Présentation
Jean-Michel Rabeux : gloire au mauvais goût !
Neige et sang. Blanc et rouge vif. Des couleurs tranchées pour un spectacle tranchant. La scène ressemble à un ring, et ce qui s’y joue a quelque chose d’une partie de coups de poing. Les répliques sont comme des gifles. Elles mutilent. Elles tuent. (...) C’est une comédie dérapante, qui glisse malgré elle dans l’horrible. S’y affrontent des personnages au sexe incertain - sont-ils des hommes transformés en femmes ou des femmes devenues hommes ? L’un (l’une ?) d’eux est l’objet de toutes les attentions, de tous les désirs : Irina. L’action se passe dans une Sibérie d’opérette. Il y a des traîneaux, des chiens, des loups, un capitaine Pouchkine... Irina est enceinte. De qui ? De Madre, sa mère ? De Garbo, son amant ? Ou du mari de Garbo ? Difficile à démêler. De toute façon, Irina couche avec tout le monde. Elle accouche dans les toilettes. Avorte. Le sang gicle. Les deux autres volent à son secours, participent aussi à la mascarade. On bascule dans l’horreur, la scatologie. (...) Drôle, sarcastique, affolante, terrible, une mise en scène remarquable, servie par des comédiens impressionnants (...).
Aden, octobre 2001
C’est la première fois que vous montez une pièce de Copi. Pourquoi aujourd’hui ?
J-M. R. : Je me suis toujours interressé à Copi. Quand je suis venu au théâtre, ceux qui ont le plus compté pour moi en dehors de Claude Régy, ce sont les Argentins. J’ai assisté dans les années 1970 à la création de L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, avec Copi lui-même dans le rôle de Garbo. J’étais très attiré aussi par le travail de Jorge Lavelli et d’Alfredo Arias. Cette chose tellement française, le bon goût, Lavelli donnait un grand coup de pied dedans. Ce mauvais goût baroque que les Français nomment vulgarité - quelque chose comme une bouche avec des confettis dedans - me réjouissait énormément. Un jour Copi a été étiqueté d’avant-garde et c’est devenu vite ringard. Mais aujourd’hui, où l’on subit une chape réactionnaire puritaine, je suis certain que les plateaux de théâtre vont redevenir de mauvais goût.(...)
D’apparence facile, le théâtre de Copi n’est pas évident à mettre en scène. Comment vous y êtes -vous pris ?
J-M. R. : Comme beaucoup de textes de Copi, L’Homosexuel est une pièce écrite hâtivement, mais il y a des choses vraiment belles. C’est un mélange permanent du grotesque le plus énorme et de l’effroi le plus glacial. Pour trouver comment jouer ça, on s’arrache les cheveux. Son théâtre est un numéro d’équilibriste, c’est ce qui le rend dangereux à interpréter. On est tout le temps dans le paradoxe, très loin de l’esprit français. (...) La pièce se passe dans une Sibérie imaginaire. Les personnages s’appellent Madre, Garbo, Irina... C’est drôle et terriblement cruel... Il y a une obscénité omniprésente et une cruauté permanente. Les corps sont grimaçants, les moeurs terribles, il y a du sang, des accouchements impossibles, mais derrière tout cela, on trouve l’amour. J’ai l’impression qu’en général ce que les femmes appellent l’amour, c’est une vie bourgeoise bien protégée. Tandis que pour les hommes, l’érotisme consiste simplement à se vider les couilles. Or, les rapports entre les monstres, clowns, animaux, chimères que sont les personnages de Copi ne relèvent ni de l’une ni de l’autre tendance. L’amour, c’est fait pour se brûler et mourir jeune.
Il y a aussi une dimension parodique, dans ce théâtre ?
J-M. R. : On joue avec la convention Tchékhovienne (puisque nous sommes en Sibérie), mais aussi avec le théâtre de boulevard. Copi n’écrit pas n’importe quoi : il y a des situations à jouer. Ceux qui jouent ces situations ne sont pas des personnages, ce sont des acteurs ringards de la fin du XIXe siècle, des chanteurs d’opéra, des loups, des chiens...
Ce sont des monstres, d’une certaine manière ?
J-M. R. : L’idée de l’éros comme contre-pouvoir est une chose tellement paradoxale ! Ce que j’aime par-dessus tout, c’est l’explosion de l’ordre par les excès de l’éros. Quelle que soit la forme de ces excès. J’aime les monstres, les marginaux ; pour moi, ce qui est monstrueux, c’est l’ordre qui les voit comme ça. Je ne suis pas heureux du rapport que les gens entretiennent aujourd’hui les uns avec les autres. Il me semble normal d’être marginal. (...) Si on monte Copi, ce n’est pas pour la gloire, encore moins pour l’argent. On va encore nous dire que c’est vulgaire. Car la nécessité d’un ordre social et d’un ordre moral ne saurait être remise en question. Pourtant, cet ordre ne doit pas être considéré comme une valeur. Ces règles que l’on veut faire entrer dans nos crânes, nos lits, nos sueurs, nos sexes sont une forme de totalitarisme subtil que je ne peux pas accepter.
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