Son écriture visionnaire et violente emprunte à toutes les strates de la langue grecque. Dans un arrachement intime, au bord de l’aveu, il crée une alchimie littéraire inimitable où la barbarie extrême côtoie la transcendance, où la pathologie de la guerre civile se reflète dans les guerres antiques, où le meurtre, l’humiliation, l’insulte, le viol se trouvent mêlés à la prière et à la sauvagerie de la solitude. Un univers halluciné qui raconte, comme un cauchemar éveillé, la projection violente d’un subconscient national vers le néant. Une « passion » submergée par l’ombre de l’Histoire où seule la beauté et le désir de l’écriture sauvent de l’horreur. Dimitriadis est le poète de la non-conciliation.
Yannis Kokkos
Extraits
« Et cette année-là où aucune femme ne conçut d’enfant, où les hommes allaient deux par deux dans les rues et les cafés en se crachant au visage mais chacun semblait cracher sur lui-même, puis ils partaient enlacés s’accoupler dans des sous-sols obscurs ou des tièdes buanderies où ne pouvaient les retrouver les femmes frénétiques, l’épidémie de la stérilité bien enfoncée dans leurs entrailles - elles les cherchaient dans les bordels et dans les bars, et cette recherche vaine les rendait plus belles encore, plus attirantes, plus fascinantes, plus femmes, plus à même de provoquer des passions effrénées, plus douces, elle enveloppait leurs travaux d’approche d’un scintillement de désespoir qui se gravait dans l’esprit du spectateur et ne le quittait plus, car au cours de cette recherche les femmes avaient compris que les formes de désespoir sont nombreuses, mais que l’une d’entre elles leur appartient en propre dans les siècles des siècles - , c’est cette année-là qu’eurent lieu la plupart des conspirations dans les plus hautes sphères de l’Etat, des paquets de députés se vendaient, passaient en se pavanant dans le parti diamétralement opposé dans le seul but de satisfaire des ambitions personnelles ou familiales (l’un d’entre eux, dit-on, accepta de devenir ministre pour donner une dernière joie à sa vieille mère mourante car elle se rongeait les sangs de voir son fils vieillir député), les patriotes et nationalistes fanatiques mettaient à l’abri des fortunes entières à l’étranger avec l’aide de régimes se reflétant mutuellement, que certains d’entre eux maintenaient au pouvoir par leur argent et leurs relations.
(...)Les gouvernements changeaient à une allure vertigineuse dans une succession d’échecs, de crimes et d’innombrables formes d’impuissance qui menait au bord de l’effondrement spirituel, des partisans enragés de politiciens défunts les sortirent de leur tombe, et les soulevant dans leurs cercueils boueux, les promenaient dans les rues, réclamant par des slogans extrémistes leur retour à la vie politique, prétendant qu’eux seuls pouvaient sauver le pays de la disparition totale, (...)des intellectuels fanatisés, du haut de leurs balcons, exhortaient les foules stupéfaites à renier la vie, à ne se nourrir que de racines, à se reproduire en couchant avec des statues mutilées, dans un égarement sentimental et idéologique semblable à celui de ces gens qui s’efforçaient d’intervenir dans la brûlante réalité, d’imposer un changement radical en appliquant des programmes politiques issus d’autres époques – démarches qui ont reçu le nom de « Métaphysiques du Dogme », et passent pour l’un des crimes avec préméditation les plus barbares - , (...) les meurtres atteignirent une fréquence, une cruauté inconcevables, des gens disparurent à jamais pendant la nuit et nul n’entendit plus parler d’eux ; des fosses communes s’ouvrirent dans les cimetières des faubourgs des villes, où l’on jeta des masses de corps fauchés aux heures d’aveuglement partisan, on constitua partout des pelotons d’exécutions improvisés qui fusillaient au nom de l’intégrité territoriale, de l’indépendance nationale et de la grandeur de la race (...). »
Extrait de Je meurs comme un pays
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