Fin de patrie

Théâtre clownesque sur le thème de la guerre. "C’est indubitable, la guerre revient régulièrement à la mode. Il y en a toujours un petite quelque part. De temps en temps, elle arrive près de chez nous, et, reconnaissons-le, cette soudaine proximité la fait alors passer loin devant le foot, les collections automne-hiver et la météo, alors que jamais les Tutsis et les Hutus n’ont réussi à déplacer l’heure du loto. Elle réveille nos intellectuels, perturbe nos politiques, et encombre nos consciences."

“... inconsciemment l’humanité ne veut pas risquer de se voir privée du refuge périodique dans la guerre. Elle ne veut pas non plus être frustrée de sa fête la plus grandiose et la plus enivrante.”

Gaston Bouthoul, Traité de polémologie, sociologie des guerres

Qu'est-ce à dire ?
Le théâtre aux armées

La mise en scène

L’esprit

La stratégie interne

Le champ de bataille
Les soldats
Le déroulement des opérations
1ère séquence : Les pieds

2ème séquence : Une brise légère

3ème séquence : L’esprit de corps

4ème séquence : La violence fondamentale

5ème séquence : La religion

6ème séquence : Livre d’images

7ème séquence : les nombrils
8ème séquence : les tentes
9ème séquence : Les otaries
10ème séquence : La guerre civile

Le Crik

La presse

C’est indubitable, la guerre revient régulièrement à la mode. Il y en a toujours un petite quelque part. De temps en temps, elle arrive près de chez nous, et, reconnaissons-le, cette soudaine proximité la fait alors passer loin devant le foot, les collections automne-hiver et la météo, alors que jamais les Tutsis et les Hutus n’ont réussi à déplacer l’heure du loto. Elle réveille nos intellectuels, perturbe nos politiques, et encombre nos consciences.

On avait dit “plus jamais ça” et voilà que, mis à part les va-t-en-guerre de tous poils, on est bien embêté. Notre monde devenant de plus en plus moderne, les téléphones de plus en plus portables et les déodorants de plus en plus déodorants, nous finissions par l’oublier, la trouver désuète, la guerre.

Et elle revient, pas moderne du tout, car on a beau dire, la guerre n’est pas moderne. Elle peut se parer des derniers oripeaux technologiques, c’est toujours la même chose : un agité qui arrive au pouvoir, un prurit nationaliste, un bout de jardin convoité, un voisin pas comme nous ou un dieu particulièrement exigeant et c’est reparti comme en 14. Interethniques, civiles, tribales, religieuses, de gangs, planétaires ou de quartiers, les raisons de faire la guerre sont toujours les mêmes depuis la nuit des temps. Et toujours aussi absurdes. C’est un truisme, mais nous n’y pouvons rien. Au départ, tout au départ, il y a d’innombrables très bonnes raisons pour faire mourir des tas de gens.

La plupart du temps, ces raisons ne sont en fait que des prétextes masquant la très archaïque impulsion belliqueuse. Il n’y a pas de guerre juste même s’il est parfois juste de la faire, malheureusement. Voilà, nous avons envie de parler de la guerre. Nous sommes désarmés, réduits à l’incompréhension et à l’impuissance devant les sacs de nœuds de l’Histoire, et ce désarroi nous voulons en faire du théâtre.

Aucune morale à transmettre. Quand on a dit : “quelle connerie la guerre” on a tout et rien dit. Juste un pied de nez, un croc-en-jambe, un bras d’honneur, quelque chose de drôle et cruel. Crosse en l’air et rire en bandoulière !

Jean-François Maurier

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La mise en scène
Dans ce genre de travail, écriture et mise en scène sont inextricablement liées. Le rôle du metteur en scène est dans un premier temps de définir l’esprit général du projet, les axes de recherche permettant l’écriture et la dramaturgie. Il en est le garant et ce n’est qu’une fois la structure du spectacle établie que l’on approfondit les questions des mouvements de plateau, du jeu des acteurs et de la fabrication des images scéniques.

L’esprit
Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la guerre déclarée mais ses causes, ses points de rupture, son terreau, ce qui fonde et justifie l’impulsion belliqueuse. Ce qui nous intéresse aussi ce sont les passerelles entre agressivité individuelle et bellicisme collectif.
Le spectacle alterne situations de conflits et images de guerre, absurdes, fantasmatiques, dérisoires et dérangeantes, au plus près d’un déroulement onirique.

Nous utilisons pour structurer le spectacle les matériaux du rêve : associations évidentes ou cachées, images récurrentes, affects et espaces lunatiques. C’est à une mise à distance sous forme de "chaud/froid", que nous convions le spectateur, en cherchant à éviter tout didactisme ou effet cathartique.

La stratégie interne
1/ La guerre offrant une multiplicité de visages, nous ne racontons pas l’histoire d’une guerre mais des histoires de guerre.

2/ Nos histoires s’inspirent des expériences passées, présentes et sans doute à venir. Néanmoins, nous essayons de ne jamais faire référence à des conflits (religions, territoires...) précis. Nous usons de la métaphore et du détournement pour parler de l’universalité du problème.

3/ Le sujet traité ne prête à priori pas à rire, pourtant, fidèles à la ligne tracée par le Comité central du Crik, nos personnages sont résolument clownesques. Parce qu’en définitive, on en revient toujours à une certaine primitivité (enfantine ou archaïque) en matière de guerre, le clown nous apparaît comme étant l’homme de la situation. Nous ne nous interdisons donc aucune sorte de rire, surtout pas le jaune.

4/ En ce qui concerne la méthode de travail, nous fonctionnons par improvisations, en suivant des axes de recherche. L’essentiel du travail vient donc du plateau et la structure du spectacle s’est construite à partir de constants allers-retours plateau/table de travail.

5/ Il s’agit donc d’une forme de création collective revendiquée et assumée.

Le champ de bataille
Dans les guerres il est beaucoup question d’espaces à défendre ou à envahir. Nous partons donc d’un espace nu sur lequel viennent s’inscrire et se détruire rapidement de nouveaux territoires.
La construction de ces territoires se fait d’abord autour du comédien/clown et à partir des possibilités conflictuelles qu’ils génèrent.
L’idée même de décor étant quelque peu étrangère au monde du clown, nous parlerons plutôt d’éléments mobiles, évocateurs et peu onéreux. Ça va du simple caillou à la tente de camping en passant par le rond lumineux et le déboucheur porte drapeau.
Un portant mobile sert non seulement de portant mais aussi d’effaceur d’images et un praticable à roulettes permet de focaliser certaines situations.
Le tout devrait tenir dans une jeep.

Les soldats
Il y a d’une part les simples bidasses à peine sortis de l’enfance, des clowns de base pourrait-on dire. Ils ont pour mission d’incarner l’universel et de poser les situations à leur manière. Arrivés aux points de rupture, ils passent le relais à ceux que nous appelons les " militaires ", inquiétants et déroutants qui traitent les problèmes à leur manière eux aussi.
Pour échapper à tout schématisme, les deux types de personnages sont tout autant porteurs de naïveté que de noirceur.
Les comédiens endossent indifféremment les défroques des uns ou des autres.
Ils portent un maquillage proche de celui des clowns blancs, cruauté et peur en sous-couche ; quelquefois avec le nez, rouge quelquefois sans…
Une dernière précision : tout le monde parle couramment le grommelot, (les grommelots devrait-on dire) le langage guerrier se devant d’être universel. Il n’y aura donc pas une seule parole échangée dans une langue connue. On s’y fait très vite.

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Avertissement
Compte tenu :
1/ de l'absence de texte,
2/ de l’atmosphère onirique,
3/ du caractère OVNI du projet,
4/ de l’importance des images et de l’impossibilité d’en rendre compte par des mots,

Le déroulement séquencé qui va suivre est nécessairement elliptique et demande de la part du lecteur un effort d’imagination assez important ce dont nous vous prions de bien vouloir nous excuser. En espérant tout de même vous donner l’envie de venir voir le résultat final.

1ère séquence : Les pieds
Un pied apparaît (appelons le 1) autoéclairé par une source lumineuse à hauteur du genou. La source est occultée par un abat jour fixé au dessus du genou. Le rond de lumière définit un territoire que le pied occupe en se posant dessus. Puis il se livre à un rituel d’appropriation : définition des frontières, apparition d’un drapeau, hymne patriotique. Un arrosoir surgit au-dessus de lui et l’arrose d’une pluie bénéfique. Le pied est content.
Un 2ème pied apparaît (appelons le 2) à son tour, tout proche de 1 et en tout point semblable à lui. Même parcours, à ceci près que l’arrosoir est vide. 2 n’est pas content. Il demande à 1 de le dépanner ce que 1 refuse de faire malgré l’insistance de 2. Frustration, montée de l’agressivité et c’est parti !
Au moment où 2 se pose sur le territoire de 1, les lumières s’éteignent et une mèche s’enflamme. Elle parcourt le plateau pendant une trentaine de secondes.

