Je dis non, spectacle mis en scène par Fatym Layachi, est une mosaïque du refus. En empruntant les mots de grands auteurs et en leur donnant vie sur scène dans la bouche de deux comédiens, la jeune metteur en scène conjugue la force de la littérature aux ruptures du quotidien.
Expression de la résistance, de l’indignation ou encore de l’inacceptation, les trois lettres qui forment le mot « non » scellent d’innombrables pistes de réflexion. Dans la poésie comme dans la prose, la notion du refus, mère de toutes les ruptures, a été sondée et exprimée par les plus grands auteurs de la littérature. Je dis non leur rend hommage et hisse la résistance de leurs mots, couchés sur le papier, sur le devant de la scène. De Charles Baudelaire à Omar El Khayyam, de Jacques Prévert à Mikhaïl Bakounine, de Yannis Ritsos à Boris Vian, des fragments de textes minutieusement choisis et relevés par une poignée de chansons s’enlacent pour créer, l’espace de 90 minutes, une mosaïque de pensées et d’émotions, entre colères et introspections.
Écrire c’est forcément se révolter contre l’état d’une langue. Parler c’est modifier une langue, la faire sienne.
De ces réflexions qui nourrissent tant l’histoire de la littérature que celle du théâtre, m’est venue l’envie de faire une mise en scène autour de l’idée de révolte ou plus précisément du refus. Le refus de tout ce qui nous est imposé, de tout ce que l’on ne choisit pas. Il me semble justifié que le théâtre soit le lieu de cette réflexion.
Et j’ai eu envie d’explorer ce à quoi cette idée pouvait aboutir sur un plateau ; de travailler tant sur la révolte de l’acteur qui « mordrait le monde avec sa parole » pour reprendre les termes de Novarina, que celle que raconte les textes. Le refus de la société, de la condition humaine, de la religion, de l’amour dans certaines conventions, de tout ce à quoi l’on ne peut rien. Sans la prétention de changer le monde ni de faire la révolution mais plutôt d’avoir conscience de la souillure dans laquelle on vit et de la refuser.
L’envie de parler de la révolte peut être comparée à une envie de tout remettre en question, de tout brûler. D’y revenir après peut-être ; mais de ne jamais accepter parce que « c’est comme ça ». Explorer le Non avant de dire Oui. Il faut tout parjurer, pour mieux respecter ensuite. Pour comprendre et s’approprier. Pour en finir avec le jugement de Dieu et des maîtres.
Théâtralement, j’imagine que le plateau soit le lieu où l’on choisit sa voie, une sorte de purgatoire terrestre où l’on dit non. Que la prise de parole y soit irréversible.
J’aimerais que tout puisse s’additionner, que chaque mot, chaque texte soit une étape franchie, que l’on ne puisse revenir en arrière. C’est pour ça que j’ai imaginé une structure en deux parties. Une première qui serait celle de l’excitation de la condamnation avec des textes tel que des extraits de l’Homme qui rit ou de Dieu et l’Etat qui sont très vindicatifs.
Et une seconde partie qui serait celle de l’essoufflement, de la lassitude avec des textes comme ceux de Verlaine ou de Baudelaire qui sont plus dans l’expression du dégoût que de la révolte. Ces deux phases s’articulant autour de chansons durant lesquelles les comédiens danseront et chanteront comme pour exulter.
Une phrase des dialogues de Full Metal Jacket m’obsède : « je vis dans un monde de merde mais je suis vivant et je n’ai pas peur. »
J’aimerais non seulement que ma création se termine sur cette phrase mais surtout qu’elle semble être l’évidente conclusion de tout ce qui aura été dit et fait sur scène. Les deux comédiens autour de qui j’ai monté ce projet sont Clémence Labatut et Yacine Ait Benhassi. Je trouve ces deux comédiens d’une singularité qui me fait rêver. J’ai inséré également des fragments de textes choisis par eux afin de pouvoir explorer sur le plateau leurs révoltes intimes et leurs libertés propres.
Fatym Layachi
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris