Le cheval de la vie

• Se mettre au chevet du monde pour lui administrer une thérapie de choc

Les acteurs sont capables de tout. De ranimer de vieux rêves enfouis sous la tristesse, d’exorciser les peurs, de franchir le gué qui nous tient à distance de la vraie vie. Mais peuvent-ils dé-zombifier notre époque ?

Avec ses huit comédiens, Lou Chrétien-Février ouvre les paris et propose de se mettre au chevet du monde pour lui administrer une thérapie de choc. À l’image des rituels malicieusement filmés par Jean Rouch dans Les maîtres fous, chaque interprète tente d’apprivoiser la mort et de faire à nouveau advenir la joie. Celle qui sommeille en nos âmes enfantines, celle qui allume notre goût du jeu. Car la fable dont ils se saisissent présente un monde divisé avec, d’une part, celui où l’on jouerait encore et, de l’autre, celui où l’on ne jouerait plus.

Bannis par la cohorte des « spectateurs » devenus ennemis des manifestations de l’imaginaire, les « acteurs-bruts » décident de braver l’interdit. Sur scène, ils incarnent et règlent leurs comptes avec les figures oppressantes de leurs histoires personnelles. Mais ils n’hésitent pas à convoquer en même temps les personnages qui les apaisent. Avec la ferveur des fous et la foi des enfants, ils produisent de nouvelles épreuves initiatiques dont les charmes allègent le « cheval de la vie » de tout son abattement.

• Note d'intention

Cheval de la vie a quelque chose à voir avec la trentaine, avec ce moment charnière de la vie, où nous avons déjà accompli beaucoup de choses mais où il nous reste encore un bon bout de chemin à faire. C’est la crise des idéaux, c’est un rendez-vous avec soi-même auquel on décide de se rendre ou non.

Au delà de cet âge charnière, j’avais envie de parler d’un sentiment sans doute universel et souvent théorisé : ce sentiment de ne pas se sentir toujours complètement dans la vie, la « vraie vie » pour reprendre une expression d’Alain Badiou. Cheval de la vie serait donc une occasion pour moi de rêver à une façon toute particulière de contrer ce sentiment : celle de jouer. Jouer pour générer de la Joie.

A quoi nous sert le jeu ? Quel est ce plaisir étrange que nous prenons en jouant ? Comment le jeu parfois nous sauve d’un réel trop criant et nous rend le monde plus supportable ? Et si, ici se cachait un des derniers bastions de la sincérité, de la foi la plus folle, celles qui libèrent, qui soulagent en rendant plus grands, plus intenses, plus légitimes les gens, leurs vies ?

Comme Hedwig, dans Les enfants Tanner, nous voyons donc qu’il y a une « mince cloison qui nous sépare de la vie », mais cela ne nous « rend pas triste », cela nous fait seulement inventer un spectacle.

Lou Chrétien-Février