" Du bois, de la toile et c’est le départ vers l’infini… "
Spectacle en langue russe surtitré en français
Pour sa neuvième édition, Passages, festival des théâtres de l'est de l’Europe, nous offre la chance de découvrir la dernière création d'une jeune troupe russe remarquée. Ses premiers pas remontent à 1997, alors qu’un comédien de 23 ans, Nikolaï Rostchine, achève sa formation à la Faculté du Jeu d'Acteur de l'Académie Russe de l'Art du Théâtre. Avec quelques-uns de ses condisciples, Rostchine fonde un collectif artistique, A. R. T. O., et crée un spectacle, Les Apiculteurs, d'après des tableaux de Jérôme Bosch et de Peter Bruegel l'Ancien. Rostchine et ses camarades y forgent, avec les moyens du bord, un langage théâtral leur permettant de passer de la farce à la tragédie, de l'histrionisme le plus caricatural à la caractérisation psychologique la plus aiguë.
Le succès de ce premier spectacle permet à la réputation du collectif et à celle de son jeune metteur en scène de franchir les frontières. Désormais épaulés par le Centre Théâtral Meyerhold, Rostchine et ses comédiens ont élaboré ce nouveau spectacle, L'Ecole des Bouffons, à partir d'un matériau qui n'est hétéroclite qu'en apparence. Pour l'inspiration visuelle, Bosch est à nouveau au rendez-vous, mais le public lorrain reconnaîtra également de nettes influences de Jacques Callot (1592-1635). Du côté littéraire, les membres d’A. R. T. O. ont puisé à la fois dans L'Ecole des Bouffons, du dramaturge belge Michel de Ghelderode (1898-1963), et dans l'un des poèmes les plus populaires et les plus influents de son époque : La Nef des Fous, que l'humaniste strasbourgeois Sébastien Brant publia en 1494.
Dans sa pièce, Ghelderode raconte la dernière séance d'une sorte de master class à demi démoniaque : celle du grand bouffon Folial, à qui ses monstrueux élèves tentent d'arracher le suprême secret de son art. Cette leçon leur est finalement infligée auprès d'un vaisseau qui est un hommage explicite de Ghelderode au Narrenschiff de Brant, dont les cent douze chapitres passent en revue, sur un ton mordant et désabusé, les vices et les travers de l'espèce humaine. Mais Brant et Ghelderode ne fournissent ici qu'un matériau, un réservoir de répliques et de situations où les histrions-acteurs-bouffons puisent librement, selon l'inspiration du moment, pour étoffer leur jonglerie de gestes et de symboles - quand ils ne jouent pas des curieux instruments qu'ils ont eux-mêmes inventés pour la circonstance !
Et de même, la langue russe est moins ici une condition de compréhension qu'une couleur émotive, une façon parmi d'autres d'user des ressources de la voix. Car les atmosphères de cet univers fantastique, dans la grande tradition du théâtre de tréteau, importent infiniment plus que la fable : "nous pourrions même dire", ajoutent les membres d'A. R. T. O, "que nous n'avons que faire d'un texte qui raconte et explique ce qui se passe". Tout ce que ces adeptes moscovites de l'histrionisme total vous demandent, c'est de leur donner une chance de vous faire vibrer "à travers non pas votre intelligence, mais votre peau".
Peu de texte dans ce spectacle mais des cris, des chuchotements, des soupirs, des sons inhabituels sur des instruments inventés dont jouent les comédiens. Loin de toute psychologie, les acteurs dirigés par Nikolaï Rostchine nous donnent à voir la folie des hommes, entre farce et tragédie.
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville