Quelques années après la chute du régime communiste yougoslave, Teodor Kraj, écrivain et professeur d’université, ancien dissident, est devenu secrétaire d’édition. Las, il fait face comme il le peut à l’avalanche de nouveaux manuscrits et aux assauts répétés d’écrivains opiniâtres.
Jusqu’au jour où sa secrétaire lui annonce la venue d’un homme dont elle affirme qu’il lui ressemble. Intrigué Teodor accepte de le recevoir… Dans notre monde, celui d’une immédiateté efficace et triomphante, Kovačević nous rappelle avec des répliques à l’humour cinglant et une sidérante puissance d’émotion, que nous sommes nourris de nos propres fantômes.
Philippe Lanton a monté de nombreuses pièces de Brecht, Buchner, Pinter, Beckett, Novarina, Hölderlin… Avec Le Professionnel, il met en scène une comédie dramatique qui met face à face le communisme et le capitalisme pour, sans doute, les renvoyer dos à dos.
En découvrant ce texte, une double réflexion s’est emparée de moi, interrogeant à la fois la profondeur de l’empreinte que laisse le passé d’un homme sur son présent, et ce que l’on croit être devenu lorsqu’on le confronte au reflet tendu par le miroir du temps. Bref, suis-je bien celui que je crois être ? Ou me suis-je égaré dans la construction illusoire d’un moi idéalisé ? Cette lecture m’a saisi, amusé, emporté.
Elle a créé un chavirement doux-amer, entre dérision et jubilation. Un chavirement salutaire.
La force du texte tient aussi à l’étendue des gammes suggérées par son large spectre. Car profondément, cette histoire est une histoire humaine, historique, politique, morale, c’est celle d’une amitié inconnue, d’un amour tu.
C’est aussi le moment de la rencontre de deux systèmes, de deux conceptions du monde, moment que Kovačević choisit pour mettre face à face le communisme et le capitalisme, pour, sans doute, les renvoyer dos à dos. Dans notre monde d’aujourd’hui, celui d’une immédiateté efficace et triomphante, Kovačević nous rappelle que nous sommes nourris de nos propres fantômes, comme les ombres déchues de ce que nous avons été et serons à jamais.
Et puis, il y a la formidable théâtralité du croisement de ces deux êtres, de « l’ancien salaud » et du « nouvel égoïste », qui se lit dans cette mécanique ciselée, puisque la pièce se déploie comme un piège machiavélique, une horloge que l’on démonte pour en exposer les rouages cachés, ceux de l’oubli et de la mémoire, du courage et du compromis, du suintement de la vie qui s’écoule.
Le bien et le mal semblent balayés par un déterminisme élevé sur les bases du conditionnement de la pensée, des logiques enfouies des situations passées.
Enfin, je veux dire à quel point je crois vraiment que l’humour serbe, acide, grinçant, allié à une puissance d’émotion sidérante, qui m’a tant emporté à la lecture, pourra toucher intimement chaque spectateur. On sait combien la force de l’humour de ce petit coin d’Europe fait écho à l’histoire chaotique et sanglante du siècle achevé. Dans les jours quelque peu sombres que nous traversons, je sens que rire en acceptant la part tremblante d’humanité reposant au fond de chacun de nous relève de la nécessité. Car c’est bien de ce fragile éclat d’humanité dont nous avons aujourd’hui tant besoin pour faire face aux destructions en cours.
Philippe Lanton
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