Frank, vingt ans, n’accepte pas le monde que ses aînés et compagnons lui ouvrent ; il brûle la maison de son père et part en quête de son identité et de sa vérité. Ce poème dramatique, écrit il y a près de deux siècles par un jeune homme de vingt-et-un ans, annonce les grands thèmes de l’oeuvre : orgueil, ambition, réussite sociale, besoin de reconnaissance…
Au sortir de l’adolescence, tout se doit d’être vécu le plus intensément possible. Dans un alexandrin plus lyrique que tragique, Musset fait l’apologie d’un anarchisme désespéré et nous confronte à l’inévitable question : que reste-t-il de nos idéaux quand, à l’âge adulte, espoirs et ambitions se heurtent à la réalité ? Frank veut assouvir sa soif de connaissance et de vie et, malgré les souff rances, préserver l’humain en lui.
Après L’Éveil du printemps de Wedekind, Les Enfants de Bond et Sweet home de Arnaud Cathrine, la compagnie Jean-Pierre Garnier poursuit sa méditation sur la place que notre société accorde à la jeunesse.
De la révolte
Le malaise de Frank est proche de celui de la jeunesse actuelle, désenchantée et inquiète face à la montée de l’individualisme dans une société qui semble perdre toute perspective politique : pensons aux films de Gus Van Sant.
Le texte de Musset questionne notre identité et notre rapport au monde ; Frank essaie de résister et il y a plusieurs façons de le faire : la révolte en est une, l’engagement dans l’art en est une autre. Mais il y a toujours possibilité de désillusion et le proverbe le dit : « Entre la coupe et les lèvres, il reste encore de la place pour un malheur ».
L’accomplissement demeure fréquemment en deça de l’ambition. L’idéal serait-il donc plus fort que la réalité, plus fort que tout ? Pour reprendre les mots de Pasolini dans Le Decameron : « Pourquoi réaliser une oeuvre quand il est si beau de seulement la rêver ? ». Frank est seul. Entre le monde et lui, le conflit semble inéductable mais il a besoin de la communauté humaine. Chacun se doit d’affi rmer sa quête mais les autres sont indispensables pour traverser les vertiges que provoque cette recherche.
Les questions que pose ce texte sont celles de jeunes artistes qui tentent d’exprimer, aussi exactement que possible, leur sentiment face au monde.
Travail de choeur, travail de groupe, travail de troupe
Dans le poème de Musset, Frank rencontre successivement le choeur des chasseurs, celui des montagnards, des soldats, des chevaliers, des moines et pour finir le peuple. Des fonctions sociales clairement définies sur lesquelles le pouvoir de l’époque prenait appui : le religieux, le politique et le militaire ; trois grandes voies entre lesquelles tout jeune homme de bonne famille devait choisir.
Une idée du possible qui fait peur à l’anarchiste désespéré qu’il souhaite rester. Un des chasseurs ne lui dit-il pas au début : « Pourquoi refuses-tu ta place à notre table ? » Et Frank de répondre : « Le pacte social n’est pas de ma façon ».
Le choeur comme représentation du monde
Nous ne nous arrêtons pas au poème comme récit, mais souhaitons le mettre en perspective et voir de quelle manière il suscite interrogations et résonances auprès du spectateur de 2010. Le choeur, parce qu’il est dans la pièce une représentation de notre monde, est l’axe central : le travail sur la parole, la polyphonie des voix est le fil rouge de notre création.
Les onze acteurs jouent l’ensemble des personnages et interprètent tour à tour la partition de Frank et celle des figures qu’il rencontre : ils ont pour la plupart à peine dépassé l’âge du protagoniste et viennent de fi nir leur formation au sein de grandes écoles nationales ou régionales. Comment s’expliquent-ils face à l’idéal de leur métier ? Comment dialoguent-ils avec les textes dont ils se font les porte-parole ?
Nous convoquons aussi certains passages de Confession d’un enfant du siècle qui éclairent, de manière frappante, les considérations de Musset dans La Coupe et les lèvres : souvenons-nous que sa génération est celle des fils de soldats morts dans les guerres napoléoniennes, et qui n’ont pu transmettre idéalisme et utopie à leur descendance.
Le miroir tendu aux spectateurs
Ces jeunes acteurs sont aussi le miroir de l’assistance : une sorte de coryphée ; La Coupe et les lèvres a en eff et une structure proche de la tragédie grecque. Le travail sur « l’adresse face public » établit un dialogue direct entre acteurs et spectateurs. J’ai toujours pensé que la représentation théâtrale était avant tout une question de souffl e et d’engagement mutuel pendant la durée de la représentation. C’est l’action conjointe de l’artiste et du spectateur qui transforme notre perception du monde et lui donne sens.
Jean-Pierre Garnier
Superbe mise en scène et des acteurs qui lui donnent toute sa vie... un bon moment garanti.
Superbe mise en scène et des acteurs qui lui donnent toute sa vie... un bon moment garanti.
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.