Julien, la cinquantaine, conduit sa voiture. Comme tout le monde, au volant, il pense à ses problèmes : son boulot, son fils, son ex-femme. Puis il pense à son père, assis à côté de lui et qui regarde la route, silencieux.
Quand son père parle, il se souvient, et Julien n'en peut plus de la mémoire, il a déjà tout entendu des centaines de fois, alors il se fâche et son père se tait. Julien n'a jamais pu supporter son père, il n'a jamais pu lui pardonner d'être cet authentique héros de la seconde guerre mondiale.
Comment pouvait-il trouver un peu de satisfaction à côté de lui qui évoquait sans cesse les valeureux assauts de la résistance, les copains tombés sous le feu de l'ennemi ? Comment pouvait-il se plaindre devant ce rescapé des camps qui arborait ses cicatrices comme on porte des médailles.
Julien cherche ce qui a bien pu le décider à accompagner son père à Dachau, 50 ans après la guerre. Sur la route, assis côte à côte, ils ont tout à coup tellement de temps pour se parler, régler leurs comptes et rattraper les années de silence. Kilomètres après kilomètres, la conversation s'engage mais, derrière les anecdotes, le recoupement des souvenirs laisse apparaître d'étranges omissions.
« Il y a toujours de l'audace, de la part d'un auteur, à dépeindre d'une manière réaliste les souffrances intimes qui nous animent. Pourtant, ce qui est enthousiasmant, c'est que le théâtre de Gérald Aubert est aussi drôle que bouleversant.
Ma génération n'a pas dans sa chair la connaissance intime des réalités de la guerre. Puisque mes parents, eux-mêmes ne l'ont pas vécue, c'est à l'école, tout d'abord, et dans ma vie de citoyen, par la suite, que j'ai appris et appréhendé les séquelles d'un quotidien occupé et d'une humanité mutilée. Cet apprentissage a toujours porté une étiquette aussi curieuse que solennelle : le devoir de mémoire. Ce qui m'intéresse au travers de cette pièce est la confrontation entre ceux qui ne peuvent pas oublier et ceux qui doivent se souvenir. Avec beaucoup de sensibilité et de précaution, je veux accompagner tout au long de ce voyage ces deux natures blessées qui ont brutalement beaucoup de temps à se consacrer pour enfin se parler.
J'aime ce théâtre où les hommes, poussés à bout, ne répondent plus qu'à leurs instincts. La conscience ne dicte plus rien et ne sert plus qu'à justifier des actes issus de la peur, de l'envie ou de la nécessité : l'Homme à l'état sauvage ».
Sébastien Bernard
16, rue Charles Pathé 94300 Vincennes