Est-il nécessaire d’avoir quitté Marseille pour pouvoir en parler ?
Tentative d'autoévaluation
... En forme d'opérette
Au piano - Ondioline Marcel Gaëtan
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« Arrivé au milieu du chemin de ma vie (je venais d’avoir 58 ans), je décidais de dire enfin la vérité et de révéler des révélations révélantes. Une sorte de coming out, si l’on veut. Non ! Pas celui-là ! Le coming-out de la langue. (tirer la langue ?)
Donc, encore une fois, comment étant né et ayant grandi au sein d’une famille populaire et pauvre à Marseille, ayant été porté par un souffle de la Résistance, étant le produit de l’école laïque et républicaine, n’étant l’héritier de rien du tout sinon des valeurs de la démocratie, comment avoir une place, même modeste, dans l’Histoire du Théâtre ?
Moi, je le tente, à l’instar de Pagnol, en poursuivant l’écriture d’une trilogie. Après Au vrai chichi marseillais - tragédie un peu grasse qui parlait de ma famille et du chien Coolie, après Inutile de tuer son père le monde s’en charge qui parlait du susnommé, troisième volet de mon chemin de croix : Et ta sœur ? tentative d’autoévaluation en forme d’opérette qui, évidemment, parlera de moi et qui tentera de répondre à la question suivante : est-il nécessaire d’avoir quitté Marseille pour pouvoir en parler ? »
Pierre Ascaride
Evidemment ce n’est pas moi qui ait écrit ce texte, mais ainsi commence le très beau roman de Mesa Selimovic Le Derviche et la mort que l’on vient de m’offrir. Et tel le faussaire patenté que je suis, je ne pouvais que l’utiliser car il recoupe singulièrement ce que j’imagine de mon prochain spectacle.
Pour être franc, je n’ai pas toujours eu l’honnêteté de citer ainsi mes sources (comprenne qui pourra). Moi, j’avais prévu de commencer plus platement : arrivé au milieu du chemin de ma vie, (je venais d’avoir 58 ans), je décidais de faire le point.
En fait, depuis vingt ans, à chaque spectacle, je pense que je vais mettre un terme définitif à mes interrogations, mais une fois ce travail terminé, j’éprouve le besoin d’en remettre une couche dans le suivant.
Donc, encore une fois, comment, étant né et ayant grandi au sein d’une famille populaire et pauvre, à Marseille, ayant été porté par un souffle de la Résistance, étant le produit de l’école laïque et républicaine, n’étant l’héritier de rien du tout sinon des valeurs de la démocratie, comment avoir une place, même modeste, dans l’Histoire du Théâtre ? Comment ? Comment ? Comment ? Comment avancer ? Mais me faut-il vraiment encore avancer ?
Surtout que moi, j’avance appuyé sur des morts (morts-morts ou morts à venir), moi, je suis un peu comme Charlot dans Les Temps Modernes (en toute modestie, bien entendu !) J’ai ramassé le drapeau et je me retrouve, malgré moi, à la tête d’une manifestation de morts que je tire derrière moi, qui me colle aux basques mais qui me poussent aussi.
- "Ohou ! Arrêtez les morts, vous allez me faire tomber dans la fosse d’orchestre. Arrêtez de me pincer le cul par derrière ! De me tirer les couilles entre les jambes ! Vous vous croyez drôles ?"
“J’entreprends ce [spectacle], sans raison, sans profit pour moi-même ni pour les autres, poussé par le besoin, plus fort que le profit et la raison de laisser un écrit parlant de moi, témoin du torturant dialogue avec moi-même, dans le lointain espoir de découvrir une issue une fois les comptes faits, s’ils le sont jamais, (...) Je pourrai ainsi me voir tel que je suis devenu, cet être étrange, inconnu, (...). Je serai aussi honnête qu’il m’est possible…”*
Il y a de tout : des morts de rire, des morts à la guerre, des morts d’une glissade, des mortes en couches, des mortes dans leur sommeil, des rascle morts, des la-putain-de-tes-morts, des morts nés et même des morts vivants.
Et moi, je suis là pour leur redonner vie, pour les faire exister encore une fois. Moi, je fais la résurrection de morts que plus personne ne connait. Imiter Montand ou Dario Moreno c’est facile, tu as le disque ! Mais là ?... Faire revenir Marcelle la boiteuse qui n’est plus rien pour personne !
Ces morts là, c’est coton…
Et puis il y a mon père qui revient, qui passe devant tout le monde, qui se met au premier rang et qui commence à faire des phrases : Vous savez, c’était extrêmement pittoresque… Ils sont là, entassés comme dans un dessin de Dubout et moi, je dois m’auto-évaluer
au milieu d’eux.
- Mes premières fois
Avec eux, il va falloir que je parle de mes premières fois.
- La première fois où je suis allé au théâtre
- La première fois où mon père m’a foutu à la porte
- La première fois où je suis allé camper avec les scouts.
- La première fois où je suis allé au conservatoire de Marseille pour perdre mon accent (et ma langue, non ?)
- La première fois où j’ai fait l’amour à Jambonnette, la femme du Proctologue qui draguait ma mère
- La première fois où j’ai tué la poule
- La première fois que Le Pen s’est assis à côté de moi
- La première fois où j’ai eu le ver solitaire
- La première fois où je suis devenu professionnel de la profession et où j’ai appris à slalomer entre la critique, le Ministre de la Culture, les collègues, l’Observatoire des Politiques Culturelles, les petites à D.E.S.S. et la trahison.
- Mon je-me-sors-dehors
Alors, enfin, je vais faire mon : je-me-sors-dehors (mon coming out, couillon !) Evidemment pas sexuel, (quoi que...) mais spécifique, pas facile à assumer. Je peux pas encore en dire plus…C’est dur !
- J’écris tout !
Cette fois, il n’y aura plus mon père pour me tenir la main, pour me servir de guide-âne avec son histoire. Cette fois, tout seul comme un grand : J’écris tout ! Et tout est vrai ! Je n’ai aucune imagination, j’ai seulement une très bonne mémoire. Tout mon travail, c’est de donner une forme à tout ça, de l’écrire dans une langue qui est ma langue maternelle.
* Mésa Selimovic. Né en 1910 à Tuzla, fait ses études à la faculté de philosophie de Belgrade. Il participe, dès 1941, au comité national de Libération. Son oeuvre comporte des romans, un essai, des recueils de nouvelles et de souvenirs et lui a valu les plus hautes récompenses littéraires. Membre des académies des Sciences et des Arts de Serbie et de Bosnie-Herzégovine, docteur honoris causa de l’université de Sarajevo, il est mort à Belgrade le 11 juillet 1982.
Parce qu’en France, tout finit par des chansons ? Je n’aime pas ce genre de déclaration qui fleure bon son pétainisme mais j’avoue que j’adore l’opérette, cette forme désuète. Que l’innocence et la candeur qu’elle convoque me parait une réponse pertinente à la fausse modernité des jeunes vieilles barbes.
Et puis les chansons ont souvent constitué une manière de livre d’heures pour les gens qui ne sont pas allés à l’école. Une sorte de philosophie en petit format,
pourrait-on dire. Ma tante Victorine, pour chaque événement de la vie, pouvait répondre par un refrain. Je voudrais l’égaler. Faire croire aux foules en délire que j’ai la chanson dans le sang, qu’elle surgit de moi comme je respire, que je suis le monstrueux descendant de la grande partouze :
Vincent Scotto + Alibert + Fernandel + Jenny Helia + Huguette Simon (c’est ma tante), plus, plus, plus... toutes celles et ceux qui ont écumé les casinos de Cuges-les-Pins à Forcalquier en passant par Lamalou-les-Bains et Palavas-les-flots. Tous ces artistes sincères et amoureux de leur art dont les princesses Trebor sont les descendantes.
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Ce ne sera évidement pas lui qui m’accompagnera. Est-il encore vivant ? A-t-il jamais existé ? Je ne sais. Seulement vers la fin des années 50, il y avait en bas de la Canebière, à main gauche en descendant, avant la Place de la Bourse, un cinéma porno malencontreusement nommé Le Raimu où, à l’entracte, passaient des numéros de strip-tease accompagnés au piano par ce fameux Marcel Gaëtan. C’est du moins ce qu’affirmait la réclame que je lisais tous les jours dans La Marseillaise, le quotidien communiste.
N’ayant jamais fait mon âge et surtout trop timoré, je n’ai jamais osé entrer dans ce lieu de débauche mais l’évocation du piano-ondioline me fait encore frémir.
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Ce genre de spectacle se fait avec des compagnons de route comme une promenade. Eugène Labiche, qui écrivit la plupart de ses textes en collaboration, disait que c’était comme à la chasse, c’était plus plaisant d’écrire à plusieurs. Aussi nous cheminons depuis février pour des sessions de travail avec Benoît Lambert et Estelle Savasta. Ils ont leurs projets qui seront programmés à Malakoff dans les années à venir mais ils vont endosser le rôle de regard extérieur. Je crois beaucoup à cette trinité.
Lors de la création de Et ta soeur ? en septembre 2007, je bouclerai mes quarante premières années de carrière, je suis heureux de le faire en compagnie d’artistes auxquels il reste une route presque aussi longue.
88, rue Saint-Denis 92700 Colombes
En voiture : tout droit depuis la porte de Champerret par le pont de Courbevoie. A La Garenne-Colombes, au rond-point, prendre la 1ère sortie et continuer sur : D106 / Avenue Du Général De Gaulle. En entrant dans Colombes prendre : D13 / Place Du Général Leclerc puis le bd De Valmy.
Parking de l'Hôtel de ville : 5 rue Verdun (se munir de monnaie).