Quand on est jeune, la vie est un décor vu de loin. Quand on est vieux, la vie est le même décor vu de près. (Arthur Schopenhauer)
Les Illusions comiques s’ouvrent sur un cauchemar en forme de farce. Le poète, « Moi-même », découvre avec ses camarades que le monde entier est soucieux de sa parole. Le monde entier, les politiques, les prélats, les marchands de mode, sont soudainement pris d’une épidémie d’amour du théâtre. Comme si la mort des ismes avait, en dernier recours, ouvert une ère du théâtre, comme si l’humanité avouait qu’il est le seul outil de métaphysique, la seule clef du vivre ensemble.
Le poète résiste d’abord à cette position inconfortable de « la parole entendue » mais, pris de vertige et poussé par sa mère, accepte toutes les responsabilités. Il devient en quelques heures, le prophète et le héros qui peut répondre à tous les désarrois du siècle et à toutes les inquiétudes éternelles. Il sort de son rôle de contradicteur et d’exilé, il n’est plus excentrique, il est le centre. On remet dans ses mains le pouvoir suprême de changer le monde, on laisse son théâtre agir sur le réel et non plus sur le symbolique. Le pape lui-même vient lui demander conseil. Lui seul est à même de donner ce qui est plus précieux que l’égalité sociale, le sens de la vie.
De leur côté, ses camarades comédiens Mazev, Fau, Girard, Balazuc, dans leurs propres rôles, restent dubitatifs sur ce succès cosmique de leur art et défendent que, pour le monde, le théâtre doit faire du théâtre et du théâtre seulement.
On voit bien que le sujet est trop grave pour susciter autre chose qu’une comédie. Cette comédie donc, bien qu’elle emprunte son titre à Corneille, est une paraphrase de L’Impromptu de Versailles.
La troupe où chacun joue son propre rôle, tente de donner non pas une mais des dizaines de définitions du théâtre et d’en parcourir son orbe. Elle fait entrer dans la cuisine obscène des répétitions et de ses déchirements sur la question de l’esthétique du jeu ; on y assiste à l’ivresse et au vertige de figurer l’humain. Mais les questions d’artisanat conduisent vite aux questions fondamentales. Le théâtre peut-il être encore politique ? Le théâtre est-il une image ? le théâtre est-il sacré et par quel mystère ? Le théâtre est-il une sorte de religion du sens ou au contraire ce qui nous apprend à vivre dans l’absence du sens ? Les différentes questions qui ont agité le bocal avignonnais l’été dernier sont réfléchies dans tous les miroirs possibles, théologie, révolution, statut de l’image, civisme, politique culturelle, etc.
Les quatre acteurs et le poète n’hésitent pas à jongler avec les masques pour figurer poète mort, politiciens de tout poil, mère de vaudeville, tante de province, pape, chien philosophique, fanatiques, philosophes, autant de figures du monde qu’il est nécessaire pour appréhender cent définitions du théâtre.
Le spectacle a la prétention ridicule de tout dire sur le théâtre. La cavalcade politique du poète, à qui on demande plus que des mots, est entrecoupée de leçons de théâtre, dans lesquelles on découvre que le théâtre de boulevard, la tragédie et le drame lyrique sont trois pensées de l’homme, et sa parole. Cette farce, pièce satirique, comédie philosophique, c’est l’art de faire du rire avec notre impuissance. Cette impuissance est peut-être la pensée la plus nécessaire à l’homme de théâtre et il n’y atteindra, comme l’a fait Jean-Luc Lagarce -figuré ici par « Le poète mort trop tôt »- à qui est dédiée la pièce, que dans un éclat de rire. C’était pour moi l’occasion de sculpter une sorte de tombeau de Jean-Luc Lagarce, comme on le disait de ces textes qui, au grand siècle, servaient de mausolée littéraire à un homme disparu. Il est sauvé de l’oubli et de l’indifférence, par-delà la mort, un spectre qui revient comme reviennent les spectres au théâtre, paternel et exigeant.
Tout théâtre est une réflexion sur le théâtre. Les Illusions comiques n’échappent pas à la règle. C’est quand le théâtre parle de lui-même qu’il parle paradoxalement le plus justement du monde. C’est à partir de son impuissance que l’on peut attiser le feu du comique. Les grandes paroles dont j’ai fait parfois mon style ont ici l’air de se parodier. Nous vivons trop dans l’actualité et trop peu dans le présent. Tout comique est au fond un moraliste, mais un moraliste qui a l’honnêteté de dire « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». Ou, pour dire autrement, il y a deux sortes de comiques, ceux qui rient des autres et ceux qui rient d’eux-mêmes. Et plus mystérieux encore, ceux qui veulent rire des autres ne font que se démasquer et ceux qui cherchent à rire d’eux-mêmes trouvent quelquefois, dans la boue de leur anecdote, des mythes écornés, des vérités inquiètes, des sagesses boiteuses… autant de bois sec que l’on ne peut dédaigner à l’approche de l’hiver.
Olivier Py, novembre 2005
Moi-même : Commençons !
Mademoiselle Mazev : Quelle scène ?
Moi-même : Le poète et la mort.
Monsieur Balazuc : Encore le poète et la mort !
Monsieur Girard : Et le spectre vient et tremblements et regrets et la mort dit « Tout
m’appartient ».
Monsieur Fau : Mais cette pièce que tu rêvais d’écrire ? Un poème sans coupable, un après-midi
d’été sous les arbres, éloigné de toute douleur…
Monsieur Balazuc : Et la philosophie viendrait comme ça, sur la pointe des pieds et elle
accrocherait des lampions de couleur dans les arbres.
Monsieur Girard : Est-ce qu’il n’est pas temps ?
Moi-même : Pas encore.
Monsieur Fau : Le monde n’est pas prêt.
Moi-même : Ni moi.
superbe spectacle de théâtre drôle et intelligent où un véritable auteur ne craint pas (c'est un truisme !) de plastronner ses concurrents sans talent qui, sous couvert de modernité, mettraient en scène des cochons...
superbe spectacle de théâtre drôle et intelligent où un véritable auteur ne craint pas (c'est un truisme !) de plastronner ses concurrents sans talent qui, sous couvert de modernité, mettraient en scène des cochons...
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