Au coeur du Bien et du Mal
Notes
Regarder le monde en face
Entretien avec Marianne Groves
La presse
Dieu parle à l’oreille des serial killers et abandonne les innocents… Dura Lex fait découvrir en France un auteur phare de la scène contemporaine new yorkaise : 5 personnages que tout oppose pris dans la grande machine du système judiciaire pénal. Un spectacle construit comme un film noir, explosion d’adrénaline à l’humour grinçant et au souffle puissant.
Située dans la prison de haute-sécurité de Riker’s, face à Manhattan, Dura Lex met en scène la rencontre hautement inflammable entre deux détenus. Lucius, psychopathe serial killer noir reconverti au christianisme évangélique, et Angel, jeune inconscient dont le geste désespéré pour sauver son ami d’une secte lui vaut une accusation d’homicide volontaire et une incarcération des plus dures. Son avocate, Mary-Jane, touchée au plus profond d’elle-même par le geste d’Angel, décide soudain de défier le système judiciaire qu’elle a toujours scrupuleusement servi. Dans le quartier de haute sécurité, le gardien complaisant et amical, d’Amico, est remplacé par un jeune pittbull formé aux dernières théories sécuritaires, Valdez. Pendant ce temps, Lucius tente de convertir Angel à Notre-Seigneur…
Cette pièce extrêmement dense, spectaculaire, haletante, alliant un humour corrosif à un suspense implacable, a connu un immense succès anglo-saxon, sous son titre d’origine : Jesus Hopped the ‘A’ Train. Créé à New York, reprise dans de nombreuses villes américaines, le spectacle a remporté les suffrages du festival d’Edimbourg avant de venir faire un long triomphe à Londres.
Adapté dans un français bondissant et fluide par l’artiste franco-canadienne Marianne Groves, Dura Lex a été salué par Arte et France 3 lors de sa création en 2005 au festival Avignon Off, et a gagné le Prix Adami Jeanne Laurent 2005 du meilleur spectacle Avignon Off.
Définitions :
Dura Lex Sed Lex, proverbe latin : La loi est dure, mais c'est la loi.
Duralex, marque déposée :
Verre trempé, très utilisé dans les collectivités, ultra résistant aux chocs.
Lorsque finalement il cède, le Duralex explose en mille morceaux. Il est irréparable.
"L'Amérique a clairement opté pour la criminalisation de la misère comme complément de la généralisation de l'insécurité salariale et sociale. L'Europe est à la croisée des chemins, confrontée à une alternative historique entre, d'un côté, à terme, l'enfermement des pauvres et le contrôle policier et pénal des populations déstabilisées par la révolution du salariat et l'affaiblissement de la protection sociale qu'elle requiert, et, de l'autre, et dès aujourd'hui, la création de nouveaux droits du citoyen (...), accompagnée d'une reconstruction offensive des capacités sociales de l'Etat conduisant rapidement à la création d'un Etat social européen digne du nom. De ce choix dépend le type de civilisation qu'elle entend offrir à ses citoyens."
Loïc Wacquant, Les prisons de la misère
Imaginez un homme qui a peur : il s’immobilise, courbe le dos, et, instinctivement, plisse les yeux. Comme pour paralyser son champ de vision, se rendre aveugle au malheur imminent qu’il imagine devoir s’abattre sur lui. L’homme qui a peur ne veut plus voir. Mais imaginez ce même homme aux prises avec une émotion forte : soudain frappé de stupeur, de frayeur, d’émerveillement… Il aura les yeux écarquillés. Grands ouverts. De nouveau prêts à assumer leur fonction première : celle de regarder le monde en face.
Stephen Adly Guirgis ne cède pas à la peur. C’est un auteur lucide, engagé, puissant, qui ne confond pas le public avec cette masse consumériste, dénuée de conscience, que la statistique contemporaine réduit à quelques pourcentages sans appel. C’est un artiste doté d’humour et d’intelligence, qui sait que les acteurs d’aujourd’hui sont armés jusqu’aux dents pour de nouveaux défis, et que d’une forme ciselée et implacable jaillira chaque soir le chaos de la vie. C’est un dramaturge intrépide, qui place ses personnages en équilibre instable aux frontières codées - par qui ? - du Bien et du Mal, pour leur offrir la dignité, ultime serait-on tenté de dire, du questionnement.
Ce faisant, il ne laisse d’autre choix aux artistes qui croisent son œuvre que d’aller offrir, à leur tour, cette interrogation au public, dans tout ce qu’elle comporte à la fois de respect, de cœur, et de désobéissance.
Marianne Groves
Quelle a été la genèse de Dura Lex ?
Un jour de juin 2002, à Londres, j’assiste à une représentation de la pièce de Stephen Adly Guirgis (Jesus Hopped the 'A' Train), mise en scène par Philip Seymour Hoffman. Énorme choc ! Très vite, Danielle Gain accepte de lancer le processus de production, elle achète les droits, je fais la traduction. Il faudra cependant trois ans de démarches acharnées, et parfois décourageantes, avant qu’une proposition de coproduction du Théâtre du Centaure à Luxembourg, ainsi que le soutien de l’Adami, ne déclenchent la possibilité de créer Dura Lex au festival Avignon Off. En général, créer un spectacle pour le Off n’est pas une opération raisonnable… Mais Avignon était pour nous l’endroit de la dernière chance et Danielle Gain a accepté de prendre le risque. Courage récompensé : salle comble et bouche-à-oreille élogieux soutenu par la presse (Arte, France 3…). Jusqu’à recevoir le Prix Adami Jeanne-Laurent du meilleur spectacle Avignon Off 2005. En octobre 2005, au Théâtre National de Luxembourg, l’accueil public et presse est venu confirmer notre succès avignonnais. Cette année, c’est au Vingtième Théâtre que nous avons choisi de présenter le spectacle au public parisien.
Quelles ont été les difficultés de l’adaptation en français ?
Stephen Adly Guirgis écrit dans un américain extrêmement parlé et plutôt spécialisé, argot de prison, argot du sud, qu’il fallait retranscrire sans tomber dans le folklore. Par exemple, le texte était émaillé de « fuck », comme souvent dans l’écriture contemporaine anglo-saxonne. À ce niveau de langage, « fuck » a quasiment valeur de virgule… Il fallait donc sacrifier l’expression, et placer une simple virgule entre des mots soigneusement choisis pour refléter un niveau de langage équivalent.
Cette langue devait rester physique, comme un ballon de basket, qui rebondit à la moindre impulsion et permet aux acteurs d’être aussi vifs et mobiles qu’elle, de véhiculer leur humour naturel et leur propre puissance émotionnelle. Il fallait également respecter le contexte américain de l’intrigue, tout en le rendant accessible à un public francophone. Trahir pour mieux servir, c’est le lot du traducteur… Ce contexte extrêmement concret permet à la pièce de prendre toute sa valeur de fable, universelle.
L’adaptation a-t-elle beaucoup évolué avec les acteurs ?
Je ne valide jamais une traduction sans avoir auparavant entendu les acteurs jouer le texte. Nous avons ajusté les dialogues au plus précis, au fur et à mesure des répétitions.
Les personnages sont caractérisés par leurs propres modes de langage...
Chaque personnage possède en effet son propre niveau de langage, voire même plusieurs. Ainsi, Mary Jane s’exprime successivement en tant qu’avocate brillante et femme soumise à des émotions personnelles, Angel vient de la rue mais n’a pas perdu une certaine poésie de l’enfance, Lucius le psychopathe a acquis la maîtrise des « reachers » américains… Il était essentiel de ne pas priver les acteurs de cet outil fondamental.
Ces différents modes de langage ont-ils influencé la direction d’acteurs ?
Il existe une proposition de jeu induite par l’écriture, la partition de chaque personnage. Mon travail de direction d’acteurs a consisté à aider chacun à se laisser traverser, modifier, par cette langue. J’ai tenté de les accompagner vers un dépassement de la simple représentation vers une véritable incarnation - une mise en chair - de leur personnage. Avec ce que cette attitude comporte de mystère et d’irrationnel. Il fallait ouvrir la possibilité du paradoxe, de la cohabitation du bien et du mal dans une même âme. Cela demande des acteurs courageux, virtuoses, et… endurants. Face à un texte comme Dura Lex, toute complaisance aboutirait à un pathos qui serait pour le moins une faute de goût. Notre théâtre n’est pas psychologique, c’est un théâtre vibratoire et contradictoire. En réponse à la pensée de l’auteur, insistant sur le caractère dangereux des certitudes, dans une époque politique et sociale où l’on nous assène de grandes théories manichéennes et sédatives.
On ressort extrêmement troublé de la pièce, et l’on continue de s’interroger sur la culpabilité des personnages principaux...
Lorsque j’ai assisté au spectacle donné à Londres, j’en suis sortie perturbée dans ma notion personnelle du Bien et du Mal. L’auteur met le spectateur dans la position du jury. Les faits sont précis, les condamnations tombent, mais on est saisi par une succession d’émotions contradictoires envers les personnages, qui viennent perturber le crédit qu’on peut donner aux sentences prononcées…
La force de ce texte est de savoir provoquer chez le spectateur cette interrogation personnelle. Mais, loin de poser une pièce didactique ennuyeuse, Stephen Adly Guirgis construit un véritable moment de vie. Ainsi, le spectateur se retrouve impliqué personnellement dans l’histoire de ces hommes et de cette femme.
Dura Lex est une pièce sur le doute…
Les personnages sont nourris de certitudes et de convictions inébranlables. Mais ce sont ces certitudes mêmes qui, en s’entrechoquant, créent le doute, parce qu’elles sont incompatibles.
Bien qu’elle soit un huis clos, cette pièce est très cinématographique…
Stephen Adly Guirgis est par ailleurs scénariste sur des séries cultes comme NYPD Blues ou Under Cover. Ses constructions s’inspirent de techniques de montage de cinéma. Moi-même, lorsque je conçois la géométrie spatiale d’un spectacle, je réfléchis beaucoup en termes de travellings, de plans… Nos générations ont acquis la grammaire audiovisuelle comme une grille de lecture spontanée, qui fait partie de nous, et permet d’accentuer l’effet de réel. On ne peut pas ne pas en tenir compte aujourd’hui.
La lumière d’Orazio Trotta, le travail vidéo que nous avons conçu ensemble, viennent encore accentuer cet aspect cinématographique.
Cependant, le grand danger de cette pièce aurait été de tenter le documentaire. Car si l’audiovisuel a pris aujourd’hui valeur de production de réel, le plateau de théâtre, espace physique de représentation où une convention lie acteurs et spectateurs dans un imaginaire commun, propose toujours la fiction. Avec Gilles Touyard, nous avons donc réfléchi à une scénographie signifiant le réel sans le représenter, permettant d’ouvrir le sens du spectacle. Ainsi, les cages d’extérieur où sont enfermés les prisonniers pendant leur heure de « récréation » sont figurées par un simple carré au sol. La contrainte devient tacite, virtuelle… Donc absolue.
Le travail sonore contribue également à l’implication du spectateur…
D’emblée, le public est plongé dans le noir, à l’écoute d’une séquence en voix off. Comme une immersion, un passage initial.
Madame Miniature a conçu un travail sonore sur deux niveaux. Le premier niveau est le plus accessible, c’est une illustration musicale et sonore, une bande-son. Le deuxième niveau est plus subtil et tout à fait fondamental. Il s’agit d’un son de « soutien émotionnel », d’ambiances très discrètes mais fortement signifiantes. Certaines phases sonores sont quasiment indétectables par les spectateurs, mais le spectacle serait très différent si elles n’intervenaient pas…
Le choix d’installer le personnage de Lucius dans un fauteuil roulant est nouveau par rapport à la pièce originale...
Oui. C’est une étrange anecdote de la genèse de ce spectacle. Pendant nos premières répétitions, en juin 2005, Edouard Montoute a beaucoup cherché la dimension spirituelle, la foi qui anime Lucius. Dix jours avant la première, une sciatique paralysante s’est déclenchée dans sa jambe gauche, interdisant toute station debout. Les médecins l’ont soigné, mais nous ont indiqué que la seule solution pour qu’il puisse affronter un mois de représentations était l’utilisation temporaire d’une chaise roulante… Or, dès la première répétition avec la chaise, Edouard, enfin débarrassé de son corps, a soudain eu accès à toute la dimension mystique et spirituelle du personnage de Lucius !
Aujourd’hui, Edouard est définitivement guéri, mais le fauteuil roulant est devenu indispensable au personnage de Lucius tel qu’il l’a créé.
L’histoire de ce fauteuil roulant est très significative de la manière dont nous avons travaillé : de même que j’ai demandé aux acteurs de déjouer et dépasser leurs propres idées préconçues et fabrications intellectuelles, je me suis efforcée d’arriver au début des répétitions en acceptant de partir dans l’inconnu. Sans notion de résultat présupposé. Bien sûr j’étais nourrie d’un gros travail de recherches préalables, mais j’ai souhaité le confronter, honnêtement et entièrement, à la recherche sur le plateau. Ce n’est qu’au fur et à mesure du travail avec les acteurs que le chemin s’est éclairé. J’ai pu alors prendre un peu d’avance sur eux pour les guider vers l’endroit où je voyais le spectacle se dessiner.
