Nous sommes en 1873. A Paris, de mystérieuses photographies commencent à circuler sur lesquelles apparaissent les spectres de personnes disparues. Elles sont l’oeuvre d’un photographe médium, Edouard Buguet. Pour les adeptes de l’au-delà, ces photos sont la preuve tangible que les esprits existent. C’est le désaveu scientifique du matérialisme et de l’impiété.
Qu’en est-il réellement ?
Pour évoquer cette histoire, Laurent Bazin propose un spectacle en deux temps. D’une part une fausse conférence didactique et bricolée qui contextualise les faits, d’autre part un récit visuel trouble et fantastique qui raconte l’histoire, vue par la fille du photographe.
Deux manières, l’une diurne, l’autre nocturne d’aborder les phénomènes du deuil et de la foi en l’image.
Le spectacle est conçu avec la complicité de Svend Andersen, photographe professionnel. Il recèle de nombreux effets visuels, empruntés aux techniques photographiques (révélation en direct, double exposition, manipulation de réflecteurs). Il donne ainsi à penser la photographie avec les moyens de la photographie.
Ce spectacle a connu une première étape de travail à la Loge et à Mains d’Oeuvres sous le nom de Préface à la venue des Esprits.
Quand le jeu de l’acteur s’approche de ce qu’il devrait être, il ressemble à une disparition. Loin de prétendre comme on le croit à une affirmation de la personne, c’est sa dilution qu’il faut chercher, et ce au profit d’une autre réalité - celle du spectacle et de sa cohérence singulière - , qu’on veut rejoindre. A nous de l’accepter. Nous entamons avec Laurent Bazin et la compagnie Mesden un compagnonnage de plusieurs années, le champ d’expérimentation que nous nous sommes promis de suivre nécessitant une amplitude plus grande. « La Venue des Esprits » verra le jour en 2015, et la forme déployée de « L’Effet W » en 2016.
« La Venue des Esprits » ou « comment remettre les morts et les vivants à la même vitesse », ou encore : comment replier et remiser la réalité devenue par trop insoutenable pour soutenir dignement et sans faillir le regard de la mort. Déshabillée de son cynisme mercantile, l’affaire Buguet nous rappelle qu’une fois de plus, notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
Fabien Joubert
Le spectacle est constitué de deux parties complémentaires. D’une part, une fausse conférence, diurne, qui s’appuie sur le plaisir de la compréhension et du partage des faits. D’autre part un récit en théâtre d’ombres, qui propose un retour nocturne aux peurs primitives de l’enfance, où les frontières du monde visible sont inquiétées. Nous avons voulu procéder à l’inverse du roman policier, qui commence par obscurcir pour mieux nous éblouir lors d’une révélation finale. Dans notre forme le triomphe de la rationalité n’est qu’une première étape, une citadelle provisoire qui va être remise en cause par une deuxième partie beaucoup plus inquiétante. Peut-on encore ré-enchanter ce dont l’explication scientifique semble avoir épuisé le mystère ? C’est ce que nous souhaiterions faire. Cette forme duale permet de penser à la fois la légitimité du rationalisme, et sa faillite pour aborder les questions de la mort et du deuil.
La première partie emprunte le genre de la fausse conférence. Un acteur et un photographe, racontent l’histoire de Buguet. Ils exposent les stratagèmes du médium à travers une pédagogie ludique et spectaculaire. Dans un style d’apparence improvisé, « au présent », ils amoncellent les anecdotes et les digressions. Chaque explication photographique donne lieu à un bricolage poétique et conceptuel où le savoir est mis en spectacle, où la fonction didactique est malmenée par le délire des interprètes. Cette partie se déroule dans une salle de classe désaffectée, à la lumière d’un néon vacillant. Ce décor à l’abandon peut nous interroger sur le statut des locuteurs.
Sont-ils vivants ou morts ? Les comédiens parlent-ils en leur nom propre ou sont ils dans un jeu de simulacre hyperréaliste ? Les procédés techniques utilisés dans cette partie sont les plus rudimentaires. Nous pensons en effet qu’aujourd’hui, la reconquête de l’étonnement passe non par l’utilisation des technologies les plus récentes – dont la banalisation a dissout le mystère – mais par celle des technologies passées. A l’heure où nous sommes de plus en plus séparés de la matière, où la vidéo a éclipsé le tableau, où la projection tend à supplanter l’encre et la peinture, nous pensons que l’usage d’éléments palpables tels que le papier photographique, la bombe, le papier collé peuvent être beaucoup plus énigmatiques. Aujourd’hui, le numérique a rendu toute image falsifiable, et nous a plongé dans une ère du soupçon généralisé.
La retouche ne représente plus une source d’émerveillement mais presque de désenchantement. Pour redonner à la photographie sa grâce, la « re-spectaculariser », nous attacherons une attention particulière aux possibilités de l’argentique et à ses procédés chimiques.
Dans la deuxième partie, la lumière blafarde laisse place à une chambre noire. Le discours scientifique disparaît au profit d’une vision fantastique et fantasmatique.L’histoire de Buguet nous est racontée cette fois à travers les yeux de sa fille, Emilie. Ce récit est pris en charge par une voix off assurée en direct par une comédienne, il se voudra résolument clair et transparent pour permettre à l’image de divaguer plutôt que d’illustrer ce qui est raconté. Cette seconde partie est à dominante visuelle. Elle est une variation sur le genre du théâtre d’ombres.
Au lointain un cyclo est traversé par des subtils changements de couleurs. Les interprètes apparaissent à contre-jour. On les voit sous nos yeux construire et déconstruire en ombre les personnages et les scènes évoquées dans le récit. Plusieurs éléments visuels viennent affiner ce dispositif. De petites lampes ponctuelles mettront ainsi l’accent sur sur certaines parties signifiantes du corps des interprètes et découperont un trou de lumière dans leur silhouette opaque (gros plan sur les mains fébriles par exemple, ou sur une bouche inquisitrice). Mais au coeur de la mise en scène il y a surtout la photographie que nous voulons utiliser comme un acteur à part entière de l’intrigue. En effet, la manipulation marionnettique des photographies, la diversification des supports et des lumières, viseront à rendre celles-ci vivantes et charnelles, troublantes comme une présen
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