« Un jour, à Moscou, en 1905, une danseuse californienne du nom d’Isadora Duncan veut faire l’amour à Stanislavski, mais lui il ne veut pas. Alors, elle se dit en rentrant à son hôtel que si elle était un homme comme lui, elle pourrait, dans la même situation, aller se soulager dans un bordel, mais comme elle est une femme, elle va dormir. La veille, il y a une grève aux Usines Poutilov et une grande manifestation des ouvriers dans les rues. Devant le Palais d’Hiver, on voit cinq rangées de régiments de la garde qui tirent sur les ouvriers. Puis, comme un régiment de cosaques est massé près du pont Nicolas, on voit tous les ouvriers qui fuient les tirs en tentant de franchir la Néva et ils sont massacrés et ça fait près d’un millier de morts et plus de cinq mille blessés. C’est le dimanche rouge du 22 janvier. »
Isadora Duncan est une danseuse crackée est une adaptation pour la scène du livre Héroïnes de Christophe Fiat (Al Dante, 2005). La performance été créée en avril 2006 dans le cadre du Festival 100 dessus dessous, La Villette, Paris.
La vie sociale est suffisamment théâtralisée avec tous les rites d’interactions quotidiens qu’il n’est pas utile d’en rajouter sur scène. Il faut alors se tenir à distance 1. de l’illusionnisme tel qu’il se déploie aujourd’hui sous la forme des dispositifs multimédias ou des décors post-cinématographiques, mais aussi 2. de l’autofiction qui requiert la crédulité du spectateur par le simple fait qu’un récit est vrai - donc beau - parce qu’il est narré.
Cette distance est celle de l’épopée. Elle prend chez Christophe Fiat la forme d’un agencement auteur (il écrit ses textes) / acteur (il joue ses textes) / metteur en scène (le recours à l’esthétique rock). Epopée littéraire quand il est question de se remémorer la vie d’Isadora Duncan pour l’extraire des stéréotypes de l’histoire, épopée d’acteur quand il s’agit de lire sa biographie dans un récit « live » rythmé et ponctué par des gestes utiles (comme le fait de tourner la page du texte) et épopée scénique quand le recours à l’esthétique rock - guitare électrique à l’épaule, micro sur pied, debout - propose une interpellation du spectateur qui engage autant son émotion que sa réflexion.
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