« Affronter le feu plutôt que vivre en enfer. »
Moussa est le laveur de morts attitré de la morgue de BalBala, petite bourgade rongée par l’ennui. Un jour, Moussa réceptionne le corps de son meilleur ami, qui s’est donné la mort. Dans ce monologue, Moussa essaie de comprendre. De comprendre le geste fatal de « l’Igné » à partir de fragments épars de son histoire tourmentée. Un type bien identifié. Avec un CV. Des envies. Des emmerdes. Et des rêves qui ont explosé en plein vol. Une autopsie poétique donc. Avec pour seule médecine légale la liberté. C'est à l'Algérie qu'il dédie son ironie rageuse.
Par la Cie El Ajouad.
« On connaissait la plume de Mustapha Benfodil, lui même poète et journaliste à El Watan. Ici, c’est un réquisitoire d’une ironie puissante qu’il dresse. Qui nous faire rire autant que pleurer... » Emmanuelle Bouchez, Télérama TT
« Un spectacle collectif très fort, de qualité, extrêmement sensible et vivant ! » Le Monde
« End/Igné n’est pas un manifeste politique. C’est le cri limpide, intime, d’une jeunesse dont les rêves ont explosé en vol. Kheireddine Lardjam met en scène ce monologue que joue Azzedine Benamara avec maestria. » L'Humanité
« Un monologue puissant. À réserver d’urgence ! » La Terrasse
« Un texte fort et poignant. Un évènement unique à ne surtout pas manquer. » Théatrorama
« Un moment de théâtre d’une délivrance et d’une évasion inouïes. » Inferno
« Un vrai bijou de texte. Une vraie performance. » Reg'Arts
« Un double monologue à l’humour acerbe, d’une fulgurance poétique, d’une étonnante virtuosité. » Théâtre du blog
A travers ce texte, j’essaie d’aborder un sujet brûlant : celui des immolations par le feu qui ravagent le corps de dizaines de mes compatriotes. Sujet difficile s’il en est. Extrêmement compliqué à porter sur le plateau. Comme tous les sujets où le background social est fortement présent. On sait par avance que l’on va se casser la gueule, esthétiquement parlant. C’est comme de dire à un auteur tunisien : Fais-nous une pièce sur Ben Ali. Car la tentation est grande de se laisser aller à du théâtre documentaire. Surtout que je suis également reporter (au quotidien algérien El Watan) et j’ai eu à travailler sur ce thème. Que dire de plus que ce que disent les journaux ? Que ce que disent les acteurs eux-mêmes de cette tragédie ? Comment éviter la tentation du pathos, du discours militant, et la facilité de plaquer telles quelles des paroles cueillies dans la bouche des immolés, des séquences-reportages, en plagiant le Réel ?
Il ne s’agit donc pas ici de se prêter à un « théâtre d’information ». Même si l’actualité est dans les coulisses. Ou l’arrière-scène. D’où la distance. L’Humour. La Fable. Le Cynisme. La Dérision. La Poésie. Même si je n’ai pas le recul nécessaire, temporellement et émotionnellement parlant. La construction du texte est dictée dès lors par cette obsession de « ne pas copier le Réel », de ne pas le transposer brutalement sur scène. Un impératif d’autant plus prégnant qu’en jouant avec le feu (au propre comme au figuré), certaines voix ne manqueront pas de crier à la récupération. A fortiori quand on sait que c’est par un immolé, Mohamed El Bouazizi, que les insurrections arabes sont arrivées.
Problème complexe donc. Problème esthétique. Problème éthique. Pourtant, quand le metteur en scène Kheireddine Lardjam m’a proposé d’écrire quelque chose sur ce sujet, je n’ai pas hésité une seule seconde à dire oui. Surtout que de mon côté, dans ma littérature du moment, il se trouve que ce sujet hantait mon écriture, et j’avais même commis un chapitre dans un roman en cours, intitulé L’AntiLivre, sous le titre : « L’Ind/Igné ». J’en avais donné lecture devant un public marseillais, et l’effet que cela a provoqué m’a conforté dans l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’attendre cinquante ans pour se donner la légitimité d’aborder une thématique jugée « sensible », et que les affaires de la Cité les plus pressantes, si rétives soient-elles à un traitement dramaturgique, ne devraient pas nous empêcher de les triturer au prétexte qu’elles sont trop vives dans la conscience collective. Il y a toujours une manière de convoquer le présent, de le transcender, de le sublimer dans le champ symbolique. Et pas forcément pour opérer une catharsis. Pas nécessairement sous l’angle du tragique. Je reste convaincu que le théâtre a aussi pour boulot de dire le monde. Reste à savoir avec quels mots. Pour ma part, j’ai fait le pari de l’intériorité, de l’intime ignition, de la citoyenneté refoulée. Loin de moi le projet d’écrire une sociologie du désastre. Ni un manifeste politique. Même si le politique se profile, est à l’affût derrière chaque hémistiche, s’immisce jusque dans les interstices du silence. Mon propos est simplement de dire : qu’est-ce que/QUI est-ce que le feu a brûlé ? D’où l’eau. L’air. La terre. Et le fou. Le cinquième élément – l’homme, oui, ce fou. Petit grain de sable qui cherche à bousiller l’ordre quantique et la mécanique du monde. Avant de péter un câble. De péter tout court.
D’où l’autopsie. Pas l’autopsie du corps social. Juste celle d’un corps qui a mal. Un type bien identifié. Avec un CV. Des envies. Des emmerdes. Et des rêves qui ont explosé en plein vol. Une autopsie poétique donc. Avec pour seule médecine légale la liberté du scalpel.
Mustapha Benfodil
Le 17 décembre dernier, Mohamed Bouazizi, un jeune Tunisien de la région de Sidi Bouzid, s’immole par le feu devant la préfecture. La police venait de lui confisquer tout son étalage de fruits et légumes. Jeune diplômé au chômage, il n’avait trouvé que ce moyen pour nourrir sa mère et ses soeurs et il s’en trouve soudain privé. La suite, on la connaît. Ce suicide public a entraîné une vague de contestation sans précédent dans tout le pays qui a conduit le 14 janvier 2011 au départ du président Ben Ali, au pouvoir depuis vingt-trois ans. Et c’est le début des révolutions arabes mais aussi d’une multiplication des cas d’immolation dans le Maghreb. Ceux qui tentent de l’imiter se reconnaissent dans cette douleur et cette détresse exprimées. Ils estiment vivre dans les mêmes conditions que Mohamed Bouazizi et qu’il a ouvert la voie. Dans la foulée, en Tunisie, il y a eu plusieurs cas, avant ceux plus récents en Algérie, au Maroc, en Egypte ou en Mauritanie.
En réalité cet acte ne concerne pas que les pays du Sud, mais il s’agit là d’un acte universel. Car Mohamed Bouazizi a entre autres, un précédent célèbre en Europe. Le 16 août 1969, Jan Palach, étudiant tchécoslovaque, s’immole par le feu sur la place Wenceslas, à Prague. Il proteste contre l’invasion de son pays par l’Union soviétique. Un acte spectaculaire qui, comme dans le cas du jeune Tunisien, fait de lui l’icône du printemps de Prague. Deux de ses camarades l’imitent. En France de 2007 à 2011, trois personnes se sont immolées dans la Mairie de Saint- Denis, pour des problèmes de logement ; le 13 octobre 2011, c’est le fait d’une enseignante à Béziers ; le 26 du même mois, c’est au tour d’une femme de 68 ans devant l’Elysée et pendant l’été 2012, un homme va s’immolé dans les locaux de la CAF en région parisienne et en 2013, un jeune s’immolera devant Pôle emploi à Nantes … Les exemples sont nombreux.
Mais pour les jeunes maghrébins aspirant au changement, l’autoimmolation est dorénavant la seule option possible, afin de protester contre les gouvernements qui gèrent mal leurs affaires, les marginalisent et les privent des conditions de vie décentes.
« Affronter le feu plutôt que vivre en enfer », c’est ce que revendiquent par exemple les jeunes en Algérie. Autrement dit, le premier message passé par l’immolation est que celui qui s’adonne à un tel acte ne peut plus supporter les conditions extrêmes dans lesquelles il vit.
Ces suicidés très particuliers cherchent à se couper de ce monde violent et injuste. « La peau est notre limite, elle est notre contact avec l’extérieur ». En la brûlant, ils se coupent définitivement de tout. Le feu a aussi une symbolique très forte dans toutes les cultures. C’est l’idée de pureté. Si l’immolation est la dernière flamme de vie et la plus spectaculaire, elle est aussi celle qui purifie, soi-même et ce monde si laid.
Dans le cas de l’immolation par le feu, l’acte est public. Il désigne en soi la société comme responsable. C’est vraiment un “j’accuse”, un acte de protestation publique. C’est la façon la plus voyante de protester quand on ne peut ni parler ni être entendu. C’est le cri des opprimés de toutes natures. Et c’est cette parole que je souhaite questionner au théâtre.
Pour cela, j’ai décidé de passer une commande d’écriture à Mustapha Benfodil. Auteur de théâtre, romancier mais journaliste aussi, Benfodil a mené plusieurs reportages sur le sujet pour le journal « El Watan ». Il a écrit aussi plusieurs poèmes sur ces jeunes qui s’auto-immolent. Inviter Mustpha Benfodil à écrire ce texte m’apparaît comme une évidence. Raconter l’histoire de ces jeunes au théâtre est une autre manière de leur donner la parole sur une autre place publique : La scène. Une parole de colère, mais aussi une parole poétique, qui nous pousse à voir autre chose que la violence de cet acte. À Entendre leurs histoires.
Kheireddine Lardjam
comédien très impliqué, remarquable dans la deuxième partie. un très beau travail avec la lumière.
Pour 1 Notes
comédien très impliqué, remarquable dans la deuxième partie. un très beau travail avec la lumière.
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris