Fiction et réparation
Apprendre à être heureux
Extrait
De l’addiction à la résilience, une jeune fille d’aujourd’hui doit se construire un parcours qui, en l’occurrence, passera par la fiction thérapeutique et le rock’and roll. Après Le premier et le dernier, Anthropozoo et Clara 69, Gildas Milin nous revient, toujours préoccupé d’expérience scientifique, et d’investigation sur le cerveau et les comportements humains.
L’anecdote de L’homme de février renvoie au travail du thérapeute américain Milton H. Erickson. Alors qu’il était mis en échec face à des patients victimes de tels déficits de la capacité à être heureux, et qu’après un certain nombre de tentatives de suicide, ils s’enfermaient dans une sorte de mutisme total, Milton Erickson recourt à la fiction.
Il propose à ces patients d’inventer un personnage fictif : de se dire qu’à partir de maintenant, ce personnage fictif, cet « homme de février » sera toujours là auprès d’eux à les encourager, à les aimer. Il demande à ces patients d’imaginer l’homme de février les accompagnant, les rassurant, et il constate de réels changements dans leur perception du monde et dans leur aptitude à communiquer.
Pour lui, la fiction est porteuse de réparation. La pièce L’homme de février est une fiction sur un ensemble de fictions créées par un personnage, Cristal, pour se réparer.
On assiste aujourd’hui à une propagation des zoos d’artistes : de Star Academy à toutes sortes de reality shows, jeux... Il y a, derrière tout ça, un stratagème du capitalisme qui consiste à faire croire au plus grand nombre que chacun est acteur (depuis son site, son blog, film personnel, télévision personnalisée...) là où il n’est l’acteur que d’une consommation organisée.
Un des univers traversé par Cristal est un zoo d’artistes, tel qu’il en existera sous peu: un studio d’enregistrement où on cherche à capter, mesurer, commenter les intuitions fondamentales des artistes en état de création. Derrière cette brutalité se cache le désir de supprimer toute invisibilité et se dessine un monde d’acteurs sans spectateurs.
Gildas Milin
Cristel a toujours rêvé de chanter. Chanter de simples chansons. Très jeune, elle doit faire face à une impossibilité. Sa timidité a toujours été si grande, son incapacité à gérer ses émotions a toujours été si forte, qu’elle ne peut tout simplement pas se tenir devant un public sans être couverte de plaques rouges, sans se mettre à gonfler, sans s’évanouir, sans perdre la voix, sans vouloir disparaître. Des dizaines de fois en quelques années, elle renonce à son rêve, puis se mobilise à nouveau, puis se décourage encore.
Enfin, elle décide de devenir quelqu’un d’autre ou plutôt de devenir celle qu’elle croit être véritablement. Cristal devient son propre laboratoire. À coups de bêta alpha bloquants, d’antidépresseurs, d’anxiolytiques,- d’antihistaminiques, de corticoïdes, de cocktails de dopants de toutes sortes, elle se forge à la fois une voix et une personnalité capable d’affronter le public.
Cristal a presque réussi sa mutation quand elle se livre à Christelle : une chanteuse légèrement plus jeune qu’elle, à qui la vie sourit et qui n’a jamais eu besoin pour chanter d’utiliser la moindre substance. Une amitié naît entre les deux femmes, puis entre les différents musiciens qui les accompagnent. Cristal est à nouveau dévorée par le doute. Christelle invente une fiction pour sortir son amie de la douleur : L’Homme de février.
"Une compilation d’oracles sur la mort et sur le rock n’roll." Gildas Milin
Le texte de la pièce est à paraître aux Éditions Actes Sud.
Avec les musiciens Jérôme Boivin, Flavien Gaudon, Olivier Guilbert, Philippe Thibaud et Vassia Zagar.
« Cristal. - Il y aurait des bandes de décohérence qui correspondraient à différentes entrées ou sorties vers le dedans ou vers le dehors. Aucun pont. Des ruptures plutôt, sans frontières nettes, définies. Les différents univers du discours seraient décorrélés les uns des autres. Alors plus personne ne pourrait savoir où a commencé telle ou telle bande de décohérence et dans quel univers du discours on vient d’entrer. Et en avançant, moins on serait sûr de la nature de ce qui a commencé, et plus ce dont il est question serait un peu partout. Comme dans une mer. »
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