Scène de ménage entre Johnny, dresseur de chiens, et Carlotta, sa compagne et partenaire, dans un modeste music-hall des années 70. Derrière le brillant des paillettes, le quotidien qui s’arrange comme il peut avec les rêves d’Amérique et les difficultés d’une vie précaire. Drôle et incisif, le texte de Michel Tremblay est une invitation à partager en théâtre et musique l’intimité de ces artistes qui vivent d’espoirs non réalisés… autant dire tout un chacun !
Johnny Mangano and his astonishing dogs s'inscrit au centre d'une trilogie où prennent place également Berthe et Gloria Star, créée sur Radio-Canada le 21 décembre 1969. Trois moments d'une même réalité : les dessous du Cabaret « Le Coconut Inn ».
Johnny Mangano peut se lire comme une pièce de facture classique : une scène de ménage entre Johnny, dresseur de chiens, et Carlotta, sa compagne et partenaire. L'action se situe dans la loge d'un modeste music-hall des années 70. Les bruits des coulisses et de la scène nous parviennent : les chiens, le régisseur, le meneur de revue...
Michel Tremblay nous donne à voir l'envers du décor : derrière le brillant des paillettes, la vie de ceux qui s'arrangent comme ils peuvent avec leurs rêves d'Amérique ou de télévision et les difficultés d'une vie précaire. Ni misérabilisme ni sentimentalisme mais la vérité de L'Envers du music-hall, comme l'écrivait Colette en son temps.
L’adaptation de Marie-Line Laplante prend en considération la mise en bouche par l'acteur français du texte original : elle respecte le caractère oral et urbain de la langue de l’auteur, préservant la tension dramatique et intervenant là où la compréhension serait défaillante au point d'interrompre le cours de la dramaturgie.
Rejoignant une longue tradition littéraire, théâtrale et cinématographique qui va de Colette à Mathieu Amalric, en passant par Chaplin, Marcel Carné ou Fellini, Johnny Mangano s'inscrit par ailleurs dans l’une des thématiques récurrentes du Théâtre du Lin : la différence sexuelle.
Ainsi le texte réfléchit une certaine opposition des pôles masculin et féminin qui peut prendre différents visages. Non pour placer le féminin en position dominante mais bien plutôt centrale : une stratégie pour bousculer les catégories, les genres et mieux interroger nos identités respectives.
Le music-hall, par l'origine sociale de la plupart de ses artistes aussi bien que par leur rémunération et leurs conditions de travail, s’apparente plus à une usine qu'au temple des arts. Un monde populaire mais plus mélangé, hétérogène, que le milieu ouvrier proprement dit et où l'élément féminin occupe une place importante.
Sans complaisance, Michel Tremblay restitue toute leur humanité à ces artistes de rien qui parlent d'argent et de difficultés matérielles. Un état économique qui n'est pas complètement la misère : la gêne.
Décrivant l'envers du music-hall et non son endroit, apparaissent alors dans le texte les difficultés du couple à maintenir un lien d'affection dans ce contexte où les illusions de jeunesse et les élans du coeur amoureux se cognent au mur de la réalité.
Epuisement des rêves et des espoirs qui s'effritent pour se maintenir malgré tout, à coups de petits pardons quotidiens. Les économies libidinales masculine et féminine s'opposent, se confrontent, se heurtent et parfois s'échangent, se retournent.
Depuis sa création, le Théâtre du Lin est engagé dans une recherche où création musicale et création théâtrale se répondent. L'univers du music-hall ne pouvait donc rester longtemps en dehors de ses préoccupations.
La fréquentation de grandes traditions scéniques et la réappropriation d'une certaine culture populaire sont l'occasion d'inviter le public à partager des propositions scéniques nouvelles : le texte contemporain rencontre des codes de jeu et de représentation appartenant à la mémoire collective mais ré-inventoriés pour réfléchir le monde qui est le nôtre.
Mettant en scène Johnny Mangano, notre souci n'est pas tant de montrer au spectateur le geste préparatif et caché qui précède la représentation, d'engager les processus inverses de la scène à la coulisse, que de l'inviter à partager les heures douloureuses et l'intimité de ces « professionnels de l'exhibition » que sont les artistes du music-hall.
Un certain réalisme de la situation proposée par le texte impose d'emblée de se conformer à l'image ou figure traditionnelle du dresseur de chiens et de son assistante en scène : paillettes, perruques et costumes élimés semblent nécessairement requis.
La direction d'acteur ne cherche pas à styliser excessivement le jeu des comédiens. Il s'agit plutôt de s'attacher à un jeu « concret stylisé » : entre précision du geste ou de l'attitude corporelle et respect de la langue orale, urbaine, imagée du dialogue. Aussi la distribution respecte ce que propose le texte : les comédiens ont l'âge des personnages.
La représentation de la loge est un élément incontournable du dispositif scénique. Mais comment déjouer l'écueil du réalisme ? « La loge sur la scène » n'est pas sans poser question : il fallait donc interroger les conventions scénographiques nécessaires à l'acceptation, par le spectateur, de cette incongruité de la loge représentée sur la scène.
L'imagerie traditionnelle devait être ici conciliée avec un déficit assumé d'une représentation par trop mimétique : quelques éléments indispensables ou signes tangibles de l'espace intime suffisent à créer le lieu du hors scène. Un espace conçu pour signifier le lieu de l'intimité sans l'encombrer d'un réalisme excessif.
La pièce porte l'envers en son endroit mais un hors-champ sonore nous donne à entendre l'espace de la scène. Ce hors-champ est l'occasion de créer un univers sonore et musical, donné à voir avec la présence en scène d'une comédienne, musicienne et chanteuse.
Ainsi l'espace scénique se dédouble. D'une part, l'aire de jeu de Johnny et Carlotta circonscrite à l'espace de la loge. D'autre part, un hors champs, entre scène et coulisses, où est donné à voir l'image du « théâtre ».
Il était important de trouver les moyens de mettre en scène Johnny Mangano pour que l'on comprenne qu'il ne s'agit pas seulement de l'histoire de ceux qui font le métier de la scène mais que cette histoire est celle de ceux qui vivent d’espoirs non réalisés, autant dire tout un chacun.
« La Compagnie Théâtre du Lin nous offre un spectacle séduisant, d’une grande justesse, léché et plutôt prenant » Fousdetheatre, 2 août 2014
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris