L'idiot, dernière nuit

du 10 novembre au 11 décembre 1999

L'idiot, dernière nuit

CLASSIQUE Terminé

Tout commence par une première rencontre, dans un compartiment de chemin de fer, entre deux jeunes gens qui sont aux antipodes l’un de l’autre et qui vont pourtant lier amitié : le prince Mychkine, qui revient d’un long séjour en Suisse imposé par son état de santé nerveuse, et Rogojine, un jeune homme énergique.

Dostoïevsky lui-même confiait à propos de L’idiot qu’il avait " conçu l’ensemble du roman en vue de la scène finale ", ajoutant qu’il la trouvait " d’une force unique dans l’histoire de la littérature ". Tout commence par une première rencontre, dans un compartiment de chemin de fer, entre deux jeunes gens qui sont aux antipodes l’un de l’autre et qui vont pourtant lier amitié : le prince Mychkine, qui revient d’un long séjour en Suisse imposé par son état de santé nerveuse, et Rogojine, un jeune homme énergique qui lui parle au cours du voyage de sa violente passion pour la belle Nastassia Filipovna. Peu après leur conversation, Mychkine songe que Rogojine " épouserait Nastassia Filipovna du jour au lendemain. Mais il pourrait bien l’égorger une semaine après ". Plusieurs centaines de pages plus tard, la prédiction du prince s’est réalisée. Lorsque Mychkine se rend chez Rogojine pour convaincre son ami de renoncer à son projet de mariage avec Nastassia, il ne sait pas encore que le corps de la jeune femme repose déjà dans la pièce voisine. Après avoir notamment traduit Le chevalier d’Olmedo et Le livre de Spencer pour Lluis Pasqual, Zéno Bianu a imaginé de tirer de la scène ultime de L’idiot un huis clos étrange où une même minute peut confondre un fragment de passé et un éclat d’avenir, où un même lieu devient comme un reflet ou un écho d’autres lieux possibles ou rêvés. Sous la direction du jeune metteur en scène Balazs Gera, Denis Lavant et Vincent Schmitt interpréteront la dernière nuit déchirante de deux amis de part et d’autre d’un cadavre invisible.

 

Radicalité du réalisme russe

La marque essentielle du mouvement intérieur qui se traduit dans le réalisme russe est la radicalité, l’intensité illimitée et passionnée de l’expérience dans les personnages qu’il met en scène ; c’est ce qui frappe d’abord, et surtout, le lecteur occidental, spécialement dans les oeuvres de Dostoïevski, mais aussi de Tolstoï et des autres. Il semble que les Russes aient conservé une immédiateté de l’expérience devenue rare dans la civilisation occidentale du XIXème siècle. Un choc violent qui les atteint dans leur vie morale ou intellectuelle les bouleverse aussitôt jusque dans leurs instincts les plus profonds, et en un instant ils tombent d’une existence régulière et tranquille, quelquefois presque végétative, dans les plus monstrueux excès, sur le plan pratique et intellectuel à la fois. L’oscillation pendulaire de leur être, de leurs actes, de leurs pensées, de leurs sentiments semble beaucoup plus ample que dans le reste de l’Europe [...]. Il y a quelque chose de monstrueux, surtout chez Dostoïevski, mais ailleurs aussi, dans cette transformation de l’amour en haine, de l’humble abnégation en brutalité bestiale, de l’amour passionné de la vérité en soif de jouissances vulgaires, de la pieuse simplicité en cruauté cynique. De tels changements se montrent très souvent chez le même individu, presque sans transition, selon d’effrayantes et imprévisibles oscillations ; et chaque fois l’individu s’y abandonne totalement, de sorte que dans ses paroles et dans ses actes se révèlent de chaotiques profondeurs instinctives, que l’on connaissait à vrai dire aussi dans les pays occidentaux, mais que les écrivains se gênaient d’exprimer, par détachement scientifique, sens de la forme et décence. Lorsque les grands Russes, et surtout Dostoïevski, furent connus en Europe centrale et occidentale, leur potentiel spirituel et la spontanéité de son expression firent l’effet d’une révélation sur les lecteurs qui entrèrent en contact avec ces oeuvres : elles seules leur parurent rendre possible le mélange du réalisme et du tragique.

Erich Auerbach : Mimésis, 1946
(tr. fr. Paris, Gallimard, 1968, pp. 514-515)

 

La psychologie de Dostoïevsky est infaillible, mais ses personnages au lieu d’être plastiques sont sublimisés ; ils ont uniquement une âme, ils n’ont rien de matériel ; ce sont des sentiments qui se meuvent et qu’on meut, des êtres tout âme et tout nerfs, dont on oublierait volontiers qu’ils ont du sang dans les veines. Dans les vingt mille pages que Dostoïevsky a écrites, il ne nous montre jamais ses personnages assis, mangeant et buvant ; ils sentent, ils parlent, ils combattent, ils ne dorment pas (à moins qu’ils ne soient sous l’emprise d’un sommeil hypnotique), ils ne se reposent pas, ils sont fiévreux, ils pensent toujours. Jamais leur vie n’est végétative, animale ; ils sont toujours agités, en pleine tension. Ils sont toujours en état de veille ; ils le sont beaucoup trop ; chez eux tout est au superlatif ; ils ont la presbytie intellectuelle de Dostoïevsky : ce sont des médiums, des hallucinés, ils sont atteints de télépathie ; ils prophétisent, et jusqu’au tréfonds de leur être ils sont imbus de psychologie.

Dans la vie la majorité des hommes ne se comprennent pas les uns les autres, de là leurs conflits entre eux et avec la destinée. Shakespeare, l’autre grand psychologue de l’humanité, fonde la moitié de ses drames sur cet obstacle : l’ignorance innée, les ténèbres qui séparent les hommes […]. Les personnages de Dostoïevsky en savent trop ; chez eux point de méprise ; chacun a l’intuition prophétique de son prochain ; ils se connaissent jusqu’au plus profond de leur âme ; ils se volent le mot de la bouche avant qu’il ait été prononcé et s’arrachent la pensée au sein même de la sensation. Ils ont le pressentiment de tout, sans déception ni étonnement ; leur âme a l’intuition mystérieuse des autres ; en eux l’inconscient, le subconscient sont hypertrophiés ; ce sont des prophètes, des visionnaires. Nastasia Filipovna, par exemple, sait qu’elle sera assassinée par Rogojine. Dès le jour où elle l’a aperçu, à l’heure même où elle lui appartient, elle sait qu’il la tuera ; c’est pour cela qu’elle le fuit ; et elle revient parce qu’elle désire que son destin s’accomplisse. Depuis des mois elle sait de quel couteau on lui transpercera la poitrine ; Rogojine aussi le sait et même Mychkine qui se met à trembler, un jour qu’en causant Rogojine joue avec ce couteau.

Stefan Zweig : Trois maîtres
(1919 ; tr. fr. Paris, Belfond, 1988, pp. 238-240)

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Spectacle terminé depuis le samedi 11 décembre 1999

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