Hécube ne supportera pas passivement la mort sacrificielle de sa fille Polyxène et l’assassinat de son fils Polydore. Faute de pouvoir punir les Grecs, elle se vengera contre Polymestor (l’assassin de son fils) de façon terrible.
La femme vengeresse
De la mise à mort comme mariage
La déliquescence de notre monde
La musique
Le personnage d’Hécube m’a toujours fasciné par la succession des malheurs qui le frappe, mais aussi par ce côté indomptable de la femme vengeresse, qui même dans sa déchéance, trouvera la force d’une vengeance terrible. Euripide dans Les Troyennes et dans Hécube est du côté des vaincues. Il trouve une grandeur d’âme chez ces femmes, et une force hors du commun, tandis que les Grecs (surtout dans Les Troyennes) sont violents et bornés. Cet aspect de valorisation de l’adversaire et de critique de son propre peuple élève la tragédie à des niveaux insoupçonnables.
La pitié qu'elle impose dans l’âme du spectateur vis-à-vis des « barbares » oblige le citoyen athénien du Vème siècle à une réflexion profonde sur la guerre et ses désastres, sur la loi immonde de la guerre, sur le sort terrible, de tout temps, des vaincus. C’est aussi la force de la tragédie de nous rappeler notre époque depuis la Bosnie jusqu’en Algérie en passant par tant d’horreurs au Rwanda et en Afrique, au Cambodge ou en Irak. Evidemment Eschyle, dans Les Perses, avait montré la voie.
Andonis Vouyoucas
Compositeur musical : Lucien Guérinel
Chef d'orchestre : Alain Goudard
L'orchestre, présent sur scène, est composé d'un saxophoniste, un clarinettiste et trois percussionnistes.
Une première figure s’impose, tout de suite, les vierges conduites au trépas sont des épouses pour Hadès... Bénéfice incomparable de la fiction ; en vouant les jeunes filles au trépas, la tragédie renverse l’ordre usuel du discours et, à rebours de la métaphore, les vierges tragiques gagnent le séjour des morts comme l’on quitte la demeure paternelle pour celle du mari, que leurs destins soient de trouver, sans plus de précision, le « mariage dans l’Hadès » (Euripide, Troyennes) ou de le trouver dans l’union avec Hadès.
Il en va de Polyxène qui, chez Euripide n’épouse pourtant pas Achille dans la mort... Polyxène qui, à l’instant de la mort, dira seulement qu’elle s’en va « sous la terre, sans époux, sans hymen ». Or, une fois immolée, cette même Polyxène sera par sa mère éplorée, qualifiée d’« épousée sans époux, vierge qui n’est plus vierge ».
Nicole Loraux
Pour créer une oeuvre, j’ai besoin d’une rencontre, celle-ci nourrie du monde qui m’entoure. Ce peut être la découverte et la vision foudroyante d’une écriture, d’un auteur, d’une forte dramaturgie, ou le désir d’un acteur.
Aujourd’hui nous vivons un temps crucial pour l’existence de l’homme, pour la préservation de cette terre si belle, si attrayante qu’il nous fait mal de devoir la quitter.
Le point de départ d’Hécube est la déliquescence de notre monde. Toutes les valeurs se délitent. A la bestiale provocation des superpuissances répond la bestialité du faible. Au meurtre, le meurtre. Aux destructions, la destruction. Aux phalanges d’estropiés, de nouveaux estropiés et ainsi de suite ; toute forme de société civilisée engendrant l’amour, la compassion, la clémence, disparaît au profit d’un tourbillon d’actes de plus en plus barbares. Dire qu’on croyait naïvement que tout avait été dit pendant le 20ème siècle !
Alors, j’ai pensé au grand sage, mon arrière, arrière, arrière grand-père Euripide et à son Hécube. Les Grecs démolissent Troie, tuent tous les hommes, les mâles doit-on dire, puisqu’ils assassinent aussi les garçons de tout âge et emmènent comme esclaves les Troyennes. Mais cela ne leur suffit pas ; il faut pousser l’horreur encore plus loin. Ils demandent alors à égorger la dernière fille d’Hécube. Tueurs. Polymestor, roi de Thrace, assassine Polydore, fils d’Hécube et s’approprie son trésor, autre tueur. Hécube égorge les deux enfants de Polymestor et lui arrache les yeux. Tueuse.
A la violence, répond la violence. Dans une société, sans repères moraux, tout est barbarie. Comment mieux parler de notre temps qu’en se rapprochant du grand ancêtre Euripide qui, le premier, avait saisi la décadence d’Athènes, écrit et monté Hécube pour secouer son peuple. Puisse le théâtre avoir encore ce pouvoir salvateur.
La musique traduira dans son propre langage la tragédie, sans souligner le texte ; le Choeur des femmes se composera de six chanteuses (dont une Coryphée), de cinq instrumentistes et d’un chef d’orchestre. Lucien Guérinel écrira sa musique comme lors de notre précédente collaboration pour Oedipe Roi et Antigone de Sophocle.
Andonis Vouyoucas
Ecrire une musique de scène, et tout particulièrement pour le théâtre grec de l’Antiquité, implique une responsabilité non seulement vis à vis du caractère hautement patrimonial de l’oeuvre, mais également face au metteur en scène, à sa lecture, à ses intentions, à son interprétation, sans compter la qualité d’une traduction et la visualisation même de l’espace théâtral. S’il est un instant où la musique ne peut être étrangère à un « mouvement » de cette importance, c’est bien celui-là, et c’est cependant la difficulté à aborder, en plein risque.
Lucien Guérinel
136, rue Loubon 13003 Marseille