Il s’agit d’un heptathlon théâtral, c’est-à-dire que l’actrice réalise seule devant les spectateurs les sept épreuves de l’heptathlon dans l’ordre même de la compétition. L’acte théâtral est donc ici un acte éminemment sportif, avec toute l’énergie et l’effort que cela réclame. Il n’est question que de corps : mettre l’engagement physique de l’actrice au coeur du théâtre. Il y a l’enjeu sportif d’aller au bout de la compétition, comme sur le stade, inséparable de l’enjeu artistique : danser l’athlétisme.
Avec Heptathlon, nous sommes à la croisée de plusieurs disciplines : le théâtre, le sport, la danse. Des séquences dansées sans texte alternent avec des moments de parole sans mouvements, et des passages combinant ces deux modes, où la parole s’accomplit au cours de l’action physique.
Les textes sont originaux, spécialement écrits pour Heptathlon. Ils s’inspirent à la fois des antiques (Odes de Pindare, récits d’Homère), de souvenirs personnels, mais aussi tout simplement de sensations (comme l’effort et la souffrance). Et puis il y a des textes qui sont en quelque sorte des traductions en mots de rythmes organiques : ceux de l’endurance, du jet, du saut... Ça parle tout aussi bien de l’histoire du saut en hauteur que d’une petite fille qu’on appelle pour monter sur la plus haute marche du podium, de la bataille livrée pendant une course que du galop d’un cheval, du trajet du javelot dans les airs que de l’épopée d’un champion olympique…
Et de toute cette matière, textuelle et corporelle, il s’agit de créer un rapport inédit avec le public : les spectateurs ne sont plus tout à fait spectateurs de théâtre, mais déjà un peu supporters. Comme devant une épreuve sportive, ils doivent pouvoir se dire : va-t-elle y arriver ?
Le projet est ainsi de redonner son sens au geste sportif grâce au théâtre. Et par là de restituer au jeu de l’acteur son caractère risqué, grâce à la nature imprévisible de l’acte sportif.
J’ai repris l’athlétisme il y a environ cinq ans, après l’avoir pratiqué intensivement pendant mon enfance et mon adolescence. J’ai alors pris conscience que mon désir de théâtre n’était pas sans rapport avec l’énergie déployée sur le stade, que mon corps en jeu, sur la scène, était façonné par mon corps sportif.
Avec Heptathlon je souhaite réunir le sport – à travers l’athlétisme - et le théâtre. Rapprocher et confronter ces deux terrains, qui sont d’abord et avant tout deux terrains de jeux qui impliquent, chacun à leur manière, un engagement total, lié au dépassement de soi.
Voici donc le point de départ : une actrice qui est aussi une athlète. Pour moi, exposer le geste athlétique sur un plateau de théâtre revient à creuser un double aspect. D’abord, montrer qu’il n’y a pas qu’un seul mode de représentation de l’acte sportif. Le théâtre (comme les arts plastiques ou la photographie) peut donner une autre image du sport, loin du spectaculaire télévisuel où l’effort et le dépassement de soi sont trop souvent de banals éléments de langage pour commentaires attendus. Il s’agira au contraire d’explorer toute la dimension artistique et poétique de l’athlétisme. Quand je regarde une course de fond, il m’arrive d’être fascinée par la façon dont un coureur kenyan caresse la piste, ou, devant un concours de saut en hauteur, par la grâce du corps cambré au-dessus de la barre. Pour moi, c’est une véritable danse du corps, et c’est d’abord cet aspect chorégraphique du geste technique que je tente de développer. D’où la nécessité de trouver mon propre langage organique, mais aussi théâtral. Si je cours sur le plateau, c’est toujours au service d’une situation concrète, en connivence avec le public.
Courir, lancer, sauter. Ce qui me fascine avec l’athlétisme plus que tout autre sport, c’est que ces gestes primitifs et ancestraux sont devenus parfaitement gratuits, purs – sinon de tout intérêt – du moins de toute nécessité. On ne lance plus le javelot pour chasser l’animal, mais simplement pour le projeter le plus loin possible. De même l’homme ne court plus pour sa survie, mais il court. Ça ne sert rien. C’est vain, et c’est cela que je trouve poétique.
Je voudrais qu’Heptathlon raconte ce qu’il y avait de fort et d’éminemment artistique dans le geste antique, et retrouve sa dimension à la fois concrète et primitive, profondément humaine aussi, dans une communion avec le public qui fait autant appel aux émotions du spectateur des stades qu’à l’esprit de distanciation, critique, du théâtre.
Maryse Meiche
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