Nasreddin Hodja… Personnage déroutant, tour à tour philosophe, paysan, imam, bouffon ou encore maître soufi, mais surtout un idiot éclairé. Ses récits se transmettent en Anatolie, en Asie centrale ou encore dans les Balkans…
Vincent Berhault (comédien, manipulateur d’objets) et Ilka Madache (metteur en scène) se passionnent pour cette figure de la littérature orale turque, triviale et subtile à la fois. Nasreddin Hodja est un prétexte à une expression décalée où l’anti-raison devient un des moteurs de la création.
Vincent Berhault et Ilka Madache tracent des cercles concentriques autour de leur sujet de départ en compilant des textes, des sons, des images : de la rue d’Istanbul aux conteurs spontanés jusqu’à la lointaine piste des arts du cirque en Turquie.
Dans Hodja Vol.1, Vincent Berhault incarne un archiviste évoluant dans un univers absurde où l’écriture suit une logique délirante. Il s’évade par la manipulation d’objets, la danse et théâtralise.
Après plusieurs séjours en Turquie, Vincent Berhault parle courament la langue et, cheminant sur les traces du Hodja, se passionne pour la route de la soie, d’Istanbul au Xinjiang en passant par Bukhara.
Inspirés par les sciences humaines et en particulier l’anthropologie nous nous inscrivons dans une démarche d’artistes-chercheurs. Nous archivons nos données : textes, images, vidéos ou encore enregistrements sonores dans le but de les présenter au public parallèlement à la diffusion du spectacle.
Nasreddin Hodja est l’incarnation d’une certaine sagesse populaire en Turquie : mais aussi dans de nombreux pays entre l’Atlantique et l’Océan Pacifique où son nom se change en Ch'ha, Mulla Nasr Eddin, Goha, Djeha, Khodja, Effendi… alors que les histoires restent les mêmes.
On recense plus de 600 contes, et de nombreux ouvrages les relatent de différentes façons. Certains pour les enfants sous formes de fanzines, ou de bandes-dessinées, d’autres plus savants compilent par thèmes : le rapport au pouvoir, à la religion, sa femme, son âne…
Les histoires de Nasrettin Hodja sont comme des enseignements proches des Koans de la tradition zen, qui questionnent avec humour le sens de la vie. Du romancier français Jean Louis Maunoury et sa compilation très riche ; au chercheur turc Pertev Boratav qui a remis à jour des histoires aux formes parfois crues, traduites de l’Ottoman ou du turc ancien ; en passant par la recherche plus mystique d’Idries Shah qui met en avant le soufisme chez Nasreddin, les recherches sont souvent l’oeuvre d’une vie et valorisent différents aspects du personnage.
Vincent Berhault et Ilka Madache
"Rentrant fort tard de la maison de thé, Nasr Eddin laisse tomber, devant le seuil de chez lui, l’anneau qu’il porte au doigt. Aussitôt l’ami qui l’accompagne s’accroupit pour chercher à tâtons. Nasr Eddin, lui, retourne au milieu de la rue qu’éclaire un splendide clair de lune.
- Que vas-tu faire là-bas, Nasr Eddin ? C’est ici que ta bague est tombée.
- Fais à ta guise, répond le Hodja. Moi je préfère chercher là où il y a de la lumière.
Un jour Nasreddin sur le marché voit un camelot qui propose à deux pièces d’argent un oiseau aux merveilleuses couleurs.
- Et surtout il parle, précise le marchand dans son boniment.
Le lendemain Nasreddin revient sur la marché avec un dindon tout noir qu’il présente sur un perchoir et propose un prix de trois pièces d’argent.
- Comment peux-tu espérer vendre ton dindon à un tel prix ? Lui demande un homme.
- Ta plaisanterie est de mauvais goût, l’oiseau que nous avons vu hier est une merveille, il parle, lui dit un autre.
- Justement, répond Nasreddin, justement ! mon dindon fait beaucoup mieux ! Il pense.
En passant devant une maison de thé, Nasreddin remarque un homme habillé comme lui et portant le même turban, il entre et engage la conversation. On parle de la pluie et du beau temps, après quoi Nasreddin se lève pour se retirer, mais l’homme lui demande alors :
- Excuse ma question, l’ami, mais qui es-tu ?
- Qui je suis, répond Nasreddin, ça je n’en sais rien. Mais ce que je peux dire, c’est que je souhaitais avoir une petite conversation avec moi-même."
94, rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris