Opéra en un acte et en langue allemande
Une rencontre paradoxale
L'argument
Note d'intention du dramaturge
L'oeuvre
Rencontre paradoxale que celle du poète Hugo von Hofmannsthal et du compositeur Richard Strauss. D'un côté, la fine fleur de ce raffinement viennois dont la mélancolie pressent « l'apocalypse joyeuse » en gestation. De l'autre, l'homme d'un terroir, planté, solide, tel qu'on se l'imagine au beau milieu d'un paysage bavarois.
Malgré l'idée reçue d'une communion artistique exemplaire entre les deux hommes, c'est comme si cet opéra, Elektra, reflétait la dissemblance de ces deux caractères. La solitude, l'obsession, tel est, justement, le sujet de cette oeuvre. Chacun y est seul. Chacun dans son obsession. Et l'obsession de chacun est incommunicable. Le temps que dure cet opéra crépusculaire - le temps d'« une lente tombée du jour » dit le poète -, Électre se tient arc-boutée sur son projet de vengeance. Comme si tous les jours, Agamemnon, son père, tombait sous les coups de Clytemnestre, sa mère, et de son amant Egisthe. Entretenir vif le souvenir de cette tragédie, tel est le sens de la posture d'Électre. Tandis que Chrysothémis, sa soeur, espère lui survivre.
Comme l'écrit Hofmannsthal au compositeur : « Qui veut vivre doit oublier », faire la paix, se réconcilier. Aussi, la figure antique, archaïque d'Électre - à la fidélité intraitable - se voit-elle supplantée dans cette oeuvre par le réflexe de survie incarné par sa soeur. Loin de la pédagogie de Sophocle, où la douleur devait se purger de la haine, d'une justice rendue à titre personnel, de la jouissance du sang versé contre du sang, Électre devient comme un symptôme. Celui d'un « malaise dans la civilisation » tel que le diagnostiquera Freud.
Quant aux maîtres d'oeuvre de cette interprétation, ils en sont, eux aussi, à un moment crucial de leur vie créative lorsque cette collaboration s'engage : Hofmannsthal, dans le doute pour ce qui touche aux possibilités de l'art. Quant au compositeur, lui aussi aborde à une limite. Mais sans vouloir la transgresser.
Livret de Hugo von Hofmannsthal d'après Sophocle (1909).
Direction musicale Christoph von Dohnanyi
Mise en scène Matthias Hartmann
Décors Jan Versweyveld
Costumes Angela Purzelbaum
Dramaturgie Koen Tachelet
Dans la cour du palais de Mycènes, les servantes commentent l'attitude d'Electre depuis la mort de son père. Seule la plus jeune témoigne quelque pitié à l'égard de la princesse. Comme chaque jour, Electre invoque Agamemnon, rappelle son meurtre et exulte à l'idée de la vengeance. Chrysothémis, lasse de cette vie où ne peut s'accomplir sa féminité, vient mettre en garde sa sœur, la pressant de fuir avant que Clytemnestre et Egisthe ne la jettent au cachot ; elle s'enfuit à l'approche de la reine.
Clytemnestre paraît, chargée de pierreries. Elle s'adresse à Electre, en quête d'un remède contre les rêves qui hantent ses nuits. Electre lui suggère, à mots couverts, un sacrifice dont la victime ne serait autre que Clytemnestre elle-même, tuée de la main d'Oreste. A ce nom, la reine tremble. Emportée par sa haine, Electre lui prédit son trépas, par la hache même qui tua Agamemnon. Après qu’une confidente lui a murmuré quelques mots à l’oreille, Clytemnestre rentre dans le palais.
Chrysothémis sort en pleurs, annonçant la mort d'Oreste. Electre refuse de croire la nouvelle, tandis qu'un serviteur réclame une monture afin de prévenir Egisthe. Déterminée, Electre décide d'accomplir le double crime avec sa soeur, mais Chrysothémis horrifiée refuse et recule sous les malédictions. Electre se résout à agir seule.
Tandis qu'elle recherche la hache, un étranger s'approche. Il doit voir Clytemnestre afin de lui rapporter la nouvelle de la mort d'Oreste. Pressée de questions, Electre révèle son nom au messager qui, devant sa douleur, lui avoue qu'Oreste vit toujours.
