Résumé
Extrait
Note d’intention du metteur en scène
Note d’intention de l’auteur
Note d’intention du scénographe
Le Théâtre Parenthèse
René est fatigué. Écrivain médiocre, il n’a plus écrit depuis des lustres, et la dure condition de vivre, qui plus est de vivre en couple, l’écrase. Désabusé et désœuvré, il a pourtant besoin qu’on le rassure. Simone aime René. Toute maigre qu’elle est, elle l’implore pour qu’il l’emplisse, qu’il comble tous ses vides. Sa quête à elle passe par le corps, un corps appelant, qu’elle voudrait sentir caressé, choyé, étreint… Simone et René sont à première vue des êtres inséparables. Nos deux inséparables sont en voie de séparation.
Simone : C'est quoi ce truc, qui s'est posé juste là devant, sans me prévenir, sans faire le geste, sans aucun égard pour la frayeur qui maintenant s'est emparée de moi tout entière et qui me tremble de bas en haut... Qu'est-ce que c'est ? Je ne vois rien à cause de cette lumière noire qui me perfore les yeux, mais qui m'a traînée jusqu'ici. Où ? J'ignore, mais... René, qu'est-ce que vous foutez là derrière moi, à vous planquer, vieille carne de salaud, mon amour, la honte au front comme un soldat lassé revenant de défaite ?
René : J'avance comme je peux, dans le noir, car je ne sais rien de cette lumière dont vous parlez, ni de ce truc posé là devant et que je ne vois pas. Parce que ce truc, il est sorti tout droit de l'intérieur de votre tête, et que par suite, il m'est tout aussi étranger que les pensées qui vous agitent, dont je devine pourtant, tout perdu que je suis au cœur de la ténèbre, qu'elles ne présagent rien de bon. J'avance sans même me demander pourquoi, vu que je ne vois rien et qu'en outre je n'ai pas d'autre choix, ayant depuis longtemps renoncé à aller de moi-même ici plutôt que là. J'ai été forcé de vous suivre et depuis je me visse à vos pas comme la moule au rocher. N'exigez rien de plus, ou vous me verrez décamper sur le champ...
Simone : Embrasse... Embrasse, je te dis.
René : Avec la langue ?
Simone : Avec tout ce que tu voudras.
René : C'est mieux avec la langue, mais sans que ça mouille ou que ça bave. Quand ça bave, ce n'est plus un baiser, c'est gluant comme le glaire d'un tuberculeux. Parlez d'un frisson. C'est tout un art le baiser avec la langue. Il y faut beaucoup de délicatesse. Ces couples de jeunes gens qui se sucent le museau à longueur de journée n'y entendent rien du tout et deux chiens se léchant le cul sont moins risibles qu'eux. Je sais bien qu'à rebours, il en est qui défendent le baiser sans la langue. C'est à proscrire sans hésiter. Sans la langue, les lèvres s'embouchent l'une sur l'autre, aspirant goulûment l'espace vide des deux cavités buccales en émettant des bruits de ventouse, comme un vieux pneu qui se dégonfle. Ça donne un baiser tiède et flasque au goût de caoutchouc. Avec la langue, c'est autre chose.
...
René : Tu parles d'un adversaire. D'abord elle veut la guerre, puis elle veut qu'on l'embrasse et après la séance d'attouchements, quand elle devrait sourire la voilà qui se ferme. J'attends un corps à corps, dans les règles de l'art... Me voilà embarqué dans une guerre psychologique.
Simone : Et qu'attendez-vous pour frapper ?
René : Je refuse de donner l'assaut à un ennemi malade, diminué, et ne disposant pas de toute sa force de frappe.
Simone : Ne jamais sous-estimer un ennemi. Certains s'en sont mordus les doigts.
René : Le mien n'est qu'une femme, faible de corpulence, totalement désarmée question virilité, défaillante sur le plan médical. Sans parler des menstruations qui lui font baisser la tension et monter la mauvaise humeur.
Simone : Menstruations, menstruations, pour les tarir, il existe un moyen. Mais c'est au-dessus de vos forces.
René : L'ennemi est de mauvais poil. Je le sens sur le point de commettre une erreur stratégique. Relevez-vous Simone, et poudrez-vous le nez. Vous avez le teint blanc des cadavres.
Simone : Alors chargez, et donnez l'estocade.
René : Trop facile, je veux vous vaincre de haute lutte, à la sueur du front, au péril de ma vie ; frapper un ennemi qui trébuche et se répand à terre avant même la première semonce, c'est indigne de moi.
Simone : Vous auriez tort de vous gêner.
(…)
Aller au plus près
« Pour ma part, j'ai seulement envie de raconter bien, avec les mots les plus simples, la chose la plus importante que je connaisse et qui soit racontable, un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des bruits, n'importe quoi qui soit un bout de notre monde et qui appartienne à tous. » Bernard Marie Koltès
« Complices de longue date, nous avons en commun, avec Patrick Vignau, Nathalie Vannereau, Emmanuel Clarke et Gilone Brun, un langage et une démarche de travail. Nous nous connaissons bien. La confiance est réciproque. Les choses vont plus vite.
Patrick Vignau fait partie des compagnons du début. J'ai monté sa première pièce avec l'atelier amateur que je dirige à Yzeure et très vite j'ai eu envie, avec lui, de travailler une écriture en mouvement. Une démarche qui fonde l'identité du Théâtre Parenthèse.
Pour la compagnie, Patrick Vignau a écrit : La Fille en rouge, Revenants et Sur la terre comme au ciel. Il accepte volontiers de remettre en question son écriture, de la confronter aux acteurs, à l'aire de jeu, quitte à réécrire partiellement ou même entièrement sa partition. Sans cesse, dans ce dialogue, ce va-et-vient entre l'écriture et le plateau, nous interrogeons cette matière vivante et contradictoire, ce puits d'oralité creusé dans l'écriture théâtrale.
Vignau est un être exigeant, mystérieux et en perpétuelle mutation, totalement imprévisible, comme son écriture ; c'est pour cela que j'aime travailler avec lui. Ses textes dérangent, déroutent, ils ne délivrent pas spontanément leurs clefs.
J’ai voulu traiter Jour de noce… comme une scène de cinéma. Une femme, un homme. Son homme. Musique lointaine. La main de l'homme avance vers la nuque de la femme. Elle ouvre les yeux. Dialogues. Leurs regards au lointain. Elle tournée vers l'Est. Lui tourné vers l'Ouest. Ils s’enlacent. Il parle. Sa main droite parcourt le dos de la femme, sa femme… Le temps s'étire. La musique revient, telle une plainte. La femme déboutonne lentement la chemise de l'homme. Il détourne le regard. La main de la femme parcourt le torse de l'homme, son ventre. On entend sa respiration…
J'ai eu besoin d'inventer ce spectacle avec l'idée du cadrage cinématographique, parce que tout est ici extrêmement intime et que tout parle, tout raconte l'infiniment petit. Il y a des changements brusques de l'espace, du hors champs... Cela pour dire la beauté de cette chose-là : l'amour d'un homme et d'une femme... loin du fracas du monde. »
Jean-Michel Coulon
Vivre, c’est déjà résister
« Simone et René sont à première vue des êtres inséparables. Ils composent ce qu’on appelle un couple, du latin copula, qui veut dire « lien » ou « chaîne », et que la physique du XIXe siècle, plus attachée qu’on croit à traquer la nature de la chose amoureuse, désigna comme « l’ensemble de deux forces égales travaillant en sens inverse ».
On l’aura compris, nos deux inséparables sont en voie de séparation. Les ratés, les reprises, les aléas de ce parcours tissent la trame de ce texte. Automne d’un couple en proie aux tentations d’un ailleurs où l’amour serait à réinventer de toutes pièces… Pour peu qu’il ait d’abord été mis en pièces.
René est fatigué. Écrivain médiocre, il n’a plus écrit depuis des lustres, et la dure condition de vivre, qui plus est de vivre en couple, l’écrase. Aimer est pour lui affaire trop complexe, trop pleine d’exigences et de renoncements, trop chargée de devoirs, requérant trop de soins et d’attention portée. Son physique disgracieux le désole et le distrait d’être un amant soucieux de son allure ou de prouesses nocturnes. Faisant mine de se désintéresser totalement de la chose érotique et de ses gesticulations, faute de croire aux vertus de l’écrit, comme au reste d’ailleurs, il rechigne même à user de la chose comme sujet d’écriture.
Désabusé et désœuvré, il a pourtant besoin qu’on le rassure. Loin du détachement viril de celui qui, dans une claire conscience empreinte de lucidité, renonce à tout pour s’adonner au jardinage, René supplie qu’on l’aime et qu’on le lui dise. Seulement qu’on le lui dise. Et qu’on lui répète. Sans plus. Le mot seul lui suffit. Sans les gestes.
Ce n’est pas un ingrat. Seulement, quelque chose est rivé à lui comme une teigne vissée sur un crâne et qui le vide de sa substance vitale. Il porte dans sa chair, d’un premier amour de passage, comme un mauvais germe qui n’a jamais éclos, tant sa chair est inféconde, un germe qui attend patiemment de se voir transporter dans un milieu plus accueillant, propice au plein développement de sa nocive puissance. Ce milieu accueillant, c’est elle, Simone.
Simone aime René. Toute maigre qu’elle est, elle l’implore pour qu’il l’emplisse, qu’il comble tous ses vides qui la rendent pareille à ce drap ajouré qui couvre, dit-on, les fantômes. Sa quête à elle passe par le corps, un corps appelant, qu’elle voudrait sentir caressé, choyé, étreint… un corps qu’elle voudrait enfin réjoui, enfin apaisé de jouissance.
Or voici qu’elle aime René, cet homme que tout ce qui relève du corps révulse. Son sentiment dès lors va se porter sur l’autre registre de l’amour : le don, la transmission, l’enfantement. Las, loin de prolonger l’infinie lignée de femmes dont elle est issue, elle se retrouve dépositaire de ce mal qui grignote sa chair pourtant déjà dépossédée.
Pour autant, ce qui pourrait paraître une lente décomposition, laisse apparaître, parmi les cendres, un sens oblique fait de pudeur et de retenues : un amour autre par lequel ces deux solitudes s’inclinent l’une vers l’autre, après maintes batailles, pour partager un sentiment, une humanité, la plus essentielle peut-être à transmettre, car la seule à laquelle se mesurent la singularité et la grandeur des hommes. »
Patrick Vignau
« Jean-Michel Coulon est de ces gens qui acceptent d’emblée le risque de s’égarer dans l’invisible. Comme il est metteur en scène, il excelle dans cet art caché qui consiste à s’y repérer. Orchestrant dans l’ombre ses visites guidées dans ce qui, par définition, échappe à toute visite, il s’attache à l’essentiel : rendre visible l’invisible, accueillir, accompagner, incarner l’indicible. Le rêve pour un auteur ? Sûrement pas. Nos exigences respectives souvent se heurtent. Le travail avec lui est toujours en tension. C’est pourquoi il m’est cher. Parce qu’il résiste, tout comme la langue se refuse. Il n’est question avec lui que de dépassement, de surmontement, de transcendance, jamais d’évitement ou de contournement. Il n’est question avec lui que de création, jamais de la simple reproduction du même. »
Patrick Vignau
Comme un « trou noir »
« Ni le sens ni la forme ne sont premiers,
seulement la matière, l'informe et l'inconstitué en attente d'un geste, un geste identique à celui de l'enfant cherchant à distinguer son propre corps du monde qui l'engloutit.
Une femme, un homme, un espace, un temps.
L'homme et la femme se parlent.
Des mots sortent de leur bouche.
Nous ne savons pas toujours s'ils se parlent à eux-mêmes ou s'ils parlent à l'autre.
S'ils parlent de l'autre en parlant d'eux-mêmes.
S'ils sont seuls ou ensemble.
Il semble qu’ils soient ensemble, mais un troisième personnage se dessine, omniprésent, doux, menaçant, invisible,… à la frontière du perceptible.
Peu à peu cette présence indistincte envahit l'espace, ronge le temps et l'amour qui unit les personnages vivants, visibles et palpables.
Ce « troisième personnage », je l’ai dessiné comme un espace en creux, un « trou noir », une potentialité absolue qui retiendrait la lumière captive. Il nous échappe.
Face à cette femme, face à cet homme, nous tendons nos langues, nous tordons nos langues dans le désir incommensurable qu'une goutte de ce suc trop fort vienne s'y déposer.
Noir. »
Un dispositif bi-frontal
De part et d’autre d’un couloir de 3 à 4 mètres de large sur une quinzaine de long, qui se distingue par un étalement de tapis « persans » épars et bariolés, un rang de bancs derrière lequel un à deux rangs de chaises peuvent accueillir une centaine de spectateurs ; chacun des spectateurs est ainsi à la fois au plus près des comédiens et du jeu, à la fois, selon le moment et l’endroit où il s’est placé, très près ou très loin de la scène en cours ; le regard opérant ainsi une sorte de travelling cinématographique entre le très près et le plus lointain.
La musique pourrait être une musique de film sinon qu’elle épouse, qu’elle porte, qu’elle accentue chaque mouvement, chaque déplacement, chaque émotion, chaque rupture de rythme…
… tout comme la lumière.
L’ensemble est techniquement autonome. Il nécessite un lieu qui peut faire un noir complet. »
Gilone Brun
Le projet prend forme en 1992 sous l’impulsion de Jean-Michel Coulon. Nathalie Vannereau le rejoint peu après. Tous deux sont animés par la volonté de développer un projet artistique autour de textes contemporains d’auteurs vivants.
À cette même époque, la Ville d’Yzeure (Moulins, Allier) développe une forte politique culturelle et décide notamment la réhabilitation d’un ancien entrepôt au cœur de sa zone industrielle, offrant à la compagnie, ainsi qu’à d’autres, un espace de création théâtrale où travailler dans les meilleures conditions. Le Théâtre Parenthèse y fut en résidence jusqu’en décembre 2003, avant de migrer vers un espace plus vaste, à l’ancienne chapelle de Moulins, où la compagnie Archimage de Guy Jutard résidait auparavant.
La compagnie se consacre d’abord au jeune public. Après l’adaptation d’un roman de René Fallet, Bulle ou la Voix de l’océan, elle précise son projet en réalisant coup sur coup, en collaboration étroite avec des groupes scolaires de quartiers défavorisés, un spectacle autour de l’exclusion, Pierre et les oies sauvages, 1993, et un second, sur la guerre : Journal de Zlata, lettres d’une jeune Yougoslave, 1994.
Parallèlement, la compagnie développe rapidement des actions de formation et de sensibilisation. Elle commence avec un atelier de réinsertion par le théâtre destiné à des chômeurs longue durée. Cette préoccupation demeure un des axes essentiels de la démarche artistique de la compagnie. Chaque création est prétexte à lectures, stages, répétitions publiques et scolaires, rencontres avec les auteurs, les acteurs et les metteurs en scène.
Près de 100 personnes, enfants et adultes confondus, suivent actuellement les ateliers hebdomadaires proposés.
Dès 1994, le Théâtre Parenthèse engage résolument sa démarche vers les écritures contemporaines. Il monte alors
Potestad. Puissance paternelle d’Eduardo Pavlosky. Ce spectacle, mis en scène par Nathalie Vannereau, inaugure une trilogie sur le thème de la guerre. Il sera suivi de La Fille en rouge de Patrick Vignau, pour se clore avec
Le Pain de Roméo d’Olivier Py. À chaque fois, le dialogue avec l’auteur et l’analyse des plus fines ressources du texte sont exploités au plus profond, avec le souci constant de questionner sans fin les « matériaux » élémentaires de la geste théâtrale. À chaque fois, cette démarche s’exprime avant tout dans des travaux qui cherchent à éclairer l’humanité de l’être, dans l’environnement social et politique qui est le nôtre.
78, rue du Charolais 75012 Paris