Vertige à la fois très concret et presque métaphysique
« Simplement, comme un état du monde »
Extrait
La presse
À l’embouchure d’un fjord, un homme veut bâtir une cité conçue selon ses rêves : là, dans cette ville aux maisons rouges, le rouge des ciels de Münch, ou des braises de Babylone, il entretient avec un frère, une ex-femme, une fille - ou du moins sont-ils présumés l’être - des rapports régis par l’argent, les rétribuant pour qu’ils se comportent suivant son « bon vouloir »…
Homme sans but est la quatrième et dernière pièce en date d’Arne Lygre, romancier et dramaturge norvégien né en 1968. Une pièce dans laquelle, selon le metteur en scène Claude Régy, tout semble se jouer « constamment sur le flou d’une frontière indécise, dans le trouble d’une ambiguïté ». Ce flou qui nimbe de plus en plus implacablement la distance qui pourrait séparer le réel et l’artifice.
Écriture simple, sèche, tendue, sans aucun didactisme. Lygre porte sur le monde un regard froid et amusé. L’action d’Homme sans but se déroule sur trente ans, mais elle fait trembler « un état du monde », un temps suspendu, où sans cesse s’amenuisent les limites du vrai et du faux.
Texte traduit du norvégien par Terje Sinding. Le texte sera publié aux Editions de l'Arche.
Le ton d'Arne Lygre est neuf. Il surprend par une extrême mobilité du temps. Quelles que soient ses implications et sa complexité, la pièce reste en état d'apesanteur.
Une prostitution peu visible (grâce à un niveau de paiements élevé) met en place une réalité factice. Cette réalité semble ne pas avoir de poids mais il y a un trouble. Ce trouble, contre toute attente, agit comme une lumière sur le réel. Sans littérature une poésie est créée.
Apparaît clairement que la réalité virtuelle a aussi une réalité. Un jeu de simulation s'installe au fur et à mesure d'improvisations. Cette vie, on voit bien qu'elle est, pour une part, falsifiée, mais l'évidence de la falsification ne nous empêche pas d'y croire.
On demeure sur le flou d'une frontière indécise.
Peu à peu une sensation s'infiltre, le monde ne glisse-t-il pas vers une situation où l'artificialité tient lieu de réel.
Dans le même temps est à l'oeuvre une réalité invisible qui pourtant nous atteint. La mort et la violence de la haine se révèlent être ce qu'il y a de plus fort et de plus constant chez l'homme.
Tout est donné simplement, comme un état du monde. Un monde dont la véritable structure est dissimulée par son expansion même.
La lumière apparente est calme — il y a des éclats — la lumière est froide, celle de la glace.
Une poussière de neige transforme l'image en croquis.
Par la couleur rouge — le pourpre, l'écarlate — s'évoque la destruction de Babylone (la grande prostituée de l'Apocalypse) où s'entassaient le stupre et les richesses.
Ici, une cité construite sur une terre vierge est soumise au pillage.
Les objets pourraient laisser la place à des êtres, mais les êtres, eux-mêmes réduits à l'infime pellicule d'une apparence éphémère, sont devenus des objets marchands, jusqu'au plus bas degré de l'Éros prostitué.
Les théorèmes, les équations — ce texte leur ressemble — n'ont pas de morale.
Par contre, on sait que la démence développe une lucidité extrême. Alors sans doute une lucidité extrême trahit une certaine forme de démence.
Ce délire-là serait blanc. On voit la lucidité transpercer l'opacité. Mais tout à coup la neige a le gris de la cendre.
Claude Régy, décembre 2006
FRÈRE Ce sera peut-être… une jolie ville.
PETER Ce sera.
FRÈRE Ici ?
PETER Ne recommence pas !
FRÈRE Tout ça parce qu'on s'est engouffrés dans ce fjord ?
PETER Sans ça je n'aurais pas découvert cet endroit.
FRÈRE Et tes affaires ?
PETER Je les liquide. J'investirai l'argent ici. Je réunirai tout en un seul endroit.
FRÈRE Tu liquides tout ?
PETER J'ai besoin de me lancer dans autre chose.
Dans quelque chose qui pourrait ne pas réussir. Frère ne répond pas. Ils restent un instant silencieux.
FRÈRE Et après ?
PETER Quoi ?
FRÈRE Si jamais ça ne réussit pas ?
PETER C'est ça la différence.
FRÈRE Comment ?
PETER Entre ceux qui réussissent et les gens comme… toi. Si jamais. Si jamais. Si jamais. Il y a toujours un risque.
FRÈRE Tout liquider. Pour ça ?
PETER C'est tout de même une idée… exaltante.
Peter s'assied sur une pierre. Il sort une bouteille thermos de son sac, verse du café dans deux gobelets et en tend un à Frère. Frère s'assied à côté de lui.
FRÈRE Exaltante ?
PETER Cette possibilité. Frère ne répond pas. Ils boivent. Frère se met à rire bruyamment. Peter le regarde. Frère se calme.
FRÈRE Qui voudra habiter ici ?
PETER Des milliers de gens.
Homme sans but, acte I (traduction de Terje Sinding)
"Claude Régy, plus que jamais, dirige musicalement les comédiens. Six personnalités fortes, uniques et unies. Quelque chose de fascinant, comme la proximité de la mort, et de torturant, comme l'approche de la vérité." Armelle Héliot, Le Figaro, 1er octobre 2007
"Admirablement mis en mystère par Claude Régy, cet Homme sans but repose pourtant sur un chassé-croisé amoureux bien classique (...) Mais l'écriture trouée de Lygre et ses élégants artifices parviennent à donner de l'épaisseur et de l'étrangeté à une trame finalement convenue. Et le travail des acteurs est prodigieux, qui conduit le public en terre lointaine." Fabienne Pascaud, Télérama, 3 octobre 2007
"A travers l’histoire de Peter, fondateur, bâtisseur et propriétaire de toute une ville au pied d’un fjord, l’auteur norvégien Arne Lygre tisse une parabole ouverte sur ce que deviennent les liens humains dans une société régie par l’argent. A force d’épure et de distanciation, la belle mise en scène de Claude Régy donne un statut poétique à cette écriture ciselée et un caractère presque biblique à la trame étrange de la pièce (...)." Guillermo Pisani, Theatreonline, 3 octobre 2007
"Jean-Quentin Chatelain, comédien imprévisible (c'est un compliment), est ici comme on l'a rarement vu : tout en puissance rentrée, comme un lion qui aurait lui même construit sa propre cage. Redjep Mitrovitsa semble avoir emprunté ses bras à Nijinski, dont il porta en scène le "Journal". Et puis il y a Bulle. Qui retrouve Régy après des années. Discrète, effacée et, cependant, d'une sidérante clarté. [...] Elle entre chez Régy comme elle sort de chez Rivette, toujours chez elle, c'est à dire nulle part. Bulle se pose, elle dit "Je suis là" . Elle y est. Là et ailleurs. Et c'est ce que racontent Claude Régy et Arne Lygre : on est jamais là où l'on est, on est toujours un peu un autre." Jean-Pierre Thibaudat, Rue89.com, 2 octobre 2007
Ce spectacle est une énorme daube! Les acteurs s'expriment au ralenti pendant 2h30 le spectateur vit un véritable supplice! Si c'est cela le théâtre d'avant garde...C'est vraiment merdique!
Ce spectacle est une énorme daube! Les acteurs s'expriment au ralenti pendant 2h30 le spectateur vit un véritable supplice! Si c'est cela le théâtre d'avant garde...C'est vraiment merdique!
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.