Dans les plaines de Flandre, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, l’administration britannique recense ses morts anonymes tombés au champ d’honneur. Une mère et sa fille, venues réclamer le corps de leur cher disparu, perturbent de leur présence cette monstrueuse entreprise de marketing funéraire et de glorification nationale...
Jean-Paul Wenzel connaît bien, pour l’avoir exploré à plusieurs reprises, l’imaginaire tragi-comique de Howard Barker, l’un des héritiers les plus pertinents de la tradition shakespearienne.
Au lendemain de la guerre de 14-18, quelque part dans les Flandres, sur l’un des sites où se sont déroulés les combats sanglants, le jeune Prince de Galles commande l’édification d’un cimetière pour les soldats anglais dont les cadavres sont encore mélangés à la terre. La tâche est confiée à l’entrepreneur Hacker.
Des soldats, eux-mêmes rescapés de ces lieux, sont chargés d’exhumer ce qui reste des corps de leurs anciens compagnons pour les recenser, et donner à chacun une sépulture.
Le tout est supervisé par Bride, «directeur en chef des commissions pour les tombes», un type scrupuleux qui peut réciter par cœur toute la liste des soldats morts...
Mais la tâche est considérable, et l’inauguration du lieu par le Prince de Galles en personne est prévue dans un délai bien trop court, d’autant que l’arrivée inopinée de Madame Toynbee et de sa
fille Lalage, venues chercher le corps de leur fils et frère pour le ramener en Angleterre, ne va pas simplifier les choses.
Dès lors, le champ de bataille va devenir le lieu de toutes les représentations...
La guerre de 14 inaugurait un siècle barbare, les attentats du 11 septembre ont inauguré le suivant. Et nous voici, comme les personnages de L’Amour d’un brave type tantôt titubant sur les décombres, à fouiller la terre, à commémorer les morts, à graver leurs noms sur une dalle, à les nommer un à un, tantôt dansant sur les cadavres, à se griser d’oubli... «Pour survivre, écrit Howard Barker, il nous faut apprendre tout ce que nous avons oublié, désapprendre tout ce que l’on nous a enseigné et, puisque nous sommes inhumains, venir à bout de notre inhumanité».
Arlette Namiand
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille