L’écriture ou la voix de Duras, dans sa conquête d’une libre simplicité toute proche du silence, a beaucoup dérivé entre les genres. Un même titre, dans son oeuvre, peut voyager d'un film à un récit, parfois à une pièce de théâtre. Et ces genres ont entretenu avec notre monde des rapports toujours plus ambigus, à mesure que les frontières entre fiction, rêverie et réel se faisaient plus flottantes, comme emportées au fil de cette voix. C’est ainsi que Roma, qui fut d’abord un moyen-métrage produit par la RAI, devint ensuite un court texte du même nom.
L’écriture s’appuie sur un film qui reconduit au théâtre et à l’Histoire. Un peu comme la rencontre d’un couple, un soir, à Rome dans le hall d’un hôtel, Piazza Navona, suscite les fantômes fugitifs d’un lointain passé impérial. Etrange mouvement de ricochet, par lequel le présent paraît rebondir sur le songe d’un passé qui le hante et où il va se perdre. A moins que ce ne soit le passé qui revienne se recueillir dans la solitude d’un présent presque anonyme.
Comme si l’autobiographie, après avoir alimenté du plus loin de l’enfance les sources de la fiction, avait fini par rejoindre le moment où l’écrivain elle-même se tenait à l’orée de son oeuvre, dans un dépouillement total. Ecrire et vivre deviennent alors comme les deux noms, mal distingués, du courant qui la traverse. L’un des derniers textes de Duras s’appelle ainsi : Ecrire. « Ecrire », y dit-elle, « c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait - on ne le sait qu’après ».
Il s’est d’abord agi de libres propos que Duras voulut tenir devant la caméra de Benoît Jacquot. Elle y parle, à son rythme, de la maison de Neauphle-le-Château qui abrita la naissance de ses livres les plus fameux, du travail de l’écrivain et de sa solitude, ou encore de la lente agonie d’une mouche, noire sur un mur blanc, à laquelle elle se fit un devoir d’assister et dont elle tient à témoigner plus de vingt ans après.
Ces paroles sont devenues un texte, conservant de la voix qui les a proférées la qualité évocatoire, le ton mi-incertain mi-impératif, les fulgurances. Cette voix, Jean-Marie Patte la connaissait bien. Pour en restituer la gravité discrète et douce, il a voulu en confier les principales inflexions à trois comédiens qui feront surgir sur scène deux des lieux-dits dont cette voix fit ses abris : la maison de Neauphle et le hall d’un hôtel sans nom, non loin de la Fontaine des Fleuves.
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