Un "playshop" (certains se souviendront peut-être des playshops précédents, Traité des passions 2 - Notes pour une pathétique et Turing-machine ces dernières années à la MC 93 de Bobigny), c'est un spectacle moins de contention qu'un spectacle en dur mais plus ludique (du moins nous l'espérons) qu'un workshop. Plus qu'offert au public comme un vrai spectacle, il est ouvert à lui ; c'est comme si on essayait de mettre le public dans la confidence du travail, "a play in progress", en somme.
Ces Chimères jouent comme un intermède dans notre Traité des formes, entre La Génisse et le Pythagoricien où Ovide avait fait la rencontre d'un biologiste (TNS et Théâtre de Gennevilliers 2002) et l'épisode à venir (Théâtre National de Chaillot, saison 2004-2005), Darwinovide où se rencontreraient deux faiseurs de grandes fables, l'Ovide des Métamorphoses et Darwin l'auteur du dernier "grand récit" qui nous reste, celui de notre propre évolution. C'est dire que c'est un travail de frontaliers.
Nous sommes en effet de plus en plus incertains de notre humanité, de notre identité humaine et d'humains ; les frontières qui nous distinguent des animaux et celle, plus inquiétante encore qui peut nous distinguer de nous-mêmes, nous paraissent de plus en plus floues. Tout est affaire de regard (c'est en cela que le théâtre y est intéressé) ; tout se passe comme si, à force d'observer les bêtes, certains hommes s'animalisaient (on peut même attendre pas mal de ce devenir-animal, antidote à la bestialité humaine), tout se passe comme si les animaux, à force d'être regardés par nous, faisaient effort pour s'hominiser un peu. Deux textes "mythiques", c'est le mot, pour nous permettre de donner à voir sur un théâtre quelques pièces de ce dossier : l'extraordinaire étude de Darwin sur le ver de terre, La Formation de la terre végétale par l'action des vers, où le père de l'évolution scrute les habitudes de ces petites bêtes pour montrer quelle part elles jouent dans l'histoire universelle, et d'un autre côté Le Rapport pour une académie de Kafka où le singe explique comment il est devenu homme. Si l'on songe que le contexte actuel (voir comment on rêve de trafiquer l'espèce ou de fabriquer des machines qui nous dépassent) dans lequel ces petits mythes peuvent être entendus, on se doute que cet essai de théâtre devra être mis au compte des nombreux exercices préparatoires à notre post-humanité. Humains, encore un effort pour être des bêtes, encore un effort pour être des machines.
Jean-François Peyret
1, Place du Trocadéro 75016 Paris