C’est fête au Louvre, où François 1er accumule les succès féminins, sous les applaudissements de sa cour et de son bouffon Triboulet, ricaneur et entremetteur attitré, jusqu’au jour où - ironie de l’histoire ! - c’est la propre fille de Triboulet, qu’il cloître jalousement chez lui, qui se retrouve kidnappée et jetée en pâture à la libido royale ! Alors, Triboulet le petit, le raté, le bossu, décide d’assassiner son grand, beau et joyeux maître…
Mélodrame « énaurme » et génial, mêlant sans vergogne tombereaux d’émotions et éclats de rire, prônant un alexandrin trivial et soudain flamboyant, Le roi s’amuse est d’abord une incroyable machine de guerre esthétique et politique écrite par un jeune homme de trente ans contre toutes les Restaurations. Le public de 1832 ne s’y trompa pas, qui cria au scandale, provoquant l’interdiction de la pièce au lendemain même de sa création.
Deux siècles plus tard, l’étonnement est intact devant cette jungle des villes et des palais auscultée par Hugo, où la faim de jouissance immédiate justifie tous les moyens, où il n’y a plus pour les jeunes de repères, faute de transmission par les pères, où le bling-bling et le flux continu du divertissement à gogo étourdissent les têtes, vident les cœurs, et sapent toute humanité. XIXe, XXIe siècles : même combat ?
Il y aura donc bien deux générations de comédiens sur le plateau : du côté des parents, les « cinquantenaires », avec Denis Lavant - formidable comédien amoureux des langues de haute volée, qui a aussi la plasticité physique, l’émotion et l’envergure pour incarner ce rôle si complexe et écrasant qu’est Triboulet, et avec les fidèles Yann de Graval (M. de Saint-Vallier) et Agnès Caudan (Dame Bérarde).
Par ailleurs, j’ai rassemblé une belle bande de sept comédiens issus de différentes Écoles nationales supérieures d’art dramatique (Conservatoire de Paris, Écoles du Théâtre National de Strasbourg et de La Comédie de Saint-Étienne, ENSATT) pour constituer le groupe des jeunes courtisans et le duo des bas-fonds parisiens Salbatadil/Maguelonne.
Linda Chaïb (qui « fait » 17 ans sur scène, et qui a si formidablement créé avec moi l’an dernier Zoom de Gilles Granouillet) incarnera le si délicat rôle de Blanche, tandis que le jeune et non moins étonnant Florent Nicoud (qu’on a pu remarquer ces dernières années dans maintes pièces de Philippe Dorin) sera notre anguille de François 1er.
Ce face-à-face de deux générations qui n’ont plus grand chose en commun se retrouvera également dans la scénographie inventée par Raymond Sarti pour Grignan. Devant l’imposante mais si élégante façade du château (dont l’aspect « Renaissance » a été encore accentué par les récents travaux de rénovation), il a conçu en résonance/friction comme un deuxième château « bling-bling » à l’intention de la cour de notre François 1er hugolien : d’immenses paravents tout en chrome et en miroirs suggéreront ce monde d’apparat, de paillettes et de divertissement permanent qui est celui de cette jeunesse dorée et désœuvrée.
Boules à facettes, fauteuils Louis XV chromés, guirlandes d’ampoules complèteront cet espace au goût « post-moderne ». Ce système de paravents se déclinera pour tous les autres espaces de la pièce, où sont enfermées les jeunes filles : cadre métallique couché au sol, dessinant la cour de Triboulet où est cloîtrée Blanche ; petit castelet en plexiglas coloré (inspiré du « Quartier rouge » d’Amsterdam) pour la taverne de Saltabadil où Maguelonne fait ses passes.
Les costumes croiseront de même les époques, brassant des signes empruntés à la Renaissance, au XIXème de Hugo et à notre mode actuelle. Vêtements-blasons des courtisans, qui affichent leur appartenance au même groupe aristocratique, quitte à s’y perdre et s’y indifférencier. Métamorphoses successives de François 1er, qui aime à se déguiser en étudiant, en officier - et pourquoi pas en roi ?
Blanche, elle-même, est comme déguisée en petite fille par son père, qui la somme ensuite d’emprunter un costume d’homme (pour fuir Paris, une fois le régicide consommé) : elle non plus n’a droit à aucune identité propre… Et Triboulet cache comme il peut son nom comme son infirmité, recouvrant sa malheureuse bosse comme il peut, la rendant ainsi encore plus voyante…
Car Triboulet est bien un monstre - mais au sens où le monstre montre et met au grand jour ce qui était refoulé - pour cela même fascinant et répugnant tout à la fois. Sa laideur, son cynisme, son amoralité, son dérèglement affectif, son désarroi, bref sa terrible humanité, sont évidemment ceux de son milieu, de son époque - oserais-je dire : de la nôtre ?
