Une intrigue à ne pas dévoiler
Une pièce bien rangée
Un auteur à ne pas fréquenter
Une mise en scène abracadabrantesque
Des comédiens à ne pas
mettre entre toutes les mains
Lhistoire est simple, et, pour ne pas gâcher le plaisir du futur spectateur, je
nen révèle que lesprit.
Au début du siècle, dans un cercle huppé de la rue Royale, à Paris, un groupe
daristocrates antisémites attend avec impatience la venue dun jeune prince,
orateur raciste à souhait. Lorsque celui-ci survient, il profite de leur présence pour
les prendre à témoin de sa provocation en duel dun vieux juif, fidèle du cercle
et qui a le malheur de soutenir les laïcs. Il devient urgent pour la mère de révéler
au prince qui est son véritable père
« jai le plaisir de vous informer que le représentant de la succession de lauteur vous autorise à poursuivre lexploitation dIsraël de Henry Bernstein, uniquement sous forme de lecture aux conditions suivantes : sans décor ni costume, les comédiens ayant en main la brochure » Safia Kheroua - SACD, le 7 août 2001
Sans rire, quand jai reçu ce courrier, jétais vraiment heureux. Je ne
suis pas le metteur en scène qui a remis Bernstein au goût du jour. Lui, cest
Robert Cantarella avec Le Voyage. Je ne suis pas le réalisateur qui a permis quune
uvre de Bernstein soit connue du grand public de la fin du XXe siècle. Lui,
cest Alain Resnais avec Mélo.
Je suis lemmerdeur qui a tout fait pour que Israël, une pièce à part dans
luvre déjà controversée de Bernstein soit rejouée pour la première fois.
La dernière, cétait à la création en 1908. Et encore ! Sous la pression des
antidreyfusards, on la retirée de laffiche dès la troisième
représentation.
De son vivant, Bernstein comprit que lépoque nétait pas disposée à sa
pièce, il la laissa de côté. Il meurt en 1953. Un oubli respectueux tombe sur
luvre dun homme familier du scandale. Elle fut vite classée dans le
mauvais théâtre de boulevard. Aujourdhui, ses descendants aimeraient que lon
redécouvre enfin lécrivain mais par une pièce« moins juive ». Par exemple en
janvier 2002 avec létonnante Elvire qui sera jouée au Théâtre Marigny. Créée
en 1940, elle parle déjà de camp de concentration et fut interrompue par lentrée
des allemands à Paris.
A la différence dElvire où, Bernstein ose sattaquer à lAllemagne
nazie sur le thème des prisonniers « politiques », Israël cible lantisémitisme
virulent sous la république française au début du siècle. La succession de
lauteur, ne souhaitant pas limiter le public potentiel à celui dune pièce de
combat, elle soppose systématiquement aux reprises.
Leur souhait est noble : ne pas attiser de polémique.
Le nôtre lest moins : savourer une pièce peu consensuelle.
Qu Israël soit enfin jouée tient pour moi de la plus haute exigence au point que
jai mis tous mes efforts dans la bataille pour compenser la réticence familiale
qui, au passage nous prive de toute subvention des collectivités.
Au moins puis-je remercier Jean-Louis Livi, qui a accepté dintervenir auprès de la
succession. Le représentant de cette dernière, Jacques Boncompain, nous accorde
finalement le privilège de la représenter en septembre 2001 sous réserve du respect des
conditions mentionnées au début.
Des contraintes somme toutes amusantes puisquelles nempêchent pas que le
texte soit su par cur, simplement attaché en menotte au bras de chaque comédien
Après une quarantaine prolongée de 93 ans, voici donc, pour ce texte, une mise en scène
qui garde larrière-goût du défendu. Remercions la vigilance dayant-droits
au demeurant très sympathiques par leur souci de paix sociale. Sans le vouloir, leur
perfectionnisme les place encore comme héritiers de ceux qui en 1908 avaient tout fait
pour bloquer la pièce ! Au spectateur daujourdhui de venir se faire une
opinion.
Patrick Hadjadj
« Bernstein, cest une femme qui shabillerait en veuve pour faire le
trottoir » Jean Cocteau
« Au ruisseau, Bernstein, à la boue ! Il sy sentira chez lui !
