Quelques notes sur Tchékhov. (1860 – 1904)
Quelques notes sur Elsa Triolet
Notes sur les prémisses d’une mise en scène
Dans un traduction d'Elsa Triolet.
Du vivant de Tchékhov, on lui reprocha son absence de « point de vue ».
Tolstoï notamment qui n’aimait pas ses pièces.
- « Où vos personnages vous conduisent-ils ? » s’écria-t-il un jour, lors d’une conversation avec Tchékhov.
- « Du divan où ils sont couchés jusqu’au cabinet du débarras, aller et retour ».
Tchékhov, qui rapporte à un ami cette conversation avec Tolstoï à propos de ses pièces ajoute :
- « Il n’aime pas mes pièces mais j’ai une consolation.
- Laquelle ?
- Il m’a dit une fois : « Vous savez, je ne peux souffrir Shakespeare, mais vos pièces sont encore pires. »
Tolstoï avait raison : Shakespeare n’avait pas de « point de vue », il n’est nulle part dans son œuvre, comme Tchékhov – et Shakespeare et Tchékhov sont les deux plus grands auteurs de notre monde théâtral. Peut-être précisément parce qu’ils n’ont pas de point de vue.
Tchékhov ne manifeste jamais des idées à priori, sur le mal, la responsabilité, le juste et l’injuste, le péché ou l’idéal. Rien ni personne, dans son œuvre ne fait figure de porte parole.
La défiance de Tchékhov à l’égard des idéologies, sa réserve équivoque, son culte de l’exactitude, ne sont pas seulement des comportements spontanés. Ils constituent une réaction à sa façon violente et même coléreuse contre les antécédents et contre les habitudes. Ils ont comme une valeur militante. Tchékhov constate le bilan de faillite d’années de vie politique russe au cours desquelles les programmes enflammés, les explosions lyriques, les proclamations prophétiques, les gestes bruyants et exaltés ont fusé de toutes parts. Des générations de littérateurs et de politiciens ont accumulé les discours idéalistes, les professions de foi généreuses, les attentes messianiques. Or rien de sérieux, rien d’important, n’est sorti de ce flot de paroles et d’aspirations.
Notre temps vit lui aussi la mort des idéologies.
- Modernité de Tchékhov.
- Tchékhov notre contemporain.
« Je crains ceux qui, entre les lignes, cherchent la tendance et qui veulent voir en moi un libéral ou un conservateur. Je ne suis ni un libéral, ni un conservateur, ni un partisan du progrès modéré, ni un moine, ni un indifférentiste. Je voudrais être un artiste libre et c’est tout. Je hais le mensonge et la contrainte sous toutes leurs formes. Le pharisaïsme, la bêtise et l’arbitraire ne règnent pas seulement dans les maisons de marchands. Je les vois dans la science, la littérature, parmi la jeunesse… Je considère la forme et l’étiquette comme un préjugé. Mon saint des saints, c’est le corps humain, la santé, l’esprit, le talent, l’inspiration, l’amour et la liberté la plus absolue. Etre affranchi de la brutalité et des mensonges sous quelques formes qu’ils se manifestent ».
« Ivanov » est la première pièce de Tchékhov, mais ce n’est pas la première (puisqu’elle dérive de cette pièce sans titre baptisée « Platonov » qu’il écrivit encore lycéen et conserva toute sa vie à l’état de manuscrit).
« Ivanov », un drame et aussi une comédie. La drôlerie de Tchékhov est d’une saveur, d’une violence grotesque incomparables. Elle sait être folle, échevelée, elle sait jongler pour le plaisir avec les mots, les masques, les grimaces, l’absurde et le fantasque. (L’humour de Tchékhov est remarquable par ses effets d’accumulation, de tumulte, de rythme cocasse et endiablé).
« Ivanov cherche ses raisons de vivre en dehors de lui et ne les trouve pas ; il s’en cherche à l’intérieur et ne trouve qu’un vague sentiment de culpabilité… Ajoutez à ce sentiment de culpabilité, à la fatigue, à l’ennui, un autre ennemi : la solitude… Il est seul. De longs hivers, de longues soirées, le jardin vide, les pièces vides, le comte grincheux, sa femme malade… Partir ? mais où aller ? c’est pourquoi il est toujours tourmenté par la question : que faire de soi-même ? »
Dans sa préface à l’édition récente de sa pièce « Le duel » par Actes Sud-Papiers, Jean-Claude Grumberg écrit : « Tchékhov fut mon maître. Son pessimisme actif et joyeux me rendit l’espoir, me donna le goût d’écrire la vie telle quelle est, et en plus d’en rire… En ce temps de triste déballage où le vide et l’obscène se conjuguent pour envahir jusqu’à notre imaginaire, le Docteur Tchékhov reste un bon et nécessaire contrepoison. »
- Elle disait : « Comment va la vie ? » à la façon russe quand nous disons : « Comment allez-vous ? »
…La voix d’Elsa - Au sens propre – Le timbre, la hauteur, l’accent, le rythme. Ce n’est pas simplement une voix russe parlant le français, mais une voix comme inventée ; et la connaître, la garder en soi en lisant un texte écrit par Elsa, fait découvrir dans le français des formes de parler – de penser – inconnues.
Une autre grille d’intonations, venues d’ailleurs, mais aussi (c’est le plus important) corrigée, traitée, qui fait réapparaître le dessin usé de nos phrases. Ainsi l’incidente exquise dans une réplique de Tchékhov, le « comme on dit » qui coupe le mouvement là où on ne s’y attendait pas.
« Toujours, comme on dit, tirée à quatre épingles » déclare Arkanina dans « La Mouette », et moi si j’avais traduit, j’aurais sans doute mis le « comme on dit » après parce qu’on écrit comme ça. Elsa m’impose un rythme différent du rythme banal, finalement une respiration
Antoine Vitez
in Les lettres Françaises
19 juin 1970
- Ne pas oublier : « Ivanov » est un drame ou une tragédie.
- Ne pas oublier : « Ivanov » est une comédie et peut-être même une farce.
- Il y a des scènes de tragédie.
- Il y a des scènes de farce.
- Il y a des personnages comiques et des personnages tragiques. Mais les personnages comiques ont la possibilité d’émouvoir et les personnages tragiques font rire.
Le mélange des genres est dans l’idée que Tchékhov a de la vie, il fait partie intrinsèquement de son écriture, de son théâtre, dans la mesure où le théâtre-microcosme est une tentative pour représenter la vie de tout le monde.
La vie de tout le monde, la vie du monde entier, à toutes les époques de l’histoire du monde occidental.
Alors inutile de chercher des samovars chez les antiquaires et le thé que l’on servira n’a pas forcément le goût russe.
« Dans un million d’année, la vie sera la même : elle ne change pas ; elle demeure constante ; elle suit ses propres lois, dont nous n’avons que faire, ou, du moins, que vous ne connaîtrez jamais. Les oiseaux, les cigognes, par exemple volent et volent, et quelles que soient les pensées, grandes ou petites, qui errent dans leurs têtes, elles continuent à voler et à ignorer pourquoi et où elles vont. Elles volent et voleront quels que soient les philosophes qui se trouveront parmi elles ; et qu’ils philosophent tant qu’ils veulent, pourvu qu’elles volent.
- Tout de même, il y a un sens ?
- Un sens…Regardez la neige qui tombe. Quel sens ? (Les trois sœurs).
Ivanov – c’est à dire Dupont – c’est le nom de famille le plus répandu en Russie. Un homme ordinaire – les grandes et les petites actions permutent sans cesse ; la tragédie peut se tenir dans la cuisine entre des meubles ou des préoccupations ordinaires ; et inversement les actions quotidiennes peuvent atteindre à la nudité de la tragédie classique.
Donc un jeu discontinu, travailler les ruptures, cultiver les contradictions dans les sentiments, dans les rythmes, dans les attitudes. Rien ne va de soi, rien n’est définitif : s’étonner.
Jacques Rosner
C'est une piéce émouvante et troublante, c'est un drame, une tragédie et une farce. Les personnages se jouent tantot comiques, tantot tragiques. Le temps passe à la vitesse vertigineuse des répliques et des scènes,(trois heures de spectable). Bref on ne s'y ennuie pas, et les comédiens sont des ténors des scénes de théâtre.
C'est une piéce émouvante et troublante, c'est un drame, une tragédie et une farce. Les personnages se jouent tantot comiques, tantot tragiques. Le temps passe à la vitesse vertigineuse des répliques et des scènes,(trois heures de spectable). Bref on ne s'y ennuie pas, et les comédiens sont des ténors des scénes de théâtre.
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