En 2008, Laurent Hatat avait insufflé une modernité réjouissante au long poème dramatique de Lessing, Nathan le sage. Gageons que le Goncourt 2010 du premier roman, le très remarqué HHhH, lui inspirera à nouveau un théâtre éclairé. La construction originale de ce puzzle historique, dictée par une exigence d’exactitude, ouvre les portes à une dramaturgie riche : au récit vrai de la tentative d’assassinat d’un des monstres du nazisme, Reinhard Heydrich, à Prague en 1942 par deux résistants, se frotte l’incontournable question éthique de comment restituer l’Histoire sans que l’esthétique ne la trahisse.
Cette confrontation directe entre réalité et fiction devient ici personnage. Laurent Binet s’introduit dans le récit, il se campe en écrivain que l’Histoire a mis au défi de passer au roman. Ses doutes, son quotidien en prise avec les fantômes d’hier, surgissent avec force, au gré d’allers et retours convulsifs dans le temps et l’espace.
« Mon projet est de mettre en scène les tranches de vie nocturne d’un jeune couple. En pleine tempête amoureuse, ils naviguent à travers livres, films, jeux vidéo, querelles du quotidien et tentent d’atteindre une vérité insaisissable, celle de la nature profonde de l’héroïsme et de son miroir inversé, le mal absolu. Ils se perdent, se retrouvent, se déchirent encore pendant que la nasse se resserre autour des héros d’antan, ainsi va le monde. Dans cette vie entre les lignes, ce décalage entre les grandes aspirations et le terre-à-terre des ébats et débats, je vois une réalité joyeusement ironique de notre existence. » Laurent Hatat
« C’est un récit remarquable mené de main de maître, pas étonnant qu’il ait décroché le prix Goncourt du premier roman. C’est la combinaison de deux formes de narration qui emporte l’adhésion. L’une ne marche pas sans l’autre. Une grande réussite. » Le Figaro
« Pour l’auteur, le problème reste entier : comment évoquer un des pires salauds de l’Histoire sans, d’une manière ou d’une autre, lui servir la soupe. Cette question, moralement incontournable, Laurent Binet se la pose tout au long de son remarquable premier roman. C’est tout à son honneur. » Le Nouvel Obs
« Un roman surprenant et remarquable [où] les questions éthiques et esthétiques, les unes et les autres intrinsèquement liées, loin d’alourdir le récit, le lestent d’intelligence. » Télérama
« En 2008, Laurent Hatat avait insufflé une modernité réjouissante au long poème dramatique de Lessing, Nathan le sage. Le Goncourt 2010 du premier roman lui inspire à nouveau un théâtre éclairé. Sur scène, deux histoires s'imbriquent. Un écrivain essaie de « passer » au roman l'attentat qui visait en 1942 le monstre nazi, Reinhard Heydrich. Mais comment écrire sans trahir l'Histoire ? Un tête-à-tête intime pris par le souffle épique du récit. Un spectacle brillant et bouleversant. Mieux : indispensable. » Le JDD
« Olivier Balazuc signe une performance qui restera dans l’Histoire du Off d’Avignon 2012. » Marianne
Un défi
Avec ce sentiment d'être totalement en phase avec le trouble de ce narrateur et son approche intime de ce moment d'Histoire, pleine de doutes, de passion, j'ai dévoré le roman en deux jours et deux nuits. J'en ai nourri l'intime conviction de pouvoir transposer ce plaisir immense à la scène. Prague, 1942, opération « Anthropoïde » : deux parachutistes, un Tchèque et un Slovaque, sont chargés par Londres d’assassiner Reinhard Heydrich, le chef de la Gestapo et des services secrets nazis, le planificateur de la Solution finale, le « bourreau de Prague ». Dans ce livre, les faits relatés sont authentiques.
Paris, 2010, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. Le jeune homme qui écrit doit résister à la tentation de romancer. Il ne nous masque rien de ses hésitations, ni des raisons de ses choix. Avec pertes et fracas au coeur de sa vie personnelle, il lui faut cependant mener l’histoire à son terme. Ce roman est une oeuvre haletante, d’une originalité absolue. J’ai été happé par le suspens incroyable autour de cet attentat en 1942 où rien ne s’est passé comme prévu, happé par cet « infra‐roman », la vie derrière les mots.
La guerre est une fiction
Aujourd’hui, nous sommes cernés sans douleur apparente par des guerres lointaines, si peu réelles alors qu’elles nous sont tout à fait contemporaines. Des soldats portant nos couleurs s’y battent, meurent parfois. Écho lointain qui se traduit par un SMS laconique sur nos miniécrans personnels. Pour moi, ce récit de la « quête du récit » est le spectacle d’un réveil douloureux. C’est une prise de conscience que les fantômes existent, que nous serions avisés de prendre langue avec eux. L’éloignement dans le temps, comme dans l’espace, est un leurre. Nos guerres cachées nous travaillent en sourdine. Et pour longtemps.
Ouvrir les yeux
Au‐delà de l’importance de l’épisode guerrier, la nécessité vitale que ressent ce jeune homme de sortir un fragment du passé de l’oubli, pour lui redonner vie sans le corrompre, m’émeut. Dans cette attention à l’Histoire, les précautions de son usage et la passion du romanesque qui en fin de partie déborde et emporte tout, je vois une parabole forte, troublante, de notre rapport au réel. Car notre Histoire nous apparaît comme révolue à force de la côtoyer sous des formes éventées, parodiées et pour en retrouver les chemins du sensible, de l’émotion, pour rouvrir les yeux sur elle, nous devons la revivre, en réincarner les moments-clés. Il nous faut savoir dépasser toutes les précautions scientifiques pourtant nécessaires et réinventer la fiction du réel comme on fait de sa vie un roman. Je reconnais cette tension entre le désir inaccessible d’exactitude et le souffle débridé de la vie, elle est aussi au centre de mon art.
Laurent Hatat
Sortir du roman
L’ironie joyeuse : je mets en jeu deux jeunes gens d'aujourd'hui au coeur de l’avalanche d’un pan d'Histoire. J'imagine l'intimité de ce couple, jusque dans leur lit, la nuit où les hantises et les délires de l'écrivain (Olivier Balazuc) prennent corps. Quid de la vérité, de la fiction, des fantômes par milliers ? Ce grand lit devient un espace de projection où le mouvement graphique du roman en train de s'écrire, les images de fiction, les images d'archives évoquées envahissent tout. Sa compagne (Leslie Bouchet) tente de ne pas céder à la panique devant cette histoire sanglante qui menace de les submerger, jusqu'à la rupture. Puis ce débordement des sens va peu à peu laisser place à une théâtralité plus épurée. L'écrivain va toucher le fond et le récit héroïque va pouvoir naître enfin.
Libre de ses mouvements : à travers l’adaptation de ce roman, je veux trouver sur scène une réelle liberté et restituer au plateau la maîtrise d’un vocabulaire contemporain avec toute sa pertinence sensible : image et décalage, humour et onirisme...
La logique de la séquence : je veux donner vie à des séquences extrêmes, cerner les moments critiques de doute ou d'exaltation, de fusion ou de détestation pour donner à voir 20 séquences taillées chacune comme un morceau de bravoure dans les noeuds de l’Histoire et de la vie d’aujourd’hui. Je procède par montage, juxtaposition des matériaux du roman pour créer un entrelacement plus soutenu entre les moments de récit et ceux dialogués avec Natacha.
L’ellipse et le suspense : dans ce travail d’entrelacs, d’ellipses et de suspense, allié à l’intelligence du spectateur, je crée la vivacité et l’inexorabilité d’une danse fiévreuse. Le rythme, la brièveté des séquences sont une nécessité de ma narration.
Les corps nocturnes et les fantômes
Le plateau onirique, corps et image : sur scène, je rends sensible la coexistence entre la réalité du quotidien et la présence des fantômes. Dans la boîte noire se dessine une couche blanche baignée par un voilage, simple support de tous les ébats, seul radeau tangible dans l’espace environnant. Tout le reste est projection du roman en train de s’écrire. Les mots, blancs sur fond noir, impriment tout l’espace possible et s'entrechoquent avec ceux qui sont prononcés. Dans le grand écran au pied du lit, posé à même le sol comme un miroir libertin, apparaissent les échos lointains des « sources » du narrateur : images de film, de jeux vidéo sur la deuxième guerre mondiale... Ce miroir ne nous montre pas, tout au contraire, il fait écran au réel.
Le mélange des sons : nous sommes plongés dans la réalité physique de deux univers sonores : résonance d’une ville dans un appartement d’aujourd’hui, présence sourde de la guerre d’hier. L’interpénétration ou, tout au contraire, la dissociation violente de ces deux couches de son, me permettent de jouer avec cette sensation de déréalisation, d’accentuer l’ouverture onirique du plateau.
La licence ludique de la voix amplifiée et de la voix off : avec ce travail sur l’amplification de la voix des acteurs, par le décalage dans le temps d’une pensée intérieure qu’on appelle une voix off, je veux m’autoriser les citations du vocabulaire cinématographique, lieu par excellence de la normalisation du héros.
Des lumières simples : je veux privilégier les sources visibles, écrans, projection et lampes du quotidien. Je crois à une simplicité de mise en oeuvre qui donne une véracité accrue à ces portions arrachées au réel.
Laurent Hatat
J'avais peur que cela soit un peu trop "pseudo-intellectuel" à mon goût mais j'ai été très agréablement surprise ! Un texte excellent, de bons acteurs (voire très bon : mention spéciale à Olivier Balazuc pour son monologue final). L'histoire de l'attentat de Heyrich est racontée avec passion, on y croit, on s'y croit ! Mon coeur battait à certains moments tellement les évènements étaient incroyablement bien racontés. Bravo. Je le conseille à tous.
J'avais peur que cela soit un peu trop "pseudo-intellectuel" à mon goût mais j'ai été très agréablement surprise ! Un texte excellent, de bons acteurs (voire très bon : mention spéciale à Olivier Balazuc pour son monologue final). L'histoire de l'attentat de Heyrich est racontée avec passion, on y croit, on s'y croit ! Mon coeur battait à certains moments tellement les évènements étaient incroyablement bien racontés. Bravo. Je le conseille à tous.
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