« Je n’ai jamais oublié que nous sommes ici non pour y être heureux mais parce que là-bas nous n’aurions tout simplement pas vécu. »
Feu pour feu retrace l’exil d’un homme et de son bébé de la Terre Noire au Continent Blanc, dans une démocratie dominée par la loi du marché à l’heure de la dégradation spectaculaire de la culture.
C’est aussi le saisissant cri d’amour d’un parent pour son enfant, entre deux générations, deux pays et deux réalités diamétralement opposés.
Dans un village africain en flammes, un homme fait le mort au milieu d’un charnier. À la nuit tombée, alors que les auteurs du massacre repartent au volant de leurs 4X4, l’homme se relève, cherche sa femme parmi les cadavres et trouve, sous elle, leur bébé de quelques mois. La petite semble inerte mais au moment où il la soulève, elle pousse un hurlement. Le père et la fille s’enfuient.
Débute pour eux une longue errance qui les mènera dans un lieu dont le père, contrairement à d’autres, n’avait pas rêvé. Au lendemain du tragique incendie allumé quinze ans plus tard, pour une broutille, par sa fille et deux de ses amies, le père dévasté adresse à l’adolescente qui dort en prison, le récit de leur histoire familiale. On suit ainsi leur périple ponctué d’épreuves, de menaces, mais aussi de belles rencontres, de gestes généreux, et leur quotidien dans une cité de banlieue.
S’impose alors le fossé entre la force de survie du père, son sentiment de gratitude envers une terre d’asile pourtant peu bienveillante, et le désœuvrement, l’absence de but, de repères, d’une jeunesse à qui rien d’autre n’est promis que le chômage et le béton et qui doit bien trouver des exutoires (au mieux dans la réinvention de la langue, de la musique, etc, au pire dans la violence) à sa vitalité.
Au bout de cette nuit où la voix du père porte aussi, par moments, celle de la fille, sera révélé ce que leur existence a de précieux. Mais sans doute est-il trop tard et les enseignements de l’horreur impossible à transmettre autrement que par sa résurgence sous d’autres formes.
Carole Zalberg
Chaque jour, en Europe, nous sommes confrontés à l’arrivée massive de populations fuyant l’horreur de la guerre. Une guerre entretenue par des luttes mafieuses servant les intérêts des multinationales, dans le seul but d’augmenter leur profit, sans aucun scrupule. Adama et son père font partie de cette nuée. Ils ont quitté leur pays, perdu leurs cultures. Ils sont censés s’intégrer, mais à quoi ? Aux obscénités de nos démocraties corrompues, aux valeurs occidentales qui ne correspondent désormais qu’à une misérable dégradation spectaculaire-américaine de toute culture ? Oui, malheureusement.
Le Capital/Continent Blanc n’a pas seulement besoin d’une main d’œuvre à bas coût, mais aussi d’individus non-sociaux, capables d’interagir uniquement à travers la forme aliénée et aliénante de l’échange mercantile. Des “hommes nouveaux”. Homologués, stéréotypés et apatrides, intoxiqués par une pensée unique incontestable et irréversible. À travers la création d’un imaginaire global, capable de conditionner les choix de ces nouveaux êtres inhumains, le Capital/Continent Blanc n’agit pas seulement sur le plan social, mais aussi sur le plan anthropologique et génétique.
Toute identité, y compris sexuelle, pouvant représenter un obstacle à une réification de masse, devra se plier à la seule forme d’autorictas reconnue : celle de la forme-marchandise. Cet hurlement poétique de Carole Zalberg, reste le plus efficace et, peut-être, le seul acte de résistance possible envers ces échos d’une pensée absolue. Même les mots sont devenus inhérents au Capital, dans un épouvantable processus de réécriture d’une nov-langue orwellienne.
Nous vivons aujourd’hui dans une post-démocratie autoritaire, gérée par les lois du marché. C’est la démocratie des politiciens corrompus, des journaux contrôlés par la finance et de l’état d’urgence. La désobéissance civile envers un État qui nous spolie de tout, au nom des intérêts économiques, risque de devenir bientôt une nécessité vitale.
Et, exactement à la manière d’Adama, chacun de nous pourrait vouloir accomplir un geste de rupture avec un système paraissant de plus en plus fragile et faux, tel un vieux régime fasciste et autoritaire du siècle dernier.
Gerardo Maffei
Un lieu qui veut être nulle part, épuré de tous indicateurs spatio-temporels. Un non-lieu où faire vivre Feu pour feu comme un mythe contemporain, comme histoire archétype de notre génération.
Dans cet espace, une structure se développe en hauteur : un lit/trône démesuré. Le lit, symbole de protection, nid, refuge, synthèse de la maison, et le trône, symbole du pouvoir et de l’opulence. Cette dualité de symboles, génère une structure ambitieuse mais à l’apparence fragile et instable, qui a été construite sur un sol de plumes, pour nous rappeler le caractère éphémère de tout ce que le personnage met en place pour lui-même et pour sa fille tout au long de la pièce.
La structure principale, en fer, est composée d’un lit avec un piètement démesuré, qui dépasse la taille de la comédienne, d’un dossier lui aussi démesuré, à la fois tête de lit et dossier du trône, et de deux échelles symétriques en permettant l’accès. Ce trône est sans rembourrage, pas de matelas, pas de coussins. Seulement le sommier en fer. La publicité trompeuse du jeu du Capitalisme : « Viens, toi aussi tu peux avoir ton trône magnifique » et quand on y arrive l’image ne correspond pas du tout à la réalité. Le périmètre du lit est démarqué par une guirlande de leds blanches s’allumant et s’éteignant en écho à la dramaturgie. Devant le lit, un panneau avec EXIT en rouge. Inspirée des mythes d’Icare et de Dédale, dont l’écho avec le propos de Feu pour feu est manifeste, cette scénographie s’installe entre le mythe et les symboles de notre société.
Comme dans le mythe, un père, motivé par un voyage obligé et un rêve de vie future pour lui et son enfant, construit des ailes pour son fils, mais le rêve du protagoniste se casse, faute d’ambition, dans une marée de plumes. Son voyage est symbolisé par la pérégrination sans cesse du comédien dans l’espace créé par la scénographie. Son vécu est une empreinte qu’il laisse dans le désert de plumes : à chaque pas une empreinte se trace sur le plateau, mais cette trace est éphémère car les plumes la recouvrent aussi vite.
Federica Buffoli et Marta Pasquetti
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris