Un groupe clandestin d’activistes auquel appartient Mia tente avec des méthodes des années de la Guerre Froide de voler un système d’invisibilité à un hacker, Heiner, qui les a trahis.
Fausse histoire d’amour et vraie histoire d’espions, ou tout le contraire, la pièce interroge la difficulté de trouver une vérité sur laquelle s’appuyer et évoque notre société sous surveillance et sans utopie.
Quel serait le « sujet » du Système pour devenir invisible ?
La pièce décline la question de la vérité, de la difficulté de trouver une vérité solide sur laquelle s'appuyer pour agir. Plutôt qu'un sujet, c'est un motif qui se déploie dans la forme de la pièce (on voit une action qu'on croit fausse par un récit qui est probablement lui-même faux) et à travers les histoires des personnages. C’est une manière d’interroger plus largement notre condition contemporaine où les utopies sociétales ou politiques qui pouvaient donner du sens à l'action voilà quelques décennies semblent aujourd'hui avoir échoué ou s'être avérées fausses. Pour donner du sens à une action, on a besoin de l'inscrire dans un récit. Une personne tue une autre. Est-ce un acte criminel, un acte patriotique, un acte religieux, un accident ? Cela dépend du récit qu'on en fait. Mais tous les récits sont faux, ils ne sont pas la réalité, ce sont des histoires sur la réalité. Or, si tous les récits sont faux, quel est le sens d'une action ? La vérité est une question assez problématique, en amour, en art, en politique. Beaucoup en politique. On lutte pour une utopie, puis l'utopie s'avère fausse, on peut la critiquer du point de vue de la vérité, on n'y croit plus. D'accord. Alors, on lutte pour quoi maintenant ? Ou on ne lutte plus ?
C'est une question liée à la croyance ?
Oui, tout à fait. A quoi croit-on pour agir ? Dans cet appartement où se passe l'action, dans un quartier de l'ancien Berlin Est, et qui est une sorte de squat avec des gens de passage, il y a un autre couple de personnages qui font aussi des choix existentiels en se basant sur des croyances très affirmées aux fondements bien fragiles : Inge, la voisine de Heiner, et son ex petit ami Ralfy, un artiste de quartier qui fait des imitations. Ralfy imite d'abord Wolf Biermann, chansonnier est-allemand, et ensuite sa filleule Nina Hagen. Mine de rien, à travers ces personnages, un récit se fait sur les récits ayant motivé l'action politique au XXe et XXIe siècles, depuis le communisme d'avant guerre, la construction de la RDA après le nazisme, et le no future punk des années 70, jusqu'à l'utopie religieuse new age et le terrorisme islamiste. Comme le dit Ralfy, dans la peau de Wolf Biermann : « Celui qui prêche l’espoir, c’est un menteur. Mais celui qui tue l’espoir, c’est un chien-porc. »
Dans la pièce il y a des personnages français et d'autres allemands, et ils ne parlent pas tous les deux langues...
En effet, je ne concevais pas faire parler tout le monde en français alors que la pièce se passe aujourd'hui à Berlin. Pour se comprendre entre eux, les personnages utilisent un gadget développé par Heiner, un système de surtitres qui s'affiche sur des télés. Les surtitres sont intégrés à la fiction et permettent plein de jeux intéressants pour les acteurs et sur la langue. Les télés, qui évoquent les années 80, avant la chute du Mur donc, tout comme la musique de Kraftwerk d'ailleurs, sont aussi des éléments importants de la scénographie, ils structurent l'espace scénique. On évoque à travers eux aussi le début de l'informatique.
Quelle est la trame principale de la pièce ?
Elle est double. Mia, une touriste française, rencontre Heiner, un Franco-Allemand fou d’informatique qui vit un peu en marge, et elle s’invite chez lui. Elle y trouve une manière de vivre différente qui l’interpelle beaucoup. Elle mange aussi un cake qui contiendrait peut-être une drogue de synthèse et qui la met dans un état un peu particulier. Bref, elle se trouve cette nuit-là face au choix de tout laisser derrière, son pays, son mari, son enfant, pour s’ouvrir à la possibilité de vivre sa vie autrement, ou de revenir à sa vie d’avant, un vie trop normale à laquelle elle a cru sincèrement mais qu’elle trouve finalement vide de sens. Or, un personnage qu’on ne voit pas tout de suite nous raconte que Mia n’est pas celle qu’elle dit être. « Mia » n’est même pas son vrai nom, c’est un nom d’emprunt. Cette jeune femme appartient en vérité à un groupe clandestin d’activistes radicaux d'aujourd'hui qui exécute une première action. Elle a séduit Heiner en se faisant passer pour une simple touriste afin de s'introduire chez lui et d'essayer, avec des méthodes empruntées aux films d’espions de l’époque de la Guerre Froide, de lui voler un système d’invisibilité. Heiner est en vérité un hacker qui les a trahis et qui agit maintenant sous le pseudonyme de Doudou. Nous continuons naturellement à regarder ce qui se passe devant nous à travers le prisme de ce récit, sans penser immédiatement que celui-ci est peutêtre faux.
Propos recueillis par Jacques Peigné
une pièce géniale, déroutante et émouvante, d'une incroyable richesse. C'est à voir.
Pour 1 Notes
une pièce géniale, déroutante et émouvante, d'une incroyable richesse. C'est à voir.
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris