La jeune Alarica, princesse de Courtelande, en route vers l’Occident pour célébrer son mariage avec le roi Parfait XVII, passe la nuit avec sa gouvernante dans une résidence du territoire de Saxe.
Leur chambre va être le décor d’un désenchantement allant crescendo : ballotée entre mensonges et déconvenues, Alarica se découvre le jouet d’une manigance infernale destinée à servir la machine politique. Celle qui prenait innocemment le faux pour le vrai, faisant de la pureté son unique valeur, s’émancipe de ses illusions, met son coeur au rythme du monde et emboîte résolument le pas au mal, éternelle force vitale. Renversant la situation, elle blesse au coeur son royal prétendant, prend pour amant son suborneur et chasse du trône son père, le vieux Célestincic, pour s’autoproclamer reine. L’instinct triomphe de la morale, et la loi de la nature s’impose comme seule voie fiable.
Au coeur d’une Allemagne de conte de fées, Audiberti compose une « sérénade philosophique » autour du combat ancestral entre l’innocence et le mal, que servent avec un charme intemporel son humour, sa grâce et sa fantaisie à travers huit personnages à la naïveté retorse.
Pour jouer cette partition à la poésie sensuelle et brute, il faut des acrobates du texte, des musiciens de l’âme, des archers de la scène, qui sachent décocher les répliques comme des flèches, dont chacune doit atteindre le coeur et l’esprit du spectateur. L’imagination caracole, mobilisant les énergies. La langue d’Audiberti exige une articulation précise de la pensée, une diction particulière, ainsi qu’un sens endiablé du rythme. Les idées s’enchaînent vite, s’entrecroisent, se chevauchent, et pour les exprimer, il utilise un vocabulaire qui n’appartient qu’à lui. À ses interprètes de se mettre au diapason !
Il s’agit presque de musique, et si Mozart est cité à la fin de la pièce comme la consolation offerte au peuple de Courtelande en compensation du camouflet historique qu’il a reçu, ce n’est pas un hasard ! La liberté, le dynamisme, la gaieté du musicien ne sont pas étrangers à l’inspiration du poète. Le mal court est conçu comme un menuet aussi corrosif que sucré, une fantaisie sauvage, « une bête cruelle et velue dans les plis de Fragonard », selon l’expression de son auteur. Que le spectacle soit à l’image de ces paradoxes, un joyeux hymne au « mal qui ne peut faire que du bien », lorsqu’il est adopté par la pureté comme simple credo de vie !
Cette nouvelle proposition de mise en scène dans le cadre même des origines de sa création est l’occasion de faire revivre un texte trop rarement monté, sa dernière exploitation parisienne ayant eu lieu il y a douze ans à la Comédie-Française, au Théâtre du Vieux-Colombier.
Le choix d’une esthétique de costumes résolument tournée vers une réinterprétation du XVIIIe siècle par les années 1950, fait référence à l’époque où la pièce fut écrite et présentée pour la première fois. Il réinscrit Audiberti au coeur de son époque, accentue la distance prise avec tout réalisme, profondément contraire à son univers. Il affirme un désir de privilégier l’amusement, l’exubérance, le déguisement, sans pour autant renier la sincérité, qui est le principe-même de sa création. Il souligne également un désir de rapprochement complice avec l’oeuvre, servie dans un cadre conforme à celui de sa naissance à la scène. Aucune transposition moderne ne nous a paru nécessaire à sa perception actuelle, ce qui témoigne de son absolue authenticité et de sa profonde valeur littéraire. Ce XVIIIe d’opérette dans lequel se situe l’action est un écrin fantasque, qui a pour seule vertu de conserver intacte une fable à la poésie intemporelle.
Quant aux interprètes incarnant les pantins de cette farce philosophique, ils épousent les caractères trempés et se partagent les répliques enjouées, inventées par l’auteur, qui les habille d’une seconde peau et les coule dans un moule original, celui des figures folkloriques qui, avec le temps, se font légendes.
Stéphanie Tesson, metteur en scène, décembre 2012
75, boulevard du Montparnasse 75006 Paris