant d’accéder l’un et l’autre à la fonction suprême, deux débats restés fameux dans les annales de la télévision française les opposèrent, l’un en 1974, l’autre en 1981. 1974 était le premier débat du genre : théâtralisation du débat politique ? Match en direct ? finale au sommet ?

A ce curieux mélange, à cette joute oratoire, il fallait un vainqueur et un vaincu. En 1974, M. François Mitterrand présenté par M. Giscard d’Estaing comme l’homme du passé fut vaincu. En 1981, Mr Mitterrand présenta Mr Giscard d’Estaing comme l’homme du passif et il fut vainqueur. Dans l’un et l’autre cas « l’homme du passé » ne passait plus.

Simple illusion dialectique, écho irréversible de l’histoire ? La question reste posée. Bien plus que le coup d’oeil « rétroviseur » sur ces deux débats d’un autre siècle, ou que le souvenir admiratif et amusé de telle ou telle passe d’arme devenue légendaire et pittoresque, c’est bien de théâtre qu’il s’agit.

Au théâtre on joue, au cinéma on a joué, disait Jouvet. Désormais les archives vidéo témoignent que Mr Mitterrand et Mr Giscard d’Estaing ont joué en 1974 et en 1981.

Le match en direct n’est plus. Par la relecture d’un texte, désormais écrit et non plus improvisé, par son interprétation de deux comédiens et non imitateurs, le théâtre revient au théâtre, on y joue notre temps, le temps d’un autre temps.

Pourtant c’est d’un siècle déjà lointain que deux vieux rois de la république animés de la passion de la France et de la victoire nous parlent et se livrent un combat acharné et quelque soient le sens et la science de l’effet, les effets de manche de chacun, le temps et l’histoire sont en marche, l’enjeu du spectacle et le spectacle de l’enjeu reste équilibré.

Là, où le direct était événementiel, le théâtre, ici et maintenant, redonne au texte sa dimension épique. Au XXIème siècle, les glaces éternelles meurent, la banquise s’effondre, l’équilibre est rompu. La sur-inflation de l’image, la fabrique de l’événementiel occupent le centre du débat et bien souvent le coeur des choses.

Quand les coupes de cheveux, les tailleurs et les talonnettes ont de plus en plus leurs mots à dire ; la « libre-opinion » ne tranche plus guère qu’entre la jupe et le pantalon. Sommes-nous au bout de la dérive ?

Deux miroirs nous sont tendus, la télévision et le théâtre. Ni l’un ni l’autre n’ont « le monopole du coeur » et si le théâtre paraît souvent comme une chose du passé, il est dommage que dans le même temps la télévision soit perçue comme celle du passif.

Le débat reste ouvert et dans l’un et l’autre cas le passé sera vaincu. Y aura-t-il un vainqueur ? Dieu seul… se tait.

Jacques Weber

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Spectacle terminé depuis le jeudi 20 mars 2008

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