« L’amour fait ça, toujours. Enfin, le sexe. Enfin, je veux dire, le corps. »
Plus confuse que fusionnelle, la non-rencontre amoureuse que décline Alain Gautré dans « dix-huit tranches de vie à l’étal de l’amour » révèle la solitude des êtres humains quand le sexe est une marchandise. À la manière d’Arthur Schnitzler, l’auteur invente une ronde qui fait de chaque personnage le duettiste du suivant. Des couples se forment un instant, passent à l’acte, viennent de le faire ou s’y apprêtent, rivalisant en pathétique, en ridicule, en égarement. L’amour – ou les mots pour en parler – n’étant plus qu’un accessoire pour parvenir à un frisson bien dérisoire, aucune chaleur n’irrigue les contacts entre personnages. Désemparé, chacun se raccroche à l’injonction de jouir à tout prix et s’obstine à impressionner, dominer ou malmener pour se prouver qu’il vit encore.
Dans Impasse des anges, Alain Gautré, par ailleurs marionnettiste et clown, met en scène des corps qui portent le sexe comme un masque. L’humour, par le décalage, amplifie l’âpreté grinçante des dialogues : dans ce spectacle, seul le plateau sera nu. Voici la règle du jeu fictive : au débotté, on a confié la pièce à sept comédiens qui n’ont pour mission que de la jouer. Déboussolés, avec le peu de décor et de costumes dont ils disposent, ils construisent la représentation dans l’urgence. Leur maladresse calculée et leur décence infaillible travaillent en creux la crudité du propos. Au milieu du trop plein de chair, de sexe et de corps que contiennent les mots, l’incertitude fait ressurgir l’humain. Le théâtre est le lieu où avoir chaud ensemble, par la fièvre du rire.
La pièce s’ouvre sur une scène dans un peep-show, où une jeune femme veut satisfaire sa curiosité, et se termine dans un sauna où, après avoir fait l’amour, deux inconnus évoquent un terrible secret de famille qui les réunit.
On croise un couple qui s’aime mais veut se séparer. On se retrouve dans un lieu échangiste où une femme de 50 ans monologue sur sa vie, pendant qu’elle ignore ce que l’on fait de son corps. Une séance de S.M. tourne court entre deux amies. Deux copains se masturbent en regardant un porno. Puis ils tentent de philosopher. Une jeune femme ne jouit qu’avec des gens qu’elle aime ; qu’à cela ne tienne, le jeune homme lui dit : « je t’aime ». Un spécialiste du comique reçoit chez lui une jeune femme venue l’interviewer. L’entretien s’interrompt car l’homme montre trop d’empressement et reporte ce désir sur son épouse qui, elle, cherche à retrouver une tendresse passée. Un vieux couple convoque un jeune « hardeur » pour pimenter sa soirée.
Impasse des anges se veut le reflet amplificateur d’une modernité au bord du gouffre qui, parmi tant d’autres réponses possibles, cherche à travers le sexe la confirmation qu’il y a bien quelqu’un en face, dans le miroir.
« L’amour avait bien dû exister un jour, ou du moins l’étreinte physique, seul moyen qu’a la chair d’espérer capter le peu qu’elle pourra jamais connaître de l’amour. »
William Faulkner, Si je t’oublie, Jérusalem
Un texte qui parle de sexe pose, évidemment, le problème du corps en scène. Mais puisque, ici, c’est le texte qui fait corps et que le sexe, aujourd’hui, dans l’imagerie, voire dans la symbolique, est surreprésenté (c’est d’ailleurs une des fonctions de ce texte que de le dénoncer), il s’agira de réduire, voire de supprimer la part érotique pour faire entendre le propos. Comment s’y prendre ?
De prime abord, on peut dire que cette surreprésentation du sexe dans nos sociétés, ou pour être plus clair, ce marché du sexe, qui en vient à contaminer l’intime, est un plein et que, dans la représentation théâtrale de Impasse des anges, il s’agira de privilégier le creux. En particulier dans la direction d’acteurs.
Un postulat, d’abord, ou une règle du jeu : en entrant dans la salle, le spectateur découvre des comédiens déboussolés, qui ont reçu le texte à défendre quelques heures auparavant (fictivement, bien sûr) et ne savent comment s’y prendre pour représenter une pièce qui parle aussi crûment de sexe. C’est au débotté, avec maladresse, que se construit l’urgence de la représentation. Le travail en creux est donc le fruit d’une maladresse calculée.
Les sept acteurs doivent jouer la pièce à tout prix, en se servant de ce qu’ils ont sous la main, accessoires incertains, costumes approximatifs, scénographie à peine existante. C’est le creux de leurs corps qui fait résonner le plein du texte et il ne saurait y avoir aucune ambiguïté émotionnelle : la nudité, même partielle, est prohibée.
C’est par la décence et l’humour que nous répondons à la crudité du propos ; on dira même : par la décence d’une maladresse revendiquée, par l’incertitude, cette qualité humaine qui contrebalance la certitude du « jouir à tout prix ».
Tels sont les enjeux de la pièce : un carrousel où, à chaque séquence, le coeur se cherche sous le sexe, où la fièvre de jouir s’interrompt brutalement sous la douche froide d’une révélation… Le propos est plus noir que prévu. On comprend mieux alors ce besoin d’humour dans l’écriture et dans la mise en scène. Le théâtre peut être ce lieu où l’on a chaud ensemble.
Alain Gautré
"Pourquoi baise-t-on ?" Par absence, vengeance, jouissance, effervescence ? Pour exister, avancer, s'oublier, se changer, se quitter ? Ils sont là devant nous, face à nous, miroirs de nos envies, nos lâchetés, contradictions. Ces anges-là tentent de s'envoler par un orgasme souvent crû et un humour grinçant. Mais ceux qui les interprètent les font décoller avec générosité, honnêteté et une cruelle véracité sous la houlette et la plume d'Alain Gautré. Je vous invite à découvrir (ou retrouver) l'ange terriblement sexué qui est en vous et à répondre à cette question : pourquoi baisez-vous ?
"Pourquoi baise-t-on ?" Par absence, vengeance, jouissance, effervescence ? Pour exister, avancer, s'oublier, se changer, se quitter ? Ils sont là devant nous, face à nous, miroirs de nos envies, nos lâchetés, contradictions. Ces anges-là tentent de s'envoler par un orgasme souvent crû et un humour grinçant. Mais ceux qui les interprètent les font décoller avec générosité, honnêteté et une cruelle véracité sous la houlette et la plume d'Alain Gautré. Je vous invite à découvrir (ou retrouver) l'ange terriblement sexué qui est en vous et à répondre à cette question : pourquoi baisez-vous ?
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.