2ème séquence : Une brise légère
C’est une image rapide est hallucinatoire : ça commence par un bruit énorme qu’on identifie comme le souffle d’une explosion nucléaire, puis suivent 3 ou 4 flashes de lumières qui nous laissent entrevoir des personnages surpris dans leur quotidien. Leurs corps se découpent bizarrement dans la fumée. Leurs visages surtout semblent irréels. Le souffle atteint la salle de spectacle. Le bruit retombe, et une musique de fanfare militaire démarre.

3ème séquence : L’esprit de corps
Du fond du plateau surgit la cavalerie. Ils sont 6, vêtus de costumes militaires d’officier et chevauchant des chaises à califourchon. Ils viennent s’installer face public, la musique s’arrête lentement et ils contemplent la salle comme un terrain d’opération. Puis ils parlent chacun leur tour dans un grommelot guttural qui sera leur marque. Ce qu’ils racontent, peu importe. En tout cas ça finit par les faire rire. Apparemment ils se moquent de l’un d’entre eux. L’atmosphère est bon enfant, tout le monde rit, même la " victime ". Un coup de feu éclate, un corps s’affaisse sur sa chaise. Les rires se poursuivent. Puis on se lève pour poser sa chaise au fond et on revient entourer le mort en ôtant son calot avec un léger amusement dans les regards. Un chant s’élève mi sonnerie au mort mi chanson enfantine. Le corps est soulevé sur sa chaise. La procession part vers le fond, le mort se redresse et sourit au public.

4ème séquence : La violence fondamentale
Ils se débarrassent de leur tenue militaire pour apparaître habillés comme des enfants, avec shorts, bretelles et chemisettes, le kaki restant la couleur dominante.

Nos personnages ont maintenant leur nez rouge ; ils observent craintivement leur environnement comme s’ils le découvraient, à la manière d’animaux sauvages. Puis ils s ‘avancent à la face et déroulent un fil de fer barbelé entre eux et le public. Suit une parade collective d’intimidation défensive (Konrad Lorentz) d’abord animale, puis glissant, comme par anthropomorphisme inversé, vers des comportements agressifs très humains.
L’agressivité se retourne vers l’un d’eux de manière violente et absurde. Lynché à mort, sa dépouille est pleurée,vite oubliée et transformée en nouveau sujet d’antagonisme patriotique entre les survivants. Il faut un nouveau mort pour rééquilibrer les forces en présence. Sonnerie aux morts et prières. On efface avec le panneau mobile.

5ème séquence : La religion
Les clowns vont se succéder sur le praticable. Chacun est en liaison directe avec son Dieu et arrive avec ses rites et ses dogmes, en contradiction bien sûr avec ceux de l’occupant précédent. L’enjeu reste le territoire et les morts s’entassent…

Les derniers à passer puisent toute leur énergie destructrice dans un énorme livre, sorte de mode d’emploi du martyre extatique. Ils s’emploient sous nos yeux à s’infliger des supplices imbéciles et, pour finir décident de nous faire partager leur bonheur : ils s’avancent vers le public, une guirlande d’explosifs autour du cou et un réveil détonateur en main…
Fermeture brusque du livre.

6ème séquence : Livre d’images
Un autre livre (d’enfant, celui-ci) s’ouvre dans le lointain
tandis que s’élève une " musique " mêlant chants religieux, commentaires post-attentats, sirènes. Des lampes torches éclairent la scène, on distingue les visages de nos militaires du début. 
Du livre s’échappe un nuage de cendre. C‘est à travers ce nuage que nos militaires manipulateurs vont faire apparaître et disparaître des objets liés au monde de l’enfance : voitures, avions , maisons, trains, poupées…
Ils se livrent à des jeux destructeurs et cependant joyeux.

7ème séquence : les nombrils
Sur le plateau 2 tentes igloo identiques, distantes de 4m environ
Un clown sort de l’une d’elles, heureux de vivre il se gratte le nombril mais sa joie est de courte durée : une autre tente est là d’où sort un autre clown qui se gratte le nombril. Une altercation démarre, avec à l’origine, comme souvent, un problème de territoire. Rentre un 3ème clown qui monte sa tente entre les deux autres. L’altercation prend une nouvelle dimension, 3 nombrils se trouvant maintenant en compétition.
Arrive un jeune couple et sa tente caravane qui s’installe en dévastant tour sur leur passage. Leur désinvolture, leur indifférence au conflit en cour et surtout leur sexualité démonstrative achève de faire monter l’exaspération collective. Tout le monde rentre dans sa tente. C’est la guerre au camping, sauf pour le dernier couple bien sûr.

