L’exercice a été profitable Monsieur

Bobigny (93)
du 14 novembre au 7 décembre 2003

L’exercice a été profitable Monsieur

Les Sentimental Bourreau qui mêlent, depuis leur création en 1990, théâtre et musique, s’intéressent une nouvelle fois au cinéma, en cheminant avec un compagnon de route à la personnalité complexe et aux activités diversifiées : Serge Daney. Dans ce jeu tennistique alternant services, retours, relances, tie-breaks, fonds de court et montées au filet, les balles seront répliques de films, extraits de critiques, souvenirs de voyages.

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Mot de l'auteur
Intentions de mises en scène

Les Sentimental Bourreau qui mêlent, depuis leur création en 1990, théâtre et musique, s’intéressent une nouvelle fois au cinéma. Non plus en travaillant sur une œuvre cinématographique comme pour Les Carabiniers ou Les Chasses du Comte Zaroff, mais en cheminant avec un compagnon de route à la personnalité complexe et aux activités diversifiées : Serge Daney.

À l’image de leur guide, ce spectacle sera fait de tours et de détours, promenade à travers le cinéma, dans sa pratique, son écriture et sa critique, mais aussi à travers les cartes postales dont Serge Daney, grand voyageur, était passionné, sans oublier le tennis dont il était un fervent supporter… Cette promenade théâtrale et musicale sera conduite par trois comédiennes, quatre musiciens et une glacière, car il est temps de décongeler nos morceaux de passé, cinématographiques ou autres, pour refuser la nostalgie et accepter “sa doublure instantanée” : la mélancolie. Façon peut-être de pénétrer plus intimement la personnalité du guide, frôler son enfance, sa maladie.

Dans ce jeu tennistique alternant services, retours, relances, tie-breaks, fonds de court et montées au filet, les balles seront répliques de films, extraits de critiques, souvenirs de voyages. Ce match nous permettra de passer du champ au hors-champ, ouvrant notre imaginaire à celui de Serge Daney qui disait de lui : “Je n’ai pas été un grand serveur, mais je crois un bon relanceur.”

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« Le cinéma n’est pas une technique d’exposition des images, c’est un art de montrer. Et montrer est un geste, un geste qui oblige à voir, à regarder. Sans ce geste, il n’y a que de l’imagerie. Mais si quelque chose a été montré, il faut que quelqu’un accuse réception.

Bon, il y a eu bien d’autres façons de passer sa vie avec le cinéma, mais la mienne c’est celle-là. Elle est très tennistique, cette idée qu’il serait scandaleux qu’au service ne succède plus le retour de service. Moi, je n’ai pas été un grand serveur, mais, je crois, un bon relanceur, comme Jimmy Connors ».

Serge Daney

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Suite au travail effectué avec Les Chasses du comte Zaroff, j’ai eu l’envie de continuer à parler de cinéma sur un plateau de théâtre.
Une figure m’apparaît quand j’évoque le cinéma, celle de Serge Daney. Critique de son état à qui l’on doit quelques articles des plus excitants sur le septième art, que ce soit dans les Cahiers du Cinéma, Libération, ou encore Trafic. Ce critique se définissait avant tout de deux façons : d’une part comme passeur (terme analytique et érotique autant que sportif) et d’autre part comme cinéphiles (« le cinéma, la maison qui m’a fait grandir »).

Articuler un spectacle autour de Serge Daney signifie avant tout s’attacher à une pensée faite de promenades et de détours. Promenades dans les images (celles du cinéma, de la télévision, de la photographie, des cartes postales) et ce qu’elles évoquent : l’autre, l’histoire, la forme, la morale, l’esthétique… (Daney marcheur).

Détours par le tennis, les voyages, l’enfance, la maladie… (Daney promeneur). C’est peut-être d’abord le tennis qui m’a donné une idée de ce que pourrait être un spectacle autour de Serge Daney.

Imaginez donc :
- un court de tennis avec son filet, ses lignes blanches, sa glacière,
sa chaise d’arbitre, son tableau d’affichage…
- trois actrices : deux joueuses qui dialoguent à l’aide de répliques de cinéma (façon Mc Enroe s’en prenant à l’arbitre, s’envoyant non pas des balles mais des cartes postales comme autant de territoires traversés par Daney), se mesurant l’une à l’autre en empruntant des références cinématographiques. Une arbitre, qui n’hésite pas à commenter leurs « échanges » cinéphiliques en attribuant les points, les jeux, les sets après une magnifique tirade sur le néoréalisme italien pour l’une des joueuses ou sur l’érotisme de Cary Grant pour l’autre.
- quatre musiciens, reconstituant par bribe (comme l’on monte un film) une mélodie qui apparaîtrait là, palpable, comme des images oserait-on dire. La musique, jouée en direct, entremêlant bande-son, bruitages, crée ainsi un deuxième espace de lecture.
- un match entre Borg et Mc Enroe s’inscrit en filigrane du spectacle.
Les services, les retours, les relances, les tie-breaks (dénouement) sont comme autant de temps ; temps de voir, de comprendre, de juger, de réagir, confondus dans le même espace, dans le même temps.
- des balles jugées “faute” permettant une digression sur le cadre et le hors-cadre qui sont si chers à cette variété de cinéphile qui fait dépendre son plaisir de cinéma des allées et venues entre le champ et le hors-champ.
- un filet comme métaphore de la conjonction et  : ce et synonyme de la diversité de la multiplicité, de la destruction des identités.
Ce et qui devient la frontière entre les acteurs et leur corps, le bruitage et la musique, le texte et le chant, la bande-son et l’événement, le cinéma et le théâtre…
- une glacière d’où surgiraient des morceaux de passé comme autant de références cryogénisées. À nous de les passer au micro-ondes en se gardant bien de ne pas tomber dans la nostalgie.

Serge Daney, en définissant le cinéma comme art du présent (opposé au passé), nous entraînait, lui, dans la mélancolie. Cette mélancolie me permet de rentrer dans l’intime de la figure Daney ; celle de l’enfance, du voyage, du malade, du mourant…

Voilà ce que pourrait être L’Exercice a été profitable, Monsieur, un spectacle tennistique de cinéma avec Serge Daney à la réalisation. « Le cinéma comme maison des sans-abris de l’image, exposés aux intempéries de l’histoire et du monde, mais aussi port d’attache d’où repartir dès que le vent de l’image se lève ».
Deleuze disait à Serge Daney : «  Vous allez au bout du monde voir si le bout du monde existe »…

Mathieu Bauer

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Spectacle terminé depuis le dimanche 7 décembre 2003

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