» Louis
Aragon
« le théâtre de Bernstein (
) Tout cela creux absolument, grossièrement inactuel,
fictif, tricherie hurlante
» Louis-Ferdinand Céline
Ces citations sont tirées dune longue liste dinsultes de célébrités de
tout bord et recueillies, pour sa préface au Théâtre de Bernstein éditée en 1998 chez
Du Rocher, par un écrivain déjà ambigu, Marc-Edouard Nabe. Plus simplement, Bernstein
naît en 1876 à Paris. Il meurt en 1953 à Paris.
Entre-temps, il compose plus dune trentaine de pièces. Il a beaucoup de succès, se
bat en duel, collectionne les ennemis, échappe de justesse aux nazis en passant la
dernière guerre mondiale à New-York doù il ridiculise Pétain dans des pamphlets
qui scandalisent le Paris mondain et collaborateur. A sa mort, Paris sempresse
doublier son uvre et lon gare de lui une simple réputation
dauteur bâclé de Boulevard.
Comment représenter aujourdhui les illuminés antisémites français du début
du siècle ? Comment voir, Thibault, leur chef de file, sans le mettre en valeur mais de
sorte que sa puissance sur eux transparaisse ? Comment, enfin, mettre en scène
laffection du juif Gutlieb pour lantisémite Thibault ?
Il ne sagit pas ici de faire du théâtre historique. La succession de Bernstein
nous est à ce propos dune grande utilité. Avec linterdiction de costumes et
décors, pas de fioritures ! On se permet simplement le texte enroulé avec un ruban rose
et en menottes pour chaque comédien afin quil lait bien en main. Chacun
semble tenu par son diplôme de bonnes intentions, comme si une éducation ratée
lavait emprisonné dans sa vision défectueuse du bien pour autrui.
Jai choisi demmener ce beau monde daristocrates décadents vers
latmosphère dun jeu vidéo. Leur rapport au monde est virtuel, ils craignent
tout ce qui dans la société nest pas leur image exacte. Ils excluent parce
quils se sont déjà exclus de la réalité. On les retrouve dans un ridicule monde
où ils sont les fantômes deux-mêmes. Leurs automatismes accentués sont aussi un
moyen de montrer que, même lantisémitisme, leur meilleur point commun, ne leur
appartient pas mais est un « prêt-à-penser ». Ils lappliquent au réel pour
mieux lignorer.
Pour être fidèle, tant à lesprit du muet de lépoque de la pièce,
quà la tradition du mélodrame ( drame où une musique instrumentale accompagnait
les entrées et sorties des personnages), jai placé sur scène un pianiste. Il joue
par exemple en prologue létude XI de Schumann, une musique puissante et
mélancolique, riche en enchevêtrements de notes et où jentends la douleur du
recommencement incessant de la chasse au juif. Plus tard seront jouées la quatrième
balade puis la Valse posthume de Chopin pour évoquer lentente invisible de
personnages. If I were a rich man, la fameuse complainte de la
comédie musicale Le violon sur le toit viendra à contre-temps
lorsquun nanti antisémite découvrira avec horreur sa judéité.
Le Temps des cerises, le Nigun de Bloch, Hava naguila et Israël,
deux musiques folkloriques, sont autant de contrepoints musicaux faisant référence à
des cérémonies tant laïques que religieuses et qui donnent une perspective de société
à des situations où les personnages sentre-déchirent en oubliant toute notion de
rapport positif avec lautre qui nest que lobjet dun duel.
Je précise enfin que Thibault, le champion des antisémites est joué par une femme en
fauteuil roulant et au crâne rasé. Une accumulation de clichés de la faiblesse pour la
représentation dun être qui se nourrit de clichés sur la force.
Séverine Poupin (Thibault, le prince fou)
Je lai mise dans une situation difficile en lui demandant de jouer le rôle
dun homme, en chaise roulante, antisémite et au crâne rasé. Elle est très
perméable à une atmosphère et cest très agréable pour la diriger. Elle
sest imprégnée du personnage au point que lorsquelle rencontre un juif
orthodoxe dans le métro, elle a honte.
Elle a été formée aux Arts et Métiers du Spectacle par Laurent Azimioara. Lui , il en
est fier.
Laurence Arrighi (Agnès, la mère)
Au début, on lappelait Agnès III car javais usé deux comédiennes assez
longtemps avant de la rencontrer. Elle a tenu le coup. Pour jouer une femme enfant en
pêchant tantôt dans le registre comique, tantôt dans celui dramatique, elle a su
simposer. Je note quelle avait joué la grisette dans La ronde de Schnitzler
en 1997. Un rôle de coquette en cache donc un autre. Sa formation théâtrale est à la
fois universitaire et de différents conservatoires.
Pierre Porquet (Gutlieb, le juif)
Pierre a la puissance de jeu que ses nombreux rôles classiques ont pu mettre en valeur
(Shakespeare, Molière, Racine
). Il joue le juif digne, soucieux avant tout de la
France, celui que jaurais voulu être si je navais été sauvé dans mon
vu dassimilation totale par mon nom impossible à écrire.
Stéphane Simonneau (le prêtre)
Cest le genre de comédien qui fait se demander sil est opportun
demmener sa femme au théâtre. Il dégage un charisme extraordinaire au point
quauditionné pour jouer une crapule dantisémite, il fut immédiatement
détourné vers le rôle de prêtre. Il émane de lui à la fois force et apaisement.
Avant de se consacrer au théâtre et à la réalisation, il était avocat.
Simon Doniol-Valcroze (Sallaz, un antisémite doux)
Dans la scène du banc avec les autres aristocrates, il renverse systématiquement son
verre de vin sur son voisin. Cet effet, non voulu caractérise bien sa propension au
débordement. De lui émane beaucoup de noblesse et de générosité. On lui pardonne
tout. Il a été formé chez Jacques Lecoq et a été dirigé au théâtre par des
pointures comme Luc Bondy ou Robert Hossein.
Philippe Grande (Gilbert, un antisémite automatique)
Il a une voix terrible. Normal, je lai détourné de sa carrière de chanteur pour
quil apporte son allure de noceur au personnage de Gilbert. De nature très
sensible, il est dautant plus drôle de le voir en cette brute daristocrate .
Philippe a écumé la plupart des cabarets parisiens et sest même produit dans des
lieux insolites comme la Grande Halle de la Villette (décembre 1996).
Patrick André (Morice, un antisémite blagueur)
Le seul véritable chauve de la troupe. Lorsquil ne sourit pas, il a une véritable
dégaine de tueur, à la Bozzufi. Il a ce quil faut pour incarner un aristocrate
malsain à souhait. Il sera papa en septembre.
Emmanuel de Villeneuve (Mauve, un antisémite des champs)
Le seul aristo pur jus dans une pièce où cette caste nest pas représentée au
mieux. Grand garçon un peu guindé, il offre une intéressante représentation rigide de
lantisémite rural qui vient au cercle de la Rue Royale pour rappeler quil
nest pas seulement un bouseux. Il a été formé au Théâtre 14.
David Berderie (pianiste)
De nature secrète ce jeune homme, accompagnateur dans un Conservatoire parisien, est
parti faire une tournée en province jusquau 1er septembre 2001 sans prendre la
précaution de me laisser son CV. Sa bio est donc reconstituée à partir de la semaine de
représentations que nous avons eue avec lui. Très jeune il devait déjà être
doué
Aujourdhui il cumule les concerts. En septembre, il jouera les morceaux
par cur pour être plus proche du jeu des comédiens. Il aime le vin blanc. Il
naime pas donner son CV.
Charles Dimene (créateur lumières)
Un vrai perfectionniste. Avec lui on pourrait vraiment dire : « le Verbe est apparu
après que la lumière fut ». Il occupe depuis quelques années le poste de régisseur au
Théâtre de Proposition et il se donne sans compter.
Patrick Hadjadj
(le metteur en scène et coproducteur qui cherche encore le second)
Je suis directeur artistique du Théâtre de Proposition depuis un an, agrégé par
ailleurs, je signe aujourdhui avec grand plaisir ma première mise en scène, après
quelques mises en espace assez confidentielles. Jaime écouter mes acteurs pour leur
voler leurs attitudes et en habiller les personnages. Je pique les idées aux pièces,
opéras et films que jai vus et je signe. Je récupère les avis des spectateurs
pour comprendre ce que jai commis.
si le monde entier a vue sur la politique de notre jeune et petit etat je me permet , citoyenne israelienne , de jeter un coup d`oeil sur le monde du theatre de la belle france.et je suis heureuse de constater la qualite de ce theatre dans un monde ou la verite et l`honnetete deviennent du militantisme.
si le monde entier a vue sur la politique de notre jeune et petit etat je me permet , citoyenne israelienne , de jeter un coup d`oeil sur le monde du theatre de la belle france.et je suis heureuse de constater la qualite de ce theatre dans un monde ou la verite et l`honnetete deviennent du militantisme.
3, cité Souzy 75011 Paris