La nuit est silencieuse. Soudain, au bruit de ses pas répond le bruit d’autres pas. Ceux d’un homme. Elle l’entend qui la suit sur le quai, dans sa rue, dans l’escalier. Le voilà derrière elle dans sa chambre. Elle sent son regard sur son corps, son souffle sur la nuque. Jusqu’où ?
« Il n’avait rien dit, il n’avait pas eu besoin de prononcer une parole, tant sa main était éloquente. Son geste avait suffi pour que je comprenne que mon geste était vain, que désormais chaque geste venant de moi serait vain, qu’il était inutile de résister et de crier, qu’il n’y avait pas d’issue. »
Il y a la qualité d’écriture de Claire Béchet. Ces phrases courtes comme le souffle coupé, répétitives comme l’obsession, précises et tranchantes comme le désir. Il y a aussi la nuit, avec son vague à l’âme, ses mystères, ses échappées secrètes, ses fantasmes. C’est ça qui me trouble, un univers d’errance, d’apesanteur, de flottement, d’incertitude, où tout est possible, comme dans un rêve. C’est fascinant, un rêve. Son jeu avec le réel, sa force de délivrance, sa nécessité. Comme le théâtre, il nous aide à vivre.
C’est tout ça dont je creuse les profondeurs, sur scène, à l’image, multipliant les plans, les lignes d’accès,de fuite, les angles, les points de vue, emmenant le spectateur dans un univers de sens, où il s’agit précisément de sentir l’expérience du personnage, de la vivre. La réflexion viendra après, peut-être. Anny Romand est le guide de ce voyage nocturne, sensuel et trouble. À la fois sur scène et sur l’écran, elle se livre, corps et âme, figure démultipliée à l’infini du désarroi d’être de ce monde.
Nabil El Azan
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