De vieux serviteurs viennent se prosterner aux pieds du jeune homme, en qui Electre reconnaît enfin son frère. Leurs retrouvailles, attisées par le devoir de vengeance, sont interrompues par le précepteur d'Oreste. L'heure est venue et les deux hommes pénètrent dans le palais. Demeurée seule, Electre ronge son frein comme une bête captive, n'ayant pu confier la hache à son frère. Un cri terrible de Clytemnestre rompt le silence. Electre incite son frère à frapper encore.
Affolées les servantes fuient, lorsque Egisthe survient. Electre le guide jusqu'au palais où il tombe à son tour sous les coups d'Oreste. Chrysothémis apparaît, rendant grâce aux dieux du retour d'Oreste, mais Electre ne l'entend plus. Elle entame une danse et s'écroule, morte. Chrysothémis s'élance vers la porte, appelant Oreste.
Premier meurtre : Agamemnon sacrifie Iphigénie : un père tue sa fille.
Deuxième meurtre : Clytemnestre tue Agamemnon : une épouse tue son mari.
Troisième meurtre : Oreste tue Clytemnestre, un fils tue sa mère.
Une histoire familiale certes, mais, plus encore, l'histoire de l'humanité.
Et Electre ? Qui est-elle ? Quelle place occupe-t-elle dans le mythe antique (la tragédie grecque), dans la psychopathologie de notre mythologie moderne (l'opéra de Strauss) ? et dans l'actualité (la représentation de l'opéra) ? Notre inéluctable conclusion est qu'il n'existe pas "une" Electre, mais que son épaisseur historique est tissée de tout un enchevêtrement de significations, de caractéristiques, de traumatismes et de fantasmes. Electre, comme Hamlet, est l'une des figures les plus modernes du drame, parce qu'elle est doublement liée à la tragédie familiale : d'une part, elle est l'un des maillons de la chaîne de vengeance et d'autre part, elle est à l'écart, comme Hamlet, et dans l'incapacité d'exercer elle-même cette vengeance. C'est certainement cette dualité, d'un côté la force mentale et de l'autre la passivité, qui a suscité l'intérêt de Hofmannstal et Strauss.
Le génie de cet opéra ne réside pas seulement dans sa composition musicale, à la fois traditionnelle et expérimentale, mais également dans la construction extrême de sa dramaturgie. L'opéra pousse les forces (désir de venger son père) et les faiblesses (attente sans fin d'Oreste) d'Electre dans leurs ultimes retranchements. Electre est la plaie béante de notre culture moderne. Plus exactement, Electre veille à ce que la blessure familiale causée par la mort de son père ne se referme pas ; elle devient ainsi le réceptacle des marques que les blessures ont laissées dans l'esprit de tous les autres personnages. Chaque rencontre, chaque pensée, chaque mot élargit la plaie et finit par faire d'Electre une bête sauvage, déchaînée et autodestructrice.
La présente production est le fruit d'une collaboration étroite entre le chef d'orchestre, Christoph von Dohnanyi et l'équipe artistique. Elle reflète la « blessure » omniprésente non seulement dans son interprétation, mais également dans la construction du décor. Le scénographe, Jan Versweyveld, a conçu le palais d'Egisthe sur un énorme trou noir, tombe restée béante d'Agamemnon, qui rappelle constamment à Electre la mort de son père. Alors que les autres personnages s'efforcent de se détacher de l'histoire traumatique liée au mausolée, Electre, elle, décide de chérir et d'honorer la mémoire de son père, et de le venger.
Pour le metteur en scène Matthias Hartmann, Elektra est une réflexion sur la place que la violence et l'instinct de revanche occupent dans notre culture. L'opéra pose des interrogations difficiles : Pourquoi existe-t-il un lien si fort entre la violence et tant de « héros » ou « d'héroïnes » contemporains ? Pourquoi sommes-nous incapables de briser le cercle de la vengeance ? Pourquoi sommes-nous si bavards et si peu attentifs ? Electre personnifie-t-elle le côté obscur de notre désir moderne d'absolu en matière de liberté, d'individualité et d'accomplissement personnel ? Si oui, qui sont, de nos jours, les descendantes d’Electre ? Qui empêche nos blessures de se refermer ?
Aussi négatif que puisse sembler tout ceci, l'interprétation de Hartmann ne se focalise pas uniquement sur le cercle de la vengeance. La radicalité et l'agitation d'Electre recèlent une immense faculté d'empathie. Ses relations avec Clytemnestre montrent à quel point elle a besoin d'amour et de guérison. Son attitude railleuse envers la couardise de sa sœur révèle une compréhension profonde de la faiblesse humaine. Si cette nouvelle production d’Elektra doit refléter les blessures de notre temps, elle doit aussi montrer que la guérison est possible. Même si les personnages de Strauss renoncent à emprunter cette voie, il est important de montrer qu'elle existe…
Koen Tachelet, dramaturge
Elektra est la première collaboration entre Strauss et Hofmannsthal. Le compositeur avait vu la pièce, inspirée par Sophocle, au Deutsches Theater de Berlin en 1904 et il s’était tout de suite rendu compte qu’elle correspondait exactement à ce qu’il souhaitait exprimer. Mais il craignait qu’on y vît trop une ressemblance avec Salomé, son précédent opéra, et il lui fallut donc deux ans avant de prendre sa décision. Hofmannsthal parvint à le convaincre, en lui disant que : « Tandis que dans une atmosphère chargée et trouble Salomé joue dans le pourpre et le violet, Elektra est un mélange de lumière et de nuit, de noir et de clarté. »
Les femmes ont une place prédominante dans l’œuvre, dominée, bien sûr, par le personnage éponyme, qui semble n’avoir qu’un seul but : attendre le retour de son frère Oreste pour venger le meurtre de son père Agamemnon par sa mère Clytemnestre et par son amant Egisthe. Ce rôle écrasant (Electre est presque tout le temps en scène, « brûlée intérieurement » par le désir de vengeance et la haine, mais sachant aussi faire preuve d’une étonnante tendresse lors du retour de son frère), est un des plus intenses du répertoire. A ses côtés, Clytemnestre, hallucinée et paralysée par ses rêves angoissants, témoigne de l’influence grandissante à l’époque des théories freudiennes. La troisième figure féminine, Chrysothémis, la sœur d’Electre, est le seul personnage véritablement humain du drame. Elle met en garde sa sœur contre ce qui l’attend et préfère la vie à la mort. Par là même, elle révèle le sens profond de l’œuvre : « Qui veut vivre doit oublier ».
Sur le plan musical, l’œuvre est, comme Salomé, d’un seul bloc. Mais elle fait preuve encore davantage de violence que l’opéra précédent. Bien que basée sur un langage tonal, elle va aux limites de l’harmonie, en particulier lors du songe de Clytemnestre. Les passages les plus célèbres en sont le premier air d’Elektra, les confrontations entre les deux sœurs et entre la mère et la fille, et bien sûr la scène de la reconnaissance d’Oreste, dont Romain Rolland disait qu’elle « touche au sublime du cœur ».
Elektra a été créé le 25 janvier 1909 au Königliches Opernhaus de Dresde. Elektra a été représenté pour la première fois au Palais Garnier en 1932, avec Germaine Lubin dans le rôle-titre, dans une mise en scène de Jacques Rouché. En 1974, une nouvelle production était présentée dans ce théâtre, sous la direction de Karl Böhm, dans une mise en scène d’August Everding, avec Birgit Nilsson (Elektra), Christa Ludwig (Klytämnestra), Leonie Rysanek (Chrysothemis), Tom Krause (Orest). Reprise plusieurs saisons consécutives, cette production permit aussi d’entendre Ursula Schröder-Feinen (Elektra), Astrid Varnay (Klytämnestra) et Hans Sotin (Orest). En 1992, l’œuvre a fait son entrée à l’Opéra Bastille, sous la direction musicale de Michael Schoenwandt, dans une mise en scène de David Pountney, avec Gwyneth Jones (Elektra), Leonie Rysanek (Klytämnestra), Sabine Hass (Chrysothemis) et Philippe Rouillon (Orest).
Place de la Bastille 75012 Paris
Réservation possible également au 01 40 13 84 65 pour les places non disponibles en ligne et/ou pour les choisir.
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