Ce qui existe ne nous suffit pas. C'est ça notre erreur, mais elle est inévitable. » Dimítris Dimitriádis
Après sa splendide mise en scène de la Gertrude de Howard Barker, Giorgio Barberio Corsetti retrouve Anne Alvaro, Luc-Antoine Diquéro, Christophe Maltot, Cécile Bournay et revient à l'Odéon pour y créer l'une des dernières œuvres de Dimitriádis. La Ronde du carré s'est d'abord intitulé Le Cercle carré : Dimitriádis avait donc choisi de désigner son œuvre en recourant à la figure d'une contradiction irreprésentable. Ce texte paraît pourtant, à première lecture, d'une extrême simplicité : où donc se cachent les paradoxes ou les impossibilités dans ces scènes simples et compréhensibles qui se succèdent ?
Mais les labyrinthes les plus profonds sont ceux qui dissimulent leur seuil. Les personnages qui peuplent celui-ci, désignés par de simples noms de couleur, se répartissent en quatre groupes au sein d'« un seul espace, ouvert ou fermé, composé de quatre unités ». Dans chaque groupe, une crise amoureuse suit son développement tragique. Verte retrouve Vert après l'avoir quitté, prête à tout accepter pourvu qu'il la reprenne ; Ciel et Cielle viennent consulter Noir à propos de l'unique problème que connaît leur couple ; Violette avoue à Violet qu'elle va le quitter pour Gris, son meilleur ami ; Jaune et Rouge, qui se partagent les faveurs de Bleu, se demandent lequel des deux il aime le plus.
Des histoires d'amour, donc, qui avancent peu à peu : si Dimitriádis a finalement choisi de parler de « ronde », peut-être est-ce pour faire allusion à la fameuse pièce d'Arthur Schnitzler, où les différentes formes de la rencontre érotique sont explorées, de couple en couple, le long d'une chaîne amoureuse qui fait voyager le désir à travers toutes les strates d'une société. Mais là où Éros, selon Schnitzler, se propage de proche en proche, Dimitriádis l'assigne strictement à résidence dans des cases étanches jusqu'à l'obsession : jamais en effet les membres d'un groupe donné ne rencontrent les membres d'un autre groupe. Le dynamisme de la « ronde » n'est donc plus celui de la joyeuse circulation d'une force en continuelle expansion et impossible à confiner, mais bien plutôt celui d'une implacable réitération.
On songe dès lors à un tragique inédit, qui aurait l'aspect et la structure d'un Rubik's Cube : des fragments de surfaces colorées tournent, pivotent, se recomposent, entrent dans un nombre vertigineux de combinaisons – sans jamais cesser de reconstituer le même volume. Mais à la différence du cube de Rubik, le carré de Dimitriádis n'aurait pas de solution et serait plutôt une figure de l'éternel retour. Car selon le poète grec, une œuvre doit se poursuivre au-delà de sa propre fin, et La Ronde du carré propose sans doute à son metteur en scène la formule dramatique d'un tel refus de toute limite. Comment donc le donner à voir ? Corsetti, avec son sens inné de la forme et son goût des écritures contemporaines, a accepté de relever cet énigmatique défi.
Traduction : Claudine Galéa avec Dimitra Kondylaki.
La Ronde du carré est un spectacle virtuose, et vertigineux : virtuosité époustouflante du jeu et de la mise en scène, vertige insondable de la mécanique théâtrale inventée par Dimitriadis... » Fabienne Darge, Le Monde, 16-17 mai 2010
« Un spectacle magnifique, à tous points de vue. » Evelyne Loew, Théâtre du blog , 17 mai 2010
« On ne peut qu'applaudir à tout rompre la performance physique et artistique qui vient de se dérouler sous nos yeux [...]. Une troupe rare et un metteur en scène extraterrestre, l'Italien Giorgio Barberio Corsetti – aidé d'un décorateur, lui aussi tombé du ciel, Cristian Taraborrelli –, ont rempli la mission impossible de donner vie à un monstre littéraire et théâtral... » Philippe Chevilley, Les Échos, 19 mai 2010
Place de l'Odéon 75006 Paris