Le 14 novembre 1998, les membres du Tectonic Theater Project se sont rendus à Laramie, dans le Wyoming, où un jeune gay venait d’être battu à mort. Ils eurent des entretiens avec des habitants de la ville.
Pendant toute l’année qui suivit, ils retournèrent à Laramie plusieurs fois, et menèrent plus de deux cents interviews. La pièce que vous allez voir est basée sur ces entretiens, mais aussi sur des extraits du carnet de route des membres de la compagnie et d’autres textes originaux.
L’histoire du meurtre de Matthew Shepard entre dans la catégorie de ces faits divers qui résonnent dans la société, dépassant largement le cadre des entre-filets à scandale pour venir occuper le centre des terrains médiatiques, juridiques et politiques. Celui-ci débute un soir d’octobre 1998 par un meurtre sauvage et se conclura onze ans plus tard presque jour pour jour par la signature du Matthew Shepard Act, une loi pour la prévention des crimes de haine.
Le Projet Laramie ne parle pas de cette fin-là que son auteur ignorait forcément, la pièce ayant été écrite en même temps que les événements dont elle parle. Le Projet Laramie, c’est une radiographie, prise à l’instant T, d’une petite ville du midwest américain soudain placée sous le feu brûlant des projecteurs. C’est un théâtre-témoignage pour rendre compte de la complexe réalité qui se cache derrière les gros titres simplificateurs.
Ici rien n’est écrit, au sens où rien n’est romancé, rien n’est imaginé, les mots sont ceux des vivants, témoins, proches de la victime ou de ses meurtriers, ils proviennent des rapports de police, des bulletins de santé ou des minutes des procès. Les mots sont ceux du réel exposés sous les projecteurs.
Car au delà de l’histoire qui est vraie et que chacun jugera à l’aune de ses convictions, Le Projet Laramie parle aussi d’une confrontation : celle qui se joue sur scène, entre le monde du théâtre et celui du réel, entre l’artifice et l’authentique, entre l’illusion qu’une troupe crée sur scène et la véracité d’un crime abominable. Ce face-à-face peut-il amener la vérité à se manifester ? Ce qui est certain, c’est qu’il interroge et nous renvoie à nos propres indignations autant qu’à nos intolérances.
Il y a l’histoire, connue ou non par les spectateurs, il y a les témoignages et les pièces à conviction, tout ce réel consigné par la troupe de Moisés Kaufman, le fait divers qui a défrayé la chronique et nourri un débat toujours d’actualité. Les comédiens seront en charge de porter la voix des vivants, témoins ou acteurs du drame. Avec plus de soixante rôles à incarner, dans les moments importants comme dans les plus petites et solitaires répliques, ils auront à coeur d’approcher au plus près du vrai pour toucher, interroger ou révolter les spectateurs. Pour permettre à ces voix de s’exprimer et de se déployer, le décor sera minimaliste et les costumes simplement suggérés.
Il y a aussi la structure de la pièce, construite comme un film policier, qui tient en haleine jusqu’à son dénouement, la quête d’une vérité dont chaque protagoniste détient une parcelle. Que s’est-il passé ? Qui sont les meurtriers ? Quel sort leur est réservé ? Ici musique et lumière rythmeront le spectacle, construiront le fil narratif, créeront les ambiances et les atmosphères. Pleins feux, obscurité, îlots de luminosité alterneront comme un reflet de la complexité d’une vérité qui toujours se dérobe. La bande-son quant à elle jouera sur l’inconscient, fixera l’humeur ou renverra vers d’autres références.
Il y a enfin la réalité qui se transforme en spectacle quand elle est exposée sous les projecteurs des médias, dramatisée dans une cour de justice ou réinterprétée sur scène. Les comédiens, dépositaires du vrai, seront tous en permanence sur scène, manipulant décors et costumes à la vue de tous. Ils iront et viendront entre l’histoire ici réinterprétée et la réalité tangible de la représentation. Le réel et le théâtre s’enchevêtreront, le vrai et le faux s’entremêleront, se confondront et se répondront. De quel côté jaillira la vérité ?
Par la compagnie Green Paradise
190, boulevard de Charonne 75020 Paris