Pour moi, c’était la seule façon saine de travailler, et de ne pas faire subir au texte une réduction faite de concepts ou de vérités établies. Je remercie les comédiens d’avoir compris et suivi ma démarche, d’avoir accepté de chercher sans savoir ce que nous allions trouver. Avons-nous trouvé aujourd’hui ? En tous cas, je crois que nous avons trouvé comment chercher…
Propos recueillis par Bernard Payen en avril 2006 à Paris.
“Lorsque j’ai assisté au spectacle donné à Londres, j’en suis sortie perturbée dans ma notion personnelle du Bien et du Mal. L’auteur met le spectateur dans la position du Jury. Les faits sont précis, les condamnations tombent, mais on est saisi par une succession d’émotions contradictoires envers les personnages, qui viennent perturber le crédit qu’on peut donner aux sentences prononcées…” Marianne Groves / Propos recueillis par Bernard Payen à Paris, avril 2006
“C’est vif, rythmé, moderne, du théâtre cinématographique. Merci Marianne Groves ! C’est grandiose, j’ai adoré. Il faut courir voir la pièce… !” Marine Vignes, Cultur'elles en Avignon, France 3, juillet 2005
“Deux heures de suspense qui nous laissent tout sauf indifférents !” Françoise Pastergue, La Marseillaise, juillet 2005
“Un moment de grâce théâtrale à ne pas manquer.” Le Quotidien Luxembourg, octobre 2005
Une bonne pièce malgré le développement d'une pernicieuse idée de la nature humaine.
Les personnages (servis par de très bons comédiens) nous étonnent, nous questionnent. Un geste répréhensible (tirer sur quelqu'un) peut-il être compris, considéré comme juste même ? Edouard Montoute sur sa chaise roulante, qui aime tant parler, qui nous fait rire, nous parait bien plus sympathique que le gardien de prison, dur et qui abuse de son autorité. Et puis on découvre que c'est un psychopathe cruel. Comment a-t-on pu s'attacher à un monstre ? Où commence le mal ? Comment passe-t-on de l'autre côté ? Une pièce grave mais pas plombante, un brin trop longue peut-être.
Une pièce extra! Dure, avec juste ce qu'il faut d'humour. En fait, une pièce réussie parce qu'elle pose des questions de fond, mais sans être prétentieuse-intello-chiante. Une mise en scène sobre et efficace. Une sorte de mélange entre Grisham (Le couloir de la mort) et Oz ou Prison break, si si. Et... Edouard Montoute, un acteur qu'on connaît tous de vue sans jamais savoir son nom. Allez-y, vous vous souviendrez de son nom! Chapeau!
Une bonne pièce malgré le développement d'une pernicieuse idée de la nature humaine.
Les personnages (servis par de très bons comédiens) nous étonnent, nous questionnent. Un geste répréhensible (tirer sur quelqu'un) peut-il être compris, considéré comme juste même ? Edouard Montoute sur sa chaise roulante, qui aime tant parler, qui nous fait rire, nous parait bien plus sympathique que le gardien de prison, dur et qui abuse de son autorité. Et puis on découvre que c'est un psychopathe cruel. Comment a-t-on pu s'attacher à un monstre ? Où commence le mal ? Comment passe-t-on de l'autre côté ? Une pièce grave mais pas plombante, un brin trop longue peut-être.
Une pièce extra! Dure, avec juste ce qu'il faut d'humour. En fait, une pièce réussie parce qu'elle pose des questions de fond, mais sans être prétentieuse-intello-chiante. Une mise en scène sobre et efficace. Une sorte de mélange entre Grisham (Le couloir de la mort) et Oz ou Prison break, si si. Et... Edouard Montoute, un acteur qu'on connaît tous de vue sans jamais savoir son nom. Allez-y, vous vous souviendrez de son nom! Chapeau!
13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony
Voiture : par la N20. Après la Croix de Berny suivre Antony centre puis le fléchage.
15 min de la porte d’Orléans.
Stationnement possible au parking Maurice Labrousse (gratuit à partir 18h30 et les dimanches), au parking du Marché (gratuit pendant 3h après validation du ticket de parking à la caisse du théâtre) et au parking de l’Hôtel de ville (gratuit pendant 1h15).