Nominations Molière 2003
Révélation théâtrale féminine : Emma de Caunes
Révélation théâtrale masculine : Frédéric Andrau
L’histoire
L’écriture
La mise en scène
C’est la nuit. Une de ces nuits où il fait trop chaud pour dormir. Lucie ne dort pas. Quand elle se relève pour aller boire, Lucie découvre sa mère sur le canapé. Sa mère inanimée. Quand on est une jeune fille et qu’on se découvre une mère inanimée, on est censé faire quoi ? On lui retire ses chaussures, on appelle le docteur… Et puis… Et puis on se dit que ces histoires-là, franchement, c’est pas du tout de notre âge… Vu que jusque-là, on n’avait pas trop à se plaindre… Enfin un peu, quand même… À cause du père, qui faisait le zazou sur les routes à corniches, et qui a manqué un tournant, et qui manque tellement, depuis… Alors on appelle du renfort, par exemple son meilleur ami, Simon, qui lui ne dort jamais, trop occupé qu’il est à préparer des attentats...
Je ne sais pas comment font les autres auteurs. En ce qui me concerne, ce n’est pas le support qui dicte l’histoire. Je ne me dis pas : je vais écrire un roman, je vais écrire une pièce, je vais écrire un scénario… L’histoire me guide, m’impose ses choix, et j’ai la grande chance de trouver par la suite des gens que ces histoires intéressent.
L’idée de « La nuit du thermomètre » était de rassembler en un lieu et en un temps toutes les émotions et les contradictions nécessaires au passage entre enfance et adolescence, et d’orchestrer ce changement autour d’un fait : un soir de grosse chaleur, une jeune fille découvre sa mère inanimée sur un canapé ; un événement dramatique qui, pourtant, finira par se transformer en un souvenir inoubliable, celui d’une première histoire d’amour. Il était clair, devant tant d’unités concordantes, que le théâtre était le support idéal à cette histoire.
Cette étape entre enfance et adolescence n’est pas un sujet que j’ai traité jusque-là dans mes textes (du moins pas frontalement), c’est ce qui m’a naturellement poussé vers lui ; comme le fait de n’avoir jamais écrit pour deux uniques personnages ; comme ne m’être jamais mis « dans la peau » d’une jeune fille. En tant qu’auteur ces trois défis m’ont semblé suffisamment intéressants pour avoir envie de les relever. En en ajoutant un quatrième : faire de ce sujet difficile une pièce où l’on rit beaucoup
- osons le terme de comédie. Une comédie où deux enfants, qui n’osent pas s’avouer qu’ils s’aiment, parlent de la mort, de l’alcool, de la tristesse, de la solitude, de la religion, du sexe, de l’absurdité de l’existence, de l’acceptation des différences… Oui, mais une comédie.
Rétrospectivement, faire vivre ces personnages a été pour moi un plaisir d’auteur incroyablement violent. Sans doute les personnages existent-ils d’une manière plus concrète dans une pièce que dans un roman (je ne suis pas assez expert pour l’affirmer). Il n’en reste pas moins (et je me sens un peu idiot en l’écrivant) que je me suis incroyablement attaché à ces deux enfants, à leur lucidité comique, leur innocence incrédule et leur quête de Coca-cola. J’arrive même à en parler avec détachement, passion mais détachement, comme s’ils s’étaient créés tout seuls, en parlant par une nuit trop chaude, et que je n’avais eu qu’à rester là, un peu honteux, à les regarder faire.
Mettre en scène une pièce que l’on a écrite est un travail extrêmement excitant, puisqu’il s’agit de trahir l’auteur. Et qui y’a-t-il de plus excitant à trahir que soi-même ? Il n’était pas question de monter cette pièce avec des enfants, puisque cette histoire était écrite comme un souvenir, et j’ai eu le grand plaisir que les deux comédiens que j’imaginais dans les rôles, Emma et Frédéric, acceptent de les jouer, et me laissent jouer avec eux.
Car Lucie est une jeune fille, oui, mais Lucie pourrait être une femme, une vieille femme, un homme, un vieil homme… Lucie n’est rien d’autre qu’un souvenir en commun, une pensée qui, chacun, nous traverse, le souvenir d’un premier amour, ce moment précis où les circonstances se sont liées pour nous faire vivre quelque chose d’exaltant, d’inoubliable, de magique, qui nous hantera jusqu’à la fin de nos jours, ou de nos nuits, surtout quand elles sont trop chaudes et qu’on a du mal à dormir. Quelque chose qui s’appelle Simon, et qu’on rappelle pour que le cœur batte, que le ventre se serre, qu’un rire nous prenne et balaie tout ; histoire de faire la vie plus belle, belle comme dans un rêve, et pouvoir s’endormir enfin, le sourire aux lèvres.
C’est dans cet esprit, emprunt de nostalgie, et de féerie, que s’est montée la pièce. Dans un esprit de camaraderie, aussi, et d’amour - sans lesquels, je pense, il eut été fort difficile de monter ce texte. Avec la possibilité de mettre en images, d’amuser, d’émerveiller, d’émouvoir, comme on fut soi-même amusé, émerveillé, ému ; de donner vie à des sentiments qui, jusque-là, n’étaient rien d’autre que des pensées, et d’avoir la faiblesse de croire que d’autres pourraient se faire épingler, comme on fut soi-même épinglé, touché, transi.
En ces temps de grand cynisme, s’il est une valeur bien difficile à revendiquer, c’est bien la sincérité, surtout quand elle touche à des valeurs aussi désuètes que la bonté, la solidarité, et le sentiment amoureux. Lucie et Simon sont bons, solidaires, amoureux. Ils sont aussi désespérés, c’est vrai. Mais ça, c’est leur côté comique.
Magie et émotion, fous rires et larmes ; magnifique interprétation d'Emma de Caunes et de Frédéric Andreau qui illumine la pièce et apporte toute l'émotion dès son entrée en scène. Un décor et des jeux lumineux de qualité. Un très beau moment...
Magie et émotion, fous rires et larmes ; magnifique interprétation d'Emma de Caunes et de Frédéric Andreau qui illumine la pièce et apporte toute l'émotion dès son entrée en scène. Un décor et des jeux lumineux de qualité. Un très beau moment...
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