Présentation
Un mot de l'auteur
Dans la cicatrice des amants de la nuit
La pièce a obtenu le prix d’écriture théâtrale Guérande 2002
Lisant L’Adoration, j’ai tout d’abord été saisi par le rythme qui, sans jamais faillir, mène l’action jusqu’à sa résolution.
Le rythme qui est la respiration dramatique et l’expression sensible, sensuelle, de ce qui se joue.
Le rythme qui ne s’exprime que par le fait et la composition de l’écrit.
La pièce est donc « écrite », ce qui n’est pas si fréquent. Elle se joue et l’action avance, par la seule imagination du langage sans l’artifice de l’intrigue.
Le choix de l’auteur de se faire retrouver les deux protagonistes de cette mise à mort sur la terrasse d’un dancing aux Antilles, leur terre natale, n’est pas fortuit : il ajoute à ce « huis clos » - qui est en fait un lieu ouvert surplombant la mer et le vide - une tension particulière associée au sentiment de l’exil. Chine et Rodez semblent infiniment loin, suspendus dans le temps et dans l’espace.
C’est sans nul doute cet éloignement, ce vis-à-vis, ce frottement avec une culture autre - même si toute l’histoire que raconte Chine dans un flash-back halluciné se passe « en France » - qui permet de revisiter une histoire connue de tous et qui trouve ici l’exacte distance pour toucher et émouvoir.
Alain Ollivier
Abandonner décence, mesure, soumission à un minimalisme encore en suspension dans l'air du temps.
Ne pas craindre de se laisser contaminer par les aînés qui ont bercé nos lectures, saturé nos yeux d'images, s'inspirant eux-mêmes de ceux qui en avaient parlé avant, dans une incestueuse et pérenne filiation.
Ne jamais se demander comment encore parler d'amour, comment redonner une opacité à des mots devenus transparents à force d'avoir été inlassablement écrits et prononcés.
Et puis, ne pas craindre d'être toujours au bord du mélo, au bord du gouffre, au bord de jouir, aller aux confins du romantisme sans se préoccuper de savoir s'il sera ou non dans l'air du temps.
Se souvenir qu'adorer signifie rendre un culte à une divinité.
Baptiser la femme Chine et l'homme Rodez et placer ce dernier devant la première, tel un mirage, une irrésistible épiphanie, une colonne de chair où se dissoudra à jamais le regard de cette femme hurlante, et à partir de ce moment précis, travailler la matière insatiable de son désir comme on travaillerait une glaise pénétrante et sombre.
Enfin, oublier remparts, rédemption, pénitences, salut et guérison, et porter les personnages à leurs plus simples et indicibles incandescences jusqu'à ce qu'ils en viennent - au terme d'un tragique soliloque et d'un mutisme aride et éloquent - à se statufier tous deux devant la déclaration de l'amour et les regarder vivre et frémir et ne plus vivre, dans leurs respectives solitudes, comme les icônes perpétuelles de nos vies.
Jean-René Lemoine
On le sait, d'un coup de foudre, il ne reste rien, sinon des cendres froides comme le baiser de la mort, juste une défaite transformée en victoire, une peur à jamais au ventre, un chaos d'amertumes, le regret de ne pas avoir été détruit pour de bon. Tous les écorchés vifs le savent. Un regard, un seul, et tout est dit. Le désir et sa fin, l'obsession dans son impasse compulsive. Aucune parole, aucun geste, ne suffiraient - ni ne pourraient - réactiver ce premier coup, à la fois imparable et funeste. C'est de ne pas s'y résigner que vient cette tension, ce paroxysme passionnel, qui secouent Chine et Rodez, les deux héros abîmés de L'Adoration. Ne pas y voir une déclaration d'amour retardée, différée, interdite parce que non réciproque, mais une intensité proprement dramatique, et donc éminemment théâtrale, mise en scène à la perfection. Dans L'Adoration, chacun joue son rôle, et au fond personne ne veut partager l'Enfer de l'autre, son narcissisme, son indifférence fondamentale. Ce qui est profondément aimé ici, ce n'est pas ce qui rassemble, fusionne, mais bien ce qui sépare et suture dans le même temps, comme une cicatrice trace une limite et une frontière réunissant deux chairs brutalement meurtries.
Tout se passe la nuit avec L'Adoration, en amour tout se passe toujours la nuit. Le désir, les larmes, la haine, la fin, le commencement, et les mots que l'on retient, que l'on saura par cœur, qui nous reviendront comme des fantômes, des ventriloques de nous-mêmes. Unité de temps, d'action, de lieu, la pièce ne dit pas autre chose. Mais pour cela il faut parler, ne pas s'arrêter, ou alors pour écouter le bruit des vagues qui battent au bas de la terrasse, ou l'orchestre qui joue parmi des danseurs invisibles, pour d'autres spectres insomniaques. Il faut laisser aller la musique, elle parle elle aussi. Rodez et Chine, ne peuvent ni parler ni se taire à la fin, alors ils "s'entendent" pour faire du théâtre, pas n'importe lequel, du théâtre claudélien, c'est-à-dire hanté par la faute positive, le sublime déclamatoire, là où une fellation est sacrée comme le saint-esprit, et où une main est bandée par un accident aussi divin que fatal. Méfiez-vous de l'apparente simplicité des enjeux de L'Adoration, de ses monologues entortillés comme des serpents venimeux, ils risquent à tout moment de vous sauter à la gorge. Oui, c'est vous dans cette Notte antonionienne, qui sanglotez de rage abandonnée, qui avez la fièvre à force d'aimantation, qui êtes de retour dans votre lieu d'origine (là les Caraïbes, mais ça n'a pas d'importance, partout ailleurs aurait fait l'affaire). L'amour n'est jamais transparent, tout est transparent sauf l'amour.
On aura dit vite et sans théorie, ce lyrisme sec, cette ligne droite qui ne mène nulle part, cette langue que personne ne parle, mais que tout le monde comprend. Cela s'appelle L'Adoration, c'est beau et sans bavure, cela pourrait-être un sit-com, et c'en est un, cela pourrait être aussi un exercice de dévoration, un rapport médical, une prière, un mélodrame ou un exorcisme, un crime sans châtiment (un "crime d'amour", tel qu'il est dit dans la pièce), et c'est cela aussi. Oubliez le jeu du double, la "réversibilité des rôles", le masochisme ordinaire, le couple impossible, la psyché à l'épreuve du moi hors de lui, la pulsion afro-caribéenne dans tous ses états postcoloniaux, toutes ces abstractions surfaites, il s'agit d'autre chose. Adorer ne fait pas le détail, la pièce non plus, elle court, droit au but, comme une étoile filante, une flèche au curare, quelque chose qui vous frappe, elle a son mystère, elle le tient. Elle ne le lâche pas d'une seconde. Il est là, vous l'avez vu, vous l'avez déjà oublié, il est aussi le vôtre, il vous tente, il vous brûle, vous le donnez à n'importe qui, comme tout ce qu'on ne possède pas et dont personne ne veut ; peut-être qu'une fois pour toutes, vous vous êtes dit comme Lacan :"Tout ce qui est su, est perdu pour le désir".
Yan Ciret
59, boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis
Voiture : Depuis Paris : Porte de la Chapelle - Autoroute A1 - sortie n°2 Saint-Denis centre (Stade de France), suivre « Saint-Denis centre ». Contourner la Porte de Paris en prenant la file de gauche. Continuer tout droit puis suivre le fléchage « Théâtre Gérard Philipe » (emprunter le bd Marcel Sembat puis le bd Jules Guesde).