« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
L’universalité d’un texte comme Le Petit Prince – qui comporte des éléments à la fois historiques, politiques, biographiques, qui mêle l’intime et le monde – tient sans doute au fait qu’il fonctionne comme une sorte de dépôt. Toutes ces références qu’on peut donner ne sont pas dans le texte. Elles sont des pierres lancées dans un puits, dans une mare, et soudain cela vibre, cela sourd de soi-même.
On sait que Saint-Exupéry travaillait énormément ses textes, de façon très pointilleuse, et sa façon de gratter au plus profond de lui-même rend les choses absolument évidentes, débarrassées de toute posture. Il en donne à entendre la substantifique moelle. Je connaissais bien l’oeuvre de Saint-Exupéry mais je n’ai lu Le Petit Prince que récemment, en choisissant un conte à lire à mon fils. La découverte fut de taille ! En proposant ce texte pour une mise en scène, je partais de l’idée qu’il s’agissait... d’une très bonne pièce. Au fond, il n’y a aucune adaptation à faire, si ce n’est de supprimer quelques « didascalies », afin de garder les situations pleines et entières. Il ne s’agissait évidemment pas de gommer la partie du narrateur. Le narrateur est là, omniprésent, incarné. C’est lui qui évoque ce qui s’est passé dans ce désert. On fait bien sûr le lien entre le crash de Saint-Exupéry en Lybie au moment du vol Paris-Saïgon en décembre 1935, Le Petit Prince et la disparition définitive, une fois l’écriture du conte terminée, de son auteur en juillet 1944. Il y a là quelque chose – dans l’espace-temps – de prémonitoire, en même temps qu’une évocation de fantômes. Comme s’il s’agissait de faire surgir de sa tête, non pas la narration, mais les figures mêmes du Petit Prince.
Quand on essaie de raconter ce conte, on tombe à un moment donné sur un point aveugle. Au début du texte, on est six ans après la rencontre avec le petit prince. Petit à petit, au cours de son évocation, on se retrouve absolument au présent, ici et maintenant, dans le désert. On est donc pour ainsi dire en permanence dans le même espace-temps pour raconter l’histoire. C’est comme s’il n’y avait pas de coupures : il s’agit d’un homme, seul, dans le désert, qui a de l’eau pour huit jours, un homme qui a une chance sur mille d’être retrouvé et qui vit une expérience extrême. Donc, dans un espace-temps unique, avec un avion, avec le désert en point de fuite, en perspective ! À partir de ce principe d’évocation, tout est possible.
Aurélien Recoing, octobre 2011
Extrait des propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française
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