Dans Fin de partie, un monde clos et sans vie apparente, tout le monde est mort, sauf Hamm et Clov. Immobilisés, infirmes, ils se déplacent difficilement dans un quotidien sans cesse recommencé et rythmé par des occupations prévues, attendues, répétées. L’histoire a déjà eu lieu, leurs paroles sont désoeuvrées, leur mémoire est en lambeaux, comme la nôtre. Ils se provoquent, négocient leur séparation, leur départ. Peut-être.
Il s’agit de la fin d’un monde, de la fin du monde, où tout reste pourtant possible. Encore. Beckett paraît alors toucher au plus près de ce que nous vivons. Le texte, volontairement provocateur, laisse percer une dérision constante. La mise en scène et l’interprétation d’Alain Simon en révèle toute la force et toute la dérision.
«Finir dès le commencement. L’axe principal est de chercher du côté du temps, abordé d’emblée par la fin ; fin de la représentation, de l’action, de la vie. L’obsession, la crainte ou l’envie de finir vont à l’encontre de la tradition théâtrale où le commencement se caractérise plutôt par un projet à accomplir ou un problème à résoudre. Ici le temps est émietté, vide et immobile ; il patine et bégaie, certaines actions se reproduisant déjà à l’identique. Les personnages s’en préoccupent, en parlent, l’étirent ou l’abrègent dès les premiers instants du texte, parodiant l’exposition classique…
Il est clair que ce théâtre déroge aux règles ordinaires de la dramaturgie et qu’il s’attaque aux conventions qu’il parodie à plusieurs reprises. Sans mettre en place d’intrigue, sans préciser de lieu, ironisant sur le discours pompeux tenu par un cabotin qui s’écoute parler, Beckett donne à voir un « envers du théâtre ». Si des poubelles constituent l’essentiel de l’ameublement, l’ennui peut être un moteur convenable de l’action pour des personnages oscillant entre la clownerie et le pathos.»
Jean-Pierre Ryngaert
136, rue Loubon 13003 Marseille