Lui le bossu, le paria, l'anormal a su faire de sa disgrâce un métier : il est le clown de la cour, au service des grands de ce monde. Sa différence devient alors une fonction, son talent un commerce, sa souffrance une grimace, son humour un rictus. Il avait tout pour être un artiste, il n'est plus qu'un amuseur public, cynique et amer, qui a vendu sa dignité pour un plat de lentilles et y perdra jusqu'à son âme (sa fille)... N'est-ce pas là ce qui attend tout créateur qui se met à la solde du pouvoir, quel qu’il soit ? A méditer ?
François Rancillac
« Rancillac ne se contente pas de remettre à l’honneur de la scène une œuvre injustement oubliée. Il rend au mélodrame ses lettres de noblesse et au mot « populaire » tout son sens. Prenant le texte à bras-le-corps, il signe un spectacle d’une intelligence fine, vibrant de grands sentiments qui se donnent libre cours sur le plateau. Haine, amour, espoir, désespoir…Le propos politique n’est pas oublié, dénonçant l’arbitraire des grands, l’arrogance des puissants. (…) Formidable performance de tous les acteurs dont un Denis Lavant (…) effrayant dans ses excès, pathétique dans sa folie, bouleversant dans l’amour pour sa fille. Grandiose. » Didier Méreuze, La Croix
« Ce qui a fasciné le metteur en scène, c’est la description de cet ordre barbare, piloté par le seul désir de jouissance et de pouvoir. Un monde jeune de garçons sauvages, sans père et sans repères… La pièce de Hugo a d’étranges résonances aujourd’hui. (…) On est plongé dans un étrange espace-temps dévorant les siècles – les costumes (de Sabine Siegwalt) mixent avec bonheur les atours Renaissance et les attributs de la « caillera » friquée du XXIème siècle, comme l’astucieuse scénographie de Raymond Sarti, entre palais des glaces et boîte de nuit branchée. Les acteurs sont tous excellents, avec en tête Florent Nicoud, qui campe un François 1er sensuel et arrogant, Linda Chaïb (Blanche) étonnante en vierge moderne, absolue et héroïque. Mais la star du spectacle est Denis Lavant, qui compose un Triboulet possédé et déchirant, croisement de Charlot et de M le maudit. (…) Le roi s’amuse nous emporte deux heures durant dans son tourbillon de haine, de désir et de désespoir envers les hommes, les rois et le monde. » Philippe Chevilley, Les Echos
« … La libido du roi irrigue en quelque sorte la pièce – il est significatif de voir comment Hugo lie sexualité et pouvoir : le prince peut s’offrir toutes les femmes, tel un président de la République s’offrant un mannequin. Rancillac, sans sa belle mise en scène, fait du roi un grand enfant aussi sympathique qu’inconséquent, à qui tout est dû et dont le désir a force de loi, plus bouffon encore que Triboulet, auquel Denis Lavant, sombre et écorché, donne toute sa force ambiguë, à la fois proche du pouvoir et révolté, victime et bourreau. » Hugues Le Tanneur, Les Inrockuptibles
« Denis Lavant, d’une puissance et d’une présence proprement stupéfiantes, arrive à faire remonter des grands fonds les souvenirs des instants les plus rudes de nos existences. Si j’ajoute que la scénographie de Raymond Sarti, qui nous plonge dans un monde de luxure à vous laisser pantois, vous aurez compris que le metteur en scène s’est surpassé. » Joshka Schidlow, Allegro Théâtre
« … Blanche est interprétée par Linda Chaïb, petite brune fluette dotée d’une incroyable palette de jeux. Face à l’acteur monstre Denis Lavant, qui incarne Triboulet de tout son tempérament farcesque, sa voix rauque et son corps élastique, elle impose sa légèreté comme sa puissance. A eux deux, ils font tout. » Emmanuelle Bouchez, Télérama
« Denis Lavant est formidable. » Valérie Beck, La Vie
« Quand Rancillac revisite « Le roi s’amuse » de Victor Hugo, ça déménage sous les alexandrins. Croisement entre tragédie et humour noir, ce spectacle a de vrais airs d’ « Orange mécanique » avec sa bande de Droogles écoutant du Beethoven remixé sur fond de boules à facettes. » Justine Minet, La Tribune
« … Toute la troupe joue avec un rythme des plus plaisant, et dansant, avec notamment Linda Chaïb, si frêle et forte à la fois, toujours émouvante, Florent Nicoud, élégant et séduisant, jeune François 1er fort convaincant, et Denis Lavant qui impose son jeu toujours souverain, clown grotesque, lançant à la face du monde ses cris maléfiques, dans une geste funambulesque. Quel rôle et quel acteur ! (…) Le spectacle est une réussite à tout point de vue, généreux, renversant parfois dans son déroulé, iconoclaste dans son propos, monté avec un goût de la modernité bienvenue, et des acteurs plus qu'excellents. Si l'on osait, on dirait que c'est un triomphe. » Jean-Claude Rongeras, France 2
« François Rancillac a confié le rôle à un fou de scène : Denis Lavant, qui fait fi des risques et des soubresauts du texte, et virevolte tel un feu follet dans ce spectacle au rythme enlevé. » Annie Chenieux, Le Journal du Dimanche
« Dans un décor très cabaret, Rancillac lâche ses jeunes fauves vêtus de costumes ad hoc et à point parodiques. Puis, c'est l'entrée du lion, l'entrée du bouffon, du bossu, j'ai nommé le fabuleux Denis Lavant qui atteint ici des sommets. Silhouette à la Karl Valentin, tête chapeautée à la Verlaine, il soulève le rôle comme un enfant, jongle avec lui, le rattrape in extremis avec une virtuosité fascinante. (…) C'est d'ailleurs la vertu de ce spectacle qui s'autorise tout et ne se prend pas au sérieux tout en donnant sa chance au drame mélo et en faisant vibrer toutes les cordes que l'auteur a tendues : celle du bossu humilié, celle du père outragé, trompé, etc. et plein d'autres choses à faire pleurer Margot et ses copines. Porté par une troupe de jeunes mâles en rut (les personnages, s'entend), et éclairé par la présence de Linda Chaïb qui dessine à merveille la transformation de l'oie Blanche en une amoureuse résolue jusqu'au sacrifice, cet excellent théâtre, populaire et raffiné jusque dans ses excès se fait rare par les temps qui courent. Autant ne pas se priver de ce plaisir là. » Laurence Liban, L'Express
« Sur scène, chacun dégage une énergie incroyable, et Denis Lavant, qui se jette à corps perdu dans son personnage, confère à Triboulet une dimension animale : il marche en crabe et, comme l’araignée, tisse autour de sa fille une toile mortifère. Nul ne reste insensible à cette histoire où un rire cruel cède la place au drame le plus noir. » Joséphine Lebard, Le Pélerin
« François Rancillac offre au texte une troupe d’une belle jeunesse, dans une lecture très bling-bling. Linda Chaïb émeut en Blanche, robe bleu ciel et ballerines façon Alice au pays des merveilles. Denis Lavant réjouit. Souvent il émeut, toujours il donne. Sous les étoiles de Grignan, une fois encore, le roi, c’est lui. » Nedjma van Egmond, Le Point
« François Rancillac fait exploser ce scénario rocambolesque en ajoutant à la démesure d’Hugo la démesure de sa mise scène. Devant le château Renaissance, est installé un château artificiel, fait d’immenses paravents de chromes et de miroirs amovibles, aux pièces délimitées par des guirlandes d’ampoules, jusqu’à une cellule rougeoyante qui fait songer au «quartier rouge» d’Amsterdam. Dans cette ambiance très bling-bling, évolue une bande de jeunes courtisans, jeunesse dorée, sans foi ni loi. Aristocratie du temps de François Ier ? Des temps actuels ? (…) La pièce fit scandale et fut interdite du temps d’Hugo. Mais le scandale de «l’homme qui rit et l’homme qui tue» n’est peut-être pas aussi anachronique que l’on peut croire aujourd’hui. (…) » Charles Sylvestre, L'Humanité
« Qui mieux que Denis Lavant pouvait effectuer ce voyage au cœur de l'âme rongée du bouffon Triboulet, l'anti-héros du Roi s'amuse ? (…) Melon et badine, ce cousin de Charlot se tord, se brise, se ramasse, pour mieux restituer la violence intérieure de son personnage. Sa voix brisée en aigus rocailleux, ses regards furtifs et ses membres déformés par une volonté de fer forgent un personnage hors du commun, une figure picturale arrachée a une œuvre de Bacon (…). Chacun de ces caractères renvoie à un dérapage des valeurs, à une figure de notre société gangrenée par le bling-bling, une société en mal de pères et de repères. » Antonio Mafra, Le Progrès
« Le souverain François 1er, terroriste sensuel et séducteur, s’amuse donc… et son jeu favori consiste à aligner les conquêtes féminines, tel un Berlusconi de la Renaissance. Incarné avec beaucoup de charme par Florent Nicoud, ce roi dévore les femmes et dérobe leur vertu, au mépris de l’honneur des pères. La cour imite son roi. (...) Hot mais glacial. (…) Sur toute cette obscénité, le difforme bouffon du roi, Triboulet, dépose son cynisme et sa médisance ricanante. (…) Electrique et poignant, Denis Lavant dans le rôle de Triboulet déchaîne le personnage, possède le possédé et nous émeut. Plus encore, il nous insuffle sa rage, une colère terrible devant la dernière once d’innocence bafouée. (…) Les tirades tour à tour, pompeuses puis courtes et assassines convoquent rires, amertume, émotion et fureur. Là-dessus, le talent de Rancillac est d’avoir su, avec les crocs de ce texte acéré, mordre notre 21ème siècle spécieux. Le jeu des apparences, le luxe ostentatoire et la perte des valeurs sont dépeints dans toute leur noirceur, une noirceur suave qui ne connaît pas de dates. Férocement superbe. » Léa Ducre, Libération
La Cartoucherie - Route du Champ de Manoeuvres 75012 Paris
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.