Molière 2010 du Metteur en Scène.
Abattre la cerisaie
L'oeuvre ultime
La version retenue
La vie dans son apparence décousue et accidentelle
La Cerisaie est une magnifique propriété familiale, ce qui reste d’un art de vivre aristocratique condamné par les bouleversements sociaux-politiques de la Russie au tournant du XXe siècle. Les propriétaires, Gaev et sa soeur Lioubov, couverts de dettes, sont acculés à la vente. Cependant, le domaine, situé à proximité d’une grande ville et desservi par une ligne de chemin de fer récemment construite, bénéficie d’opportunités économiques exceptionnelles grâce à la montée en puissance d’une classe de citadins déjà avide de repos et de villégiature à la campagne.
Découpée en lotissements loués à l’année, la Cerisaie peut et doit redevenir une source de revenus des plus profitables : pour qui saurait se montrer « réaliste », tout se conjugue pour que la Cerisaie ne soit pas vendue. À partir de ce constat, clairement établi au premier acte, la pièce de Tchekhov s’insinue dans les failles d’un tel réalisme : l’écriture disjoint chaque instant, chaque fragment de la vie qui, à ce moment-là en Russie, constitue une famille, une société, une humanité.
Elle organise avec une sorte de gaieté implacable la vision d’une réalité contraire : la Cerisaie ne pouvait pas ne pas être vendue.
Bien qu’elle en ait toutes les caractéristiques, on peut difficilement qualifier La Cerisaie d’oeuvre testamentaire puisque Tchekhov lui-même n’envisageait aucune postérité à ses écrits. En revanche, parce qu’il était médecin et connaissait les symptômes de sa maladie, il savait de toute évidence qu’il était en train d’écrire sa dernière pièce. On peut donc qualifier La Cerisaie d’oeuvre « ultime ».
Sa correspondance de l’époque, le temps inhabituellement long qu’il a passé à concevoir, écrire, recopier sa pièce, tout montre avec quel soin, quelle attention, Tchekhov avançait vers la forme la plus achevée possible de l’écriture dramatique qu’il avait inventée. Aujourd’hui, alors que nous pouvons nous tenir raisonnablement à l’écart du débat « naturaliste » qui l’opposait à Stanislavski, nous voyons une oeuvre qui ne cesse d’explorer le champ incroyablement novateur de cette écriture polyphonique.
Avec La Cerisaie, Tchekhov mène son aventure dramaturgique le plus loin possible sans jamais rompre aucun des équilibres qu’il avait atteints auparavant. En ce sens, parce qu’elle tend sans cesse vers ses propres limites et les repousse sans jamais les franchir La Cerisaie est une oeuvre funambule.
Michel Vittoz
Pour la création de la pièce au Théâtre d’Art, Stanislavski avait demandé à Tchekhov de modifier le deuxième acte. Tchekhov supprima la fin de l’acte tel qu’il l’avait prévu pour qu’il s’achève sur une note à la fois apaisée et dynamique : après les ombres et les tensions du crépuscule, le levé d’un clair de lune et le discours enthousiaste de Trofimov : « Oui, la lune se lève. (Pause.) Le voici, le bonheur, il arrive, il approche, il approche toujours, j’entends déjà ses pas. Et puis, si nous ne le voyons pas, si nous ne savons pas le reconnaître, quelle importance ? D’autres sauront le voir ! »
La plupart des observateurs s’accordent pour dire que cette fin d’acte a sans doute sauvé La Cerisaie et Tchekhov des foudres de l’ère soviétique en annonçant un avenir radieux sans être contrebalancé par autre chose que la fermeture du rideau.
La fin de l’acte dans sa version originale est beaucoup plus étrange : ce n’est pas Trofimov et Ania qui le concluent mais Charlotta et Firs réunis dans une fin crépusculaire pour la confrontation la plus improbable qui soit. Charlotta au statut d’acrobate et de magicienne révèle la solitude et le trouble que lui vaut l’ignorance de ses origines tandis que Firs, la figure emblématique du vieux serviteur fidèle, arc-bouté sur les valeurs du passé, révèle une histoire de jeunesse où il apparaît, sinon coupable, du moins complice d’un meurtre qui lui a valu de passer deux ans en prison. Après quoi, dans une nuit devenue presque totale nos deux protagonistes prononcent les répliques sans doute les plus surprenantes, les plus obscures et les plus troublantes de la pièce :
CHARLOTTA – Il est temps que tu meures, grand-père. (Elle
croque un concombre.)
FIRS – Hein ? (Il marmonne à part soi.) Et donc, alors, on s’en
revient, tous les deux, et là, un arrêt... Mon oncle, il saute de la
charrette... Il prend le sac... Et dans ce sac, un autre sac... Il
regarde, quelque chose dedans – rroup, rroup, ça remue...
CHARLOTTA (elle rit, tout bas) – Rroup, rroup, ça remue ! (Elle
croque un concombre.)
C’est cette version qui a été retenue.
Michel Vittoz
Ce qu’il s’agissait de vendre ce n’était donc pas tant une maison natale, une propriété aristocratique menacée de ruine, mais l’image même de la beauté et du bonheur, blancheur neigeuse d’autant plus bouleversante qu’elle passe en quelques jours et ne produit que des fruits inutiles (la rentabilité économique de la cerisaie est renvoyée à un passé mythique, aussi irrémédiablement perdue que la recette mystérieuse de Firs […]
[…] L’intérêt du spectateur se portait donc ailleurs, non dans l’attente de la vente de la cerisaie qui ne comporte aucun élément de suspens (comment cette vente ne pourrait-elle pas avoir lieu quand les propriétaires se montrent dès l’origine si peu soucieux de trouver des solutions véritables), ni vers l’accomplissement des désirs amoureux […]
Plus encore que dans les pièces précédentes,
c’est dans la succession apparemment hasardeuse mais
de fait fortement organisée des micro-actions, dans le va-et-vient
décousu du dialogue, dans les coq-à-l’âne, les sauts brusques d’un
moment d’émotion à une réplique burlesque que l’intérêt du
public trouvait son origine. L’apparence la plus parfaite du naturel
captait la vie sur le vif, aux sources d’un art sophistiqué qui jouait
constamment des reprises, des échos invisibles et construisait le
texte comme une composition musicale avec ses variations de
tempo et ses changements de rythme.
Christine Hamon-Sirejols,
Anton Pavlovitch Tchékhov - La Cerisaie, Etudes Littéraires,
Presses Universitaires de France, p.23-25
2 heures entièrement dépourvues de magie et d'émotion. Les acteurs s'agitent comme des pantins sans qu'on parvienne à s'intéresser à leur sort ni à celui de cette pauvre cerisaie (figurée par 3 arbres dénudés en carton-pâte). Décor déprimant. Je me suis rarement autant ennuyée au théâtre.
2 heures entièrement dépourvues de magie et d'émotion. Les acteurs s'agitent comme des pantins sans qu'on parvienne à s'intéresser à leur sort ni à celui de cette pauvre cerisaie (figurée par 3 arbres dénudés en carton-pâte). Décor déprimant. Je me suis rarement autant ennuyée au théâtre.
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