8ème séquence : les tentes
Durant toute cette séquence, les tentes vont s’animer de l’intérieur et, par le jeu de la manipulation (c’est fou ce qu’on peut faire jouer à une tente igloo !), endosser les états d’âme peu pacifiques de leur occupant.

Elles se transforment donc tour à tour en personnages militarisés et colériques, en tanks, en araignées et en gastéropodes belliqueux. Tout finit normalement : champ de bataille fumant et cadavres éparpillés.
Le jeune couple sort épuisé de sa tente après un dernier orgasme (là encore la tente permet des merveilles).
Ils constatent les dégâts puis disposent les cadavres sur des chaises. Ceci fait, ils prennent la pose au centre, radieux.
Elle porte un voile de mariée et lui un chapeau haut de forme.

Un flash crépite.

9ème séquence : Les otaries
Au centre du plateau, un rond de lumière. Viennent se placer autour du rond d’étranges créatures: simples troncs humains, ils se déplacent à l’aide de leurs seuls bras, encore que ceux-ci mêmes prennent des positions morphologiquement improbables. Pour achever le tout, un masque à gaz leur tient lieu de visage.
Ils déroulent maladroitement une carte dans la lumière et entreprennent de se livrer une guerre sur table, réplique virtuelle de la " guerre des tentes ". On reconnaît les grommelots gutturaux du début. 
Tout se règle selon les codes militaires : pas de violence affichée, pas plus que l’humiliation du vaincu ou la joie du vainqueur.

10ème séquence : La guerre civile
À l’heure où ces lignes sont écrites, la séquence (la dernière du spectacle et qui pourra être segmentée) n’a pas encore été abordée.
Nous avons néanmoins quelques pistes concernant nos recherches. Nous partirons, contrairement aux autres séquences, d’une situation paisible au départ, la question étant : pourquoi des peuples habitués à vivre ensemble dans leurs différences en viennent à se haïr jusqu’à s’entretuer.
Comme lieu et comme temps symbolique de la réunion fraternelle et donc comme choix scénographique, le repas partagé nous paraît être le lieu idéal pour traiter cette question.

Séquence finale
En guise d’ultime pied de nez, même dans la mort, nos clowns continueront de se faire la guerre.

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La compagnie Le Crik a vu le jour en 1994. Ce qui n'était au départ qu'un atelier de recherche sur le clown s'est transformé en atelier de création et par la suite en compagnie théâtrale.

Ce qui motive notre démarche est moins le désir de reproduire plus ou moins fidèlement des archétypes de clowns ou de situations clownesques liés au monde de la piste, que de se servir du clown et de ses univers pour faire du théâtre. Si on tient pour acquis, et c'est à peu près notre seule certitude, que le clown n'est pas un comédien de verbe, c'est donc aussi la volonté de faire un théâtre ou le texte ne serait pas le support primordial de l'acte théâtral, qui nous guide.

À partir de trois fois rien, de projets dérisoires, d'enjeux absurdes et pourtant évidents, de quelques objets bricolés ou détournés, d'une chansonnette, faire naître de l'émotion, du rire, de la pensée, voilà notre ambition et notre plaisir. Avec le désir qu'il soit partagé.

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« Il y a de l’invention, de la poésie et beaucoup d’éclats de rire dans ce bras d’honneur. A découvrir d’urgence. » M.-C.N., Pariscope

« Une série de petites histoires finement brossées allant de la grande chevauchée sur des chaises d’école à la formidable bataille de tentes. » Cécile Pillet, Zurban, Mars 2004

« Plutôt que de défiler de la République à la Bastille pour dire non à la guerre, une bande d’humoristes a pré-féré un défilé de mode sous forme de tableaux : absurdes, pitoyables, horribles, furieusement drôles. » H.B, Télérama, Mars 2004

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Informations pratiques

L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian

13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony

  • RER : Antony à 191 m
  • Bus : Théâtre - Mairie à 123 m, Gare d'Antony à 157 m, Antony RER à 206 m
  • Voiture : par la N20. Après la Croix de Berny suivre Antony centre puis le fléchage.
    15 min de la porte d’Orléans.
    Stationnement possible au parking Maurice Labrousse (gratuit à partir 18h30 et les dimanches), au parking du Marché (gratuit pendant 3h après validation du ticket de parking à la caisse du théâtre) et au parking de l’Hôtel de ville (gratuit pendant 1h15).

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L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian
13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony
Spectacle terminé depuis le jeudi 14 octobre 2004

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