Extrait
Note d'intention de mise en scène
Note sur l'espace et les costumes
La femme - Qu'allez-vous faire ?
L'homme - Vous violer.
F - Comment ?
H - Bah euh... je ne sais pas... comme tout le monde. Comme d'habitude.
F - Vous faites ça souvent ?
H - Et vous, vous interviewez toujours vos agresseurs ? Vous espérez vous en sortir ? Hein ? La voie psychologique, surtout ne pas brusquer l'autre, avec un peu de chance on tombera sur la scène " originaire ", papa, maman, tout ça. Il faut l'ap-pri-voi-ser. Mais vous savez, madame, pardon, mademoiselle, si c'est atroce ce que je vais vous infliger, je ne suis pas pour autant une bête. C'est vrai quoi, tout de suite parce qu'on viole, on est un monstre, inhumain. Moi, ça me fait bien rigoler, c'est sale, c'est horrible, et puis terrifiant, c'est dégueulasse aussi, et alors ? La table sur laquelle je vais vous enfourcher est inhumaine, mais moi, ah non mais MOI ! Je ne me sens jamais plus humain que pendant le viol. C'est comme... Tenez : la vérité. On l'a sculptée, on l'a peinte, on lui a tout mis sur le dos, l'industrie des allégories. Hé bien imaginez la vérité qui se démaquille à coups de brique, avec du sang comme unique sobriété, tous les soirs davant une coiffeuse. Ma chère petite dame, pardon, mademoiselle, vous allez vous faire enculer par la vérité toute nue. Une vraie symbiose. Au fond je suis un artiste.
F - Vous n'allez pas... vous ne pouvez pas.
Note d'intention de mise en scène
Le fou qui parle retrace le long et patient dialogue d'un violeur et de sa victime. Pièce provocatrice de par son sujet, Le fou qui parle , est le dernier volet d'un ensemble de textes composés par David Blumental, les Soliloques , où des personnages, hommes et femmes, disent leur solitude et leur mal-être. Étrange monologue que celui d'un homme qui doit forcer une femme à l'écouter. Étrange dialogue où la victime, loin de se cantonner au rôle d'une simple oreille, prend une place scénique toujours croissante, voire domine peu à peu l'échange. Le violeur de David Bluemntal échappe à bon nombre de clichés et d'idées reçues, qu'ils soient vrais ou faux. Rien n'est dit des origines psychologiques de ses actes, et paradoxalement, il recrée la scène de séduction que le viol devrait lui éviter. Dans cette pièce provocatrice de par son argument, le viol n'est pas vraiment le sujet, même s'il reste au centre de la scène. C'est bien plutôt une situation catalysatrice qui place ces deux personnages anonymes face à la violence de leur désir, de leur désespoir, de leur solitude.
Il m'a paru intéressant d'appuyer dans la mise en scène le lien créé par la violence, lien qui dépasse largement l'acte sexuel. L'homme et la femme sont comme deux faces d'une même monstruosité. Dans cette sorte de gémellité fangeuse, l'un et l'autre se reconnaissent comme tout aussi capables d'une laideur toute humaine. C'est pourquoi j'ai voulu accentuer le parallélisme de leur gestes, ainsi que les vêtir de façon similaire.
Les rapports se font de plus en plus troubles, au fur et à mesure de la pièce: la femme est-elle un fantasme de l'homme ou est-ce l'homme qui est un fantasme de la femme, fantasme de terreur et d'excitation à la fois? J'ai tenu à souligner le malaise de la situation en quelque sorte en perdant de vue le viol, en ne le traitant pas par des images de violence, mais comme une situation dérangeante. Le ton mondain de la conversation, sorte de drague conventionnelle de café, tranche avec la violence des gestes. Finalement, le violeur,de par son discours, semble recréer une scène d'amour inoffensive. À ceci près que la femme est contrainte de l'écouter, séquestrée. C'est là que commence le viol et le sadisme : autant dans les actes que dans le langage insatiable d'un fou qui épuise sa victime à force de parler. Et c'est ce qui crée le non-amour, la haine. L'histoire d'un amour raté.
Anne Monfort
Note sur l'espace et les costumes
Le décor du Fou qui parle est né de ce décalage entre la violence du sujet de la pièce et le ton, le style de ce violeur qui tient à parler avec sa victime, à lui " raconter sa vie " pour " laisser une impression plus riche, plus variée ".
L'espace scénique se compose d'un voile tendu percé d'un gigantesque oeil de boeuf qui place d'emblée le spectateur dans une position de voyeur. Les jardins zen japonais se contemplent aussi à travers un rond ; il nous a parru intéressant de donner à ce double rôle, esthétique et voyeur, au spectateur de cette pièce ambigüe.
Le voile tendu en travers de la scène permet aux comédiens d'être à la fois visibles et légèrement dissimulés. Au cours de la pièce, l'homme ou la femme apparaîtra derrière le voile, ce qui permettra d'accentuer la dimension fantasmatique des personnages. Ce voile blanc, avatar du voile de la mariée, raconte l'histoire de cette relation avortée : deux êtres qui se croisent, se ratent, auraient pu se comprendre, et échouent dans la violence et la destruction. La table du dîner, qui sera finalement le lieu du viol, traduit elle aussi ce basculement du dialogue dans la brutalité.
Le Fou qui parle est à la fois une pièce sur la violence de toute relation de couple et sur le viol. Le viol, métaphorique et réel, a lieu autant dans un espace clos qu'à l'extérieur : d'où la présence d'un gazon idyllique, fausse alternative à l'univers fermé de la violence, et d'un réverbère, symbole urbain un peu glauque. Ce double espace ménage une possibilité de sortie, par le cercle et par un pan de voile : l'extérieur vaut-il finalement mieux que l'intérieur ? La présence de cet espace à deux versants, fermé et ouvert, permet de concrétiser, de généraliser le lieu d'un viol susceptible de se produire partout et à n'importe quel moment.
Les costumes ont été crées dans la même optique : le costume de l'homme, avec son masque, donne à ce dernier une dimension fantasmatique, de même que les allures de fausse Lolita d'une jeune fille qui ne se sait pas séduisante. L'un et l'autre cependant gardent un côté adolescent et frais : sans la violence, ils auraient peut-être pu se trouver.
157, rue Pelleport 